23 Décembre 2021
L'entrée de Sita dans le bûcher, afin de se purifier aux yeux de Rama et de sa cour, est le moment le plus intense et le plus tragique du Ramayana, qui en compte pourtant de nombreux.
Si longtemps, Rama a cherché Sita. Il l'a enfin délivrée. Hanuman l'a retrouvée, le nouveau chef des démons l'a amenée et rendue à son mari... Mais les retrouvailles ne se passent pas aussi bien qu'on aurait pu l'imaginer. Chose impensable, Rama doute. Il doute de son amour mais aussi de sa femme. Le démon aurait-il posé la main sur elle, durant sa captivité ? L'évidence de la réponse fait pâlir Rama, qui devient cruel. Il n'est plus un avatar de Vishnou, il est redevenu un homme. Un mari jaloux et qui n'arrive qu'à grand peine à contenir sa colère.
Le texte suivant est inspiré du Ramayana de Valmiki, tel que traduit par Hippolyte Fouché.
*
Rama n'avait toujours pas adressé une parole, ni même regardé son épouse. Ni son frère ni personne n’aurait alors pu le calmer, lui qui était invincible au combat mais qui à présent tombait sous les coups de la douleur et de la colère.
C'est alors que Sita, exprimant ainsi une dernière fois son amour envers Rama, tourna autour de lui la tête inclinée, puis s'avança sans hésiter vers le bûcher qui venait d'être allumé.
Quand elle fut près du brasier, elle s’inclina d’abord en l’honneur des dieux, puis en celui des brahmanes ; et, joignant ses deux mains en prière au-dessus de sa tête, elle invoqua Agni, le dieu du feu et du foyer familial, et lui adressa cette prière : « De même que je n’ai jamais violé, soit en public, soit en secret, ni en actions, ni en paroles, ni de l’esprit, ni du corps, ma foi donnée à mon époux Rama ; de même que mon cœur ne s’est jamais écarté de lui : de même, toi, Agni, témoin du monde, protège-moi de l'infamie! »
Après qu’elle eut parlé ainsi, Sita, impatiente de s’élancer dans les flammes, les bras au ciel et la tête baissée, fit le tour du feu et dit encore ces mots : « Agni, ô toi qui circules dans le corps de tous les êtres, sauve-moi, ô le plus vertueux des Dieux, toi qui, placé dans mon corps, sera en lui comme un témoin ! »
Témoins de ces paroles, les généraux simiens versèrent des torrents de larmes. Tombant une à une, les larmes couvrirent bientôt les visages de l'assistance où même, et c'est là une chose bien étonnante, les démons pleuraient.
Alors, s’étant une nouvelle fois prosternée devant son époux, Sita d’une âme résolue entra dans les flammes. Semblable à l’or le plus pur, Sita, parée de bijoux, s’élança dans les flammes allumées, comme une victime, que l’on jette dans le feu du sacrifice. Une multitude immense, adultes, enfants, vieillards, était rassemblée en ce lieu ; et tous virent la princesse éplorée plonger dans le bûcher.
Au moment où elle entra dans le feu, singes et démons poussèrent des clameurs intenses. À ces cris, Rama, le devoir accompli mais l’âme courroucée, demeura un moment les yeux troubles de larmes.
Soudain Kubera, le roi des richesses, Yama le seigneur de la mort, et Varuna, le souverain des Océans, le fortuné Shiva aux trois yeux, qui possède pour emblème le taureau, Brahma, l’auguste et bienheureux créateur du monde entier, et le roi Dasharatha, qui après sa mort était devenu une divinité, portés dans un char au milieu des airs, rayonnants de splendeur, tous accoururent ensemble vers le lieu où se tenait le sacrifice de Sita. Tous, se hâtant sur leurs chars semblables au soleil, ils arrivent sous les murs de Lanka.
C'est alors que Brahma, le plus éminent des Immortels et le plus savant des esprits savants, le saint créateur de l’univers, étendit un bras dont sa main était la digne parure, et dit à Rama, lequel se tenait humblement devant lui, la tête inclinée, le dos courbé et ses deux mains réunies en coupe : « Comment peux-tu voir avec indifférence que Sita se jette dans le feu d’un bûcher ? Lui demanda-t-il. Comment, ô le plus grand des plus grands Dieux, ne te reconnais-tu pas toi -même ? Et ainsi tu doutes de ta femme comme le ferait un vulgaire époux ! »
À ces mots du roi des Immortels, Rama, joignant ses deux mains aux tempes, répondit au plus éminent des Dieux : « Je ne suis, il me semble, qu'un homme. Je suis Rama, le fils du roi Dasharatha. S’il en est d’une autre manière, daigne alors, ton excellence, me dire qui je suis et d’où je viens. »
Alors Brahma, dont la splendeur est infinie et qui existe par lui-même, poursuivit : « Écoute la vérité, Rama, ô toi à qui la force n'a jamais failli ! Ta véritable identité est celle de Vishnou, et ton arc lui-même est une divinité connue sous le nom de Sharanga ; tu es le plus glorieux des hommes.
Rama, tu es la demeure de la vérité ; tu es vu au commencement et à la fin des mondes ; mais on ne connaît de toi ni le commencement ni la fin. Tous se demandent de quoi est composée ton essence, quelle est ta nature. On te voit dans tous les êtres ; dans les troupeaux, dans le ciel, dans tous les points de l’espace, dans les mers et dans les montagnes !
Dieu fortuné aux mille pieds, aux cent têtes, aux mille yeux, tu portes les créatures, la terre et ses montagnes. Que tu fermes les yeux, c’est la nuit ; si tu les ouvres, c’est le jour : les Dieux étaient dans ta pensée, et rien de ce qui est n’est sans toi.
On dit que la lumière fut avant les mondes ; on dit que la nuit fut avant la lumière ; mais ce qui fut avant ce qui est, on raconte que c’est toi, l’âme suprême. C’est pour la mort de Ravana que tu es entré ici-bas dans un corps humain. Ce fut donc pour nous que tu as consommé cet exploit, ô la plus forte des colonnes qui soutiennent le devoir. Maintenant que l’impie Ravana est tué, retourne joyeux dans ta ville. »
Cependant le feu ardent et sans fumée avait respecté le corps de Sita qui, même placée au milieu du bûcher, ne se consumait pas. Tout à coup, voilà que le feu s’incarna dans un corps et que soudain il s’élança hors du brasier en tenant Sita dans ses bras, qu'il déposa entre les bras de Rama.
Alors ce témoin incorruptible du monde et de ses turpitudes, Agni, le dieu du feu, dit à Rama : « Voici ton épouse, Rama ; il n’existait aucune faute en elle.
Cette femme vertueuse à la sage conduite n’a pas failli envers toi, ni de parole, ni de pensée, ni par l’esprit, ni par les yeux. Un jour où tu l'avais laissée seule, le démon Ravana, d’une irrésistible vigueur l’emporta malgré sa résistance loin de la forêt solitaire où vous viviez. Enfermée dans ses quartiers, triste, absorbée dans ton souvenir, n’ayant de pensée que pour toi, surveillée de tous les côtés par des démons difformes, tentée et menacée de toutes les manières, ta femme, son âme toujours tournée vers toi, n’a jamais ne serait-ce que songé à son ravisseur.
Reçois-la pure, elle est sans tache : il n’existe pas en elle la moindre faute : je t’en suis le garant. Le feu voit tout ce qu’il y a de manifeste et tout ce qu’il y a de caché : aussi, ta Sita m’est-elle connue, à moi, qui viens de l’observer ici même et de mes propres yeux ! »
À ces mots, le héros à l’inébranlable énergie, Rama, répondit au plus parfait des dieux : « Il fallait nécessairement que Sita fût soumise dans les mondes, grand Dieu, à l’épreuve de cette purification ; car, femme charmante, elle avait longtemps habité dans le gynécée de Ravana. « Rama est un insensé ; son âme n’est qu’une esclave de l’amour, » auraient dit les mauvaises langues, si je n’eusse point fait passer Sita par cette purification. Cependant je savais bien qu'elle n’avait pas changé, qu’elle m’était toujours dévouée et que sa pensée avait sens cesse erré autour de moi depuis son départ. Cependant, afin d'attirer les trois mondes dans cette assemblée, je n’ai point arrêté Sita, quand elle s’est jetée au milieu du feu.
De même que l’océan ne peut franchir son rivage, les démons ne peuvent triompher d'une femme défendue par sa vertu. Non, Sita n’a pas plus donné son cœur à un autre, que la splendeur n'a divorcé d'avec le soleil ! »
Rama reconnut ainsi, par le témoignage du feu, l’innocence de son épouse. Ce grand exploit, qui est qu'un homme accepte son erreur, réjouit en un instant les trois mondes et pour cette occasion les êtres qui se meuvent se réconcilient avec ceux qui ne se meuvent pas, ainsi qu'avec les nombreuses divinités et les grands Rishis.
Rama fut alors rempli d’allégresse et il fut comblé d’honneurs par toutes les Divinités.
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