25 Juin 2024
Les nombreux ramayanas
Plus, de 300 ramayanas différents ont été recensés, tous écrits à des époques et en des lieux différents, parfois même traduits, réécrits ou réinterprétés en des pays situés à plusieurs centaines de kilomètres de l'Inde, par exemple en Indonésie ou au Laos. Nous distinguerons trois types de ramayanas : les récits composés en sanskrit (de la fin du premier millénaire av. J.-C. jusqu'au milieu du premier millénaire), les dialogues philosophiques composés en sanskrit et inspirés du Ramayana de Valmiki (l'Adhyatma Ramayana de Ramananda est le plus célèbre), enfin les récits composés en langues vernaculaires et ayant rendu populaire le mythe de Rama durant le second millénaire de notre ère et dont le Ramcharitmanas de Tulsidas, rédigé dans un dialecte de l'hindi, est le plus célèbre et diffusé. C'est dans cette dernière catégorie que se situent les adaptations indochinoises, indonésiennes, sud indiennes ou même musulmanes (Kérala, Perse).
Les premières traces du Ramayana remontent avant la composition du récit canonique par Valmiki. Elles se retrouvent dans le Mula Ramayana attribué au sage Narada (v. -400), dans le Mahabharata où figure un résumé des aventures de Rama, mais aussi dans des récits et fables bouddhistes, comme le Dasharatha Jataka (v. -300 à 400). Le Ramayana de Valmiki est cependant une des plus anciennes versions (-300 à 300) et la seule pouvant être considérée comme un chef-d’œuvre absolu et universel. Premier roman de l'Histoire de la littérature, cette version sera considérée comme le texte de référence pour toutes les autres à venir.
Tout au long du premier millénaire, des récits seront composés en sanskrit et reprendront à leur compte la légende de Rama, en proposant souvent un court extrait parabolique ou un résumé partiel. Mentionnons le Yoga Vashistha (composé entre le 6e et le 14e siècle au Cachemire), l'Agni Purana et le Bhagavata Purana (v. 600 à 1000).
Par ailleurs, le jaïn Vimala Suri (Paumachariyam, rédigé en prakrit de 300 à 500), proposa une sorte de version à rebours de celle de Valmiki. Le Paumachariyam est l’œuvre la plus célèbre de ce type, mais il en existe de nombreuses autres dans le corpus jaïn. La belle-mère de Rama, la reine Kaikeyi, est présentée comme bonne, et c'est pour empêcher Bharata d'entrer dans les ordres qu'elle lui impose d'être roi à la place de Rama. Durant leur exil volontaire, Rama se serait marié trois fois, et Lakshman onze fois. Ravana est un roi juste et végétarien, le roi des singes Vali n'est plus un despote sanguinaire mais un roi qui délaisse sa couronne pour devenir moine jaïn. Son successeur Sugriva accède au trône sans le combattre ni le tuer. Enfin, c'est Lakshman et non Rama qui tue Ravana tandis que Rama atteint la Moksha (l'illumination).
Les aventures de Rama furent colportées au-delà des mers, des montagnes et des forêts. Dès le 7e siècle, Rama apparaît dans les inscriptions cambodgiennes de Veal Kantel (Stung Treng). L'origine de la version khmère du Ramayana date de cette époque, c'est le Reamker (Ramakerti). Au Yunan, c'est le Langka Sip Hor. À Java, intronisée par les marchands et navigateurs tamouls, la légende de Rama s'implante, mais elle est racontée tout à fait différemment. En effet, le Kakawin Ramayana (870) n'est pas fondé sur la version de Valmiki, mais sur celle de Bhattikavya dans Le Massacre de Ravana (Ravanavadha, 6e siècle). Cette version est composée de deux parties ; la première est similaire à celle de Valmiki, la seconde originale. Elle inclut des divinités locales comme Semar et ses fils Gareng, Petruk, et Bagong. C'est cette version que l'on retrouve au temple de Prambanan (Yogyakarta). Il existe aussi des versions de Sumatra et de Bali (Ramakavaca).
Quelques siècles plus tard, suivant la route de la soie, le bouddhisme a atteint le Japon, tandis que les Vedas et Upanishads sont traduits en Chine. Le Ramaenna (10e siècle) est la version japonaise du Ramayana.
À partir du 13e siècle, sera composé en Malaisie le Hikayat Seri Rama, dans lequel Lakshman est le protagoniste. Loué pour sa jeunesse, il joue un rôle plus important que Rama, qui est présenté comme faible et reste souvent en retrait. La version lao, le Phra Lak Phra Ram, dont la version définitive date du 18e siècle mais dont l'origine est bien plus ancienne (début du premier millénaire, Angkor, Champasak) propose une version similaire à la version malaise. De tradition bouddhiste, cette version présente Rama en Bodhisattva et Ravana en brahmane matérialiste.
En Inde, dans la première moitié du second millénaire, vont apparaître des dizaines de traductions locales de la légende de Valmiki, faisant subir au récit initial plus ou moins de variations littéraires et théologiques. Une des premières versions semblerait être le Ramacharitam de Cheeraman (v. 1198) composé au Kerala. C'est la plus ancienne trace écrite d'une composition en langue dravidienne (Malayalam). Au 12e siècle, le poète tamoul Kambar compose le Ramavataram (Kamba Ramayanam). Si dans le Ramayana de Valmiki Rama ne semble pas avoir conscience de sa divinité, dans la version de Kambar il est présenté clairement comme un avatar de Vishnou. Vers 1300, Ranganatha (Gona Budda Reddy) et son Ranganatha Ramayanamu présentent pour la première fois une version télugue.
Les adaptations dans le nord de l'Inde seront un peu plus tardives. Une des toutes premières adaptations en langue vernaculaire est le Saptakanda Ramayana du poète assamais Madhava Kandali (14e au 15e siècle). Au 15e siècle, le bengali Krittibas Ojha compose le Krittivasi Ramayan. Ce siècle sera aussi celui des adaptations en Orissa, avec le poème Vilanka Ramayana de Sarala Das et le Dandi Ramayana de Balaram Das.
C'est cependant le Ramcharitmanas de Tulsidas (v. 1532 - 1623) qui est le plus influent de tous ces ouvrages. Rédigé en langue vernaculaire awadhi (hindi), il s'inspire grandement d'une œuvre philosophique composée en sanskrit quelques siècles plus tôt : l'Adhyatma Ramayana du sage Ramananda. Ce dernier ouvrage est une réécriture philosophique, théologique et métaphysique de la version de Valmiki. La version de Tulsidas propose un fin qui élude le retour de Rama à Ayodhya et qui ne mentionne pas la répudiation de Sita. Cette œuvre est extrêmement populaire dans le bassin du Gange. Tulsidas passa la majeure partie de sa vie à méditer sur les bords du Gange à Varanasi, et comme Shankara, il possède un ghât à son nom dans la ville sacrée (Tulsi Ghat). Sa traduction du Ramayana en langage vernaculaire proche de l'hindi moderne, renouvela les traditions liées à Hanuman, Rama et Sita. En conséquence, il est considéré comme une réincarnation du sage Valmiki, l'auteur original du Ramayana, qui lui-même est présenté comme un avatar de Brahma, l'auteur de la première œuvre qui jamais ne fut : les Vedas.
Roi autoritaire et instable, bien que se revendiquant éclairé, l'empereur moghol Akbar fait traduire par les brahmanes de sa cour le Ramayana, qui devient Le Ramayana d'Akbar (1584). Au début du 17e siècle, Sad Allah Masih Panipati propose son Dastan-i Ram u Sita, un récit sur fond de romance folklorique perse. En 1776, Ganga Bishan propose le Pothi Ramayana, une version en ourdou, c’est-à-dire en hindi arabisé. D'autres versions musulmanes existent, dont le Mappila Ramayanam de Hassankutty (v. 1900), qui est la version des bardes musulmans du Kérala.
Depuis le début de l‘ere industrielle, le Ramayana n'a cessé de voyager en Asie et d'être sans cesse adapté, parfois selon les volontés politiques des monarchies locales (Thaïlande). Chaque territoire d'Asie possède sa version du Ramayana, que les ethnologues ont compilée aussi loin que les Philippines, où il était conté, comme ailleurs, sous la forme d'une grande épopée orale (Maharadia Lawana, en dialecte maranao).
C'est surtout dans la péninsule indochinoise que le Ramayana semble le plus repris. Outre les versions yunanaise, lao, khmère et malaise, mentionnons également les versions birmanes de Rama sa-khyan, de U Aung Phyo (1775) et la version thaïe Ramakien, composée sous la direction du roi Rama 1er en 1797. Dans ce récit, Hanuman est un personnage encore plus important que dans la version de Valmiki, mais il est différent, moins sage et bien moins respectueux (il viole Mandadori, la femme de Ravana). Autres exemples parmi de nombreuses particularités, Lakshman est une nouvelle fois un personnage plus important que son frère et Ravana a la peau verte.
Fortement influencé par les traditions védiques, hindoues et bouddhistes, le Tibet possède son Rin-spuns-pa, proposant une prophétie annonçant que Ravana reviendra à la fin des temps sous la forme de Kalki. En Arunachal Pradesh, dans le Tai Khamti Ramayana, « Rama est incarné en bodhisattva pour que Ravana le torture » (Wikipédia).
À la fin du 19e siècle, participant encore à la popularité du mythe de Rama dans le nord de l'Inde, sont publiées deux versions népalaises rédigées en langue vernaculaire par deux poètes nationaux : Bhanubhakta Acharya (Bhanubhaktako Ramayan, v. 1850) et Siddhidas Mahaju (Siddhi Ramayan, v. 1900).
Au 20e siècle, la popularité du Ramayana n'a pas faibli et on dénombre des dizaines de traductions anglaises, mais aussi des adaptations cinématographiques indiennes (séries télévisées, dessins animés, etc.)
Citons enfin l'ouvrage controversé de l'activiste Pulavar Kuzhanthai, Ravana Kaaviyam (1946). Il s'agit d'un pamphlet apologétique de propagande dravidienne, présentant Ravana comme un héros et Rama comme un lâche et un criminel. Ce livre fut longtemps interdit de publication par le gouvernement indien.
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