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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Le déluge babylonien, par Jules-Justin Sauveplane

Traduction de Jules Justin Sauveplane, Une épopée babylonienne

 

L'AVERTISSEMENT

Ceci se passait à Shuruppak, tu sais, cette ville assise, là-bas, au bord de l’Euphrate. Oh ! elle était déjà bien ancienne cette ville, lorsque les dieux qui l’habitaient, les grands dieux, conçurent le dessein de faire le déluge. Or donc, ils se réunirent et tinrent conseil. L’aspect était vraiment imposant de cette assemblée de dieux, que présidait Anu, leur père commun, où siégeaient le guerrier Bel, leur conseiller ordinaire, Ninib et Nergal, fidèles exécuteurs de leurs volontés. Parmi eux se trouvait aussi Ea, le dieu de la sagesse. Ce fut lui qui, en cette circonstance, se fit le héraut des dieux et publia leur décision :

« Argile, argile, s’écria-t-il, amas de poussière, amas de poussière ! Argile, écoute ; amas de poussière, entends ! Homme de Shuruppak, fils de Ubara-Marduk, construis en hâte un vaisseau, quitte là tes biens, écarte tout ce qui t’est étranger, pour ne t’occuper que de toi-même et sauver ta vie. Aie soin, cependant, d’embarquer avec toi les différentes espèces d’êtres animés. Quant au vaisseau, construis-le suivant des proportions réglées, de telle sorte que la longueur en soit égale à la largeur. Dès qu’il sera achevé, tu le mettras à flot. »

J’avais tout compris d’un mot. A travers ces paroles, je devinai qu’il se tramait, là-haut, parmi les dieux, quelque complot contre les hommes. Je dis lors à Ea, mon seigneur :

« Mon dieu et maître, en toi, tu le sais, j’ai mis ma confiance, je ferai ainsi que tu l’ordonnes. Mais ces préparatifs attireront, sans doute, l’attention des habitants de Shuruppak. Me voyant occupé à une telle besogne, tous, le peuple et les anciens, viendront, en curieux, me demander à quelle fin je destine ce bâtiment. Que dois-je leur répondre ? »

Le dieu Ea dit à son serviteur :

« Tu leur répondras ceci : Le dieu Bel ne m’est point propice, il me traite en ennemi. C’est pourquoi, je ne veux point séjourner plus longtemps dans votre ville, ni poser ma tête sur une terre vouée au dieu Bel. Je vais plutôt descendre vers la mer, établir ma demeure auprès d’Ea, mon seigneur. Donne-leur cependant de tels avertissements : Voici qu’il se prépare contre vous un déluge, qui détruira tout sur la face de la terre, impitoyablement, les hommes, les oiseaux, les bêtes jusques aux poissons. Vous reconnaîtrez que le déluge est proche à ce signe, fixé par Shamash lui-même : Dans la nuit qui précédera un tel désastre, Celui qui assemble les nuages fera tomber sur vous une pluie d’orage. Donc, veillez, prenez bien vos précautions, tandis qu’il est encore temps... »

Le lendemain, dès que le jour parut, je m’empressai d’accomplir les ordres d’Ea, mon seigneur. Tout d’abord, je prévins de ce qui allait arriver, les habitants de Surippak. Mais ils m’écoutèrent d’une oreille distraite, et ne tinrent aucun compte de mes salutaires avertissements. Puis, je me mis à l’œuvre. Ayant réuni sous ma main tous les matériaux nécessaires, je travaillai sans relâche, si bien, qu’en moins de cinq jours, je vis se dresser la charpente de mon navire. La hauteur des parois de la coque était de dix gar, les dimensions du toit mesuraient pareillement dix gar. Je prenais garde, en effet, de ne point m’écarter du plan tracé par le dieu Ea, et je me souvenais de sa parole :

 

« Construis le vaisseau suivant des proportions réglées,

de telle sorte que la longueur soit égale à la largeur. »

 

Une fois que j’eus ainsi disposé la charpente, j’en reliai les parties entre elles. Dans le vaisseau, je ménageai six étages, qui comprenaient chacun sept chambres séparées. Au milieu, je disposai un lit de roseaux épineux, que je fis fouler avec soin. Je passai en revue les avirons et les mis en état. Enfin, j’enduisis les parois, en répandant, à l’extérieur, six sares de bitume et trois sares de naphte, à l’intérieur.

Le vaisseau une fois équipé, pour couronner l’œuvre, j’organisai une fête. Rien n’y manquait. Les hommes-canéphores me livrèrent, pour la circonstance, jusqu’à trois sares d’huile. Or, là-dessus, j’en prélevai un seulement pour servir au sacrifice, et je mis les deux autres à la disposition du pilote.

Tous les jours, on égorgeait des bœufs et des moutons. Grande était la joie parmi mes hommes. Ils faisaient couler à longs flots le moût, l’huile et le vin. Ils en usaient comme de l’eau du fleuve. Une vraie fête de nouvel an...

Pour moi, ayant achevé mon œuvre et mené à bonne fin une aussi difficile entreprise, je trempai mes mains, en guise de purification, dans l’huile sainte.

La fête terminée, je fis mes derniers préparatifs. Après avoir, pour plus de précaution, garni de fascines, le haut et le bas du vaisseau, je procédai au chargement. Je le remplis de tout ce que je possédais, j’y entassai tout ce que j’avais en fait d’argent et d’or ; j’eus soin aussi, pour me conformer aux ordres d’Ea, mon seigneur, d’embarquer avec moi les différentes espèces d’êtres animés. Je fis monter en outre dans le vaisseau toute ma maisonnée, ma famille et mes gens ; bêtes et hommes je fis tout monter.


 

LE DÉLUGE

Puis, je me tins prêt à partir, n’attendant plus que le signal fixé par Shamash lui-même. Elles retentissaient encore à mes oreilles, les paroles d’Ea, mon seigneur :

« Dans la nuit qui précédera le déluge, Celui qui assemble les nuages, fera tomber une pluie d’orage. Alors, entre dans le vaisseau et fermes-en la porte derrière-toi. »

Le signal annoncé ne tarda pas à paraître. Dans la nuit, en effet. Celui qui assemble les nuages fit tomber une pluie d’orage, d’où je compris que le déluge était proche. C’est pourquoi, dès la pointe du jour, saisi de frayeur, vite, j’entrai dans le vaisseau et en fermai la porte derrière moi. La porte une fois bien verrouillée, je commis aux soins du pilote, Puzur-Bel, le navire avec tout ce qu’il renfermait.

Or, voici qu’aux premières lueurs de l’aube, je vis de gros nuages noirs émerger peu à peu au-dessus de l’horizon, et s’avancer vers le haut du ciel, majestueusement. On eût dit d’une procession triomphale se déroulant dans les airs... Du sein de la nue, Ramman brandissait le tonnerre. Nabu et Marduk ouvraient la marche. A leur suite, allaient les dieux justiciers courant par monts et par vaux, à grandes enjambées, à la façon des géants : Nergal arrachant, brisant tout ce qui lui faisait obstacle, Ninib soulevant et faisant voler en tourbillon tout ce qui se rencontrait sur son passage. Bientôt les émissaires de Ramman, étant montés au ciel, chassèrent la lumière et répandirent les ténèbres sur la face de la terre.

Dès le premier jour, l’ouragan sévit avec une extrême violence. Ce fut comme une terrible mêlée, aussitôt suivie d’une débandade effroyable. On eût dit d’une gigantesque bataille, où l’armée des vents ennemis se ruait, d’une ardeur insensée, sur l’humanité en déroute. Dans cette course folle, le frère ne reconnaissait plus son frère. Tous les hommes étaient emportés pêle-mêle par le noir tourbillon. Bientôt, du ciel on ne distingua plus la terre. Alors, les dieux eux-mêmes prirent peur... Craignant d’être atteints par les vagues montantes jusque dans leurs retraites inaccessibles, ils se réfugièrent dans les hauteurs du ciel, demeure d’Ami. Ils se tinrent là tremblants, accroupis, comme des chiens à l’attache dans un chenil.

A la vue du déluge immense, Ishtar se mit à geindre comme une femme en couche. Elle s’écria dans sa douleur, la reine des dieux, la bonne déesse :

« Voici que l’humanité est retournée en poussière, par ma faute, car c’est moi qui ai médit de mon peuple dans l’assemblée des dieux ; oui, par ma faute, car c’est moi encore qui ai déclaré cette guerre de destruction. Hélas ! hélas ! où sont-ils ceux que j’ai enfantés ? Comme du menu fretin, il remplissent la vaste mer. »

Les dieux, voire même les Anunnaki, se lamentèrent avec elle sur le sort de la pauvre humanité. Maintenant, ils se repentaient d’avoir fait le déluge. Ils étaient tous là immobiles, versant des larmes et se couvrant les lèvres en signe de deuil.

Durant six jours et six nuits, le vent ne cessa de souffler, la tempête redoubla de violence...

Cependant aux approches du septième jour, le vent se ralentit, la tempête parut s’apaiser. Il touchait à sa fin, ce combat fatal, qu’avait livré aux hommes l’ouragan en furie. Peu à peu la mer se calma.

Maintenant, le vent était tombé, le déluge avait cessé.

Alors, je pus contempler la mer. A sa vue, un cri s’échappa de ma poitrine oppressée...

Voici que l’humanité était retournée en poussière, et que, devant moi, s’étendait la plaine liquide semblable à un plateau désert !...

Maintenant, j’avais ouvert la lucarne du navire et le jour venait frapper en plein mon visage. Atterré, d’abord, par un aussi affligeant spectacle, je m’affaissai sur un siège et me pris à pleurer. Puis, étant un peu remis de ma première émotion, je parcourus l’horizon du regard... De toutes parts, la mer était ouverte ; seulement, dans le lointain, une terre, formant une sorte d’îlot isolé, émergeait de douze coudées au-dessus des flots.

C’est là que vint échouer le vaisseau, au pays de Nizir. Comme il s’était engagé dans la montagne, il s’y enlisa. Six jours se passèrent ainsi...

Aux approches du septième jour, je lâchai d’abord une colombe : la colombe s’envola puis revint, car elle n’avait pas trouvé de place où se poser. Ensuite, je lâchai une hirondelle : l’hirondelle aussi s’envola puis revint, car elle non plus n’avait pas trouvé de place où se poser. Enfin, je lâchai un corbeau : le corbeau s’envola et, ayant trouvé des eaux stagnantes, il s’en approcha, pataugea dans la boue et ne revint pas.

Alors, je procédai au débarquement. Je dispersai aux quatre vents du ciel, toutes les espèces d’êtres animés renfermées dans l’arche.


 

L'ASSEMBLÉE DES DIEUX

Puis, reconnaissant envers les dieux qui m’avaient sauvé la vie, j’offris un sacrifice sur le sommet même de la montagne. J’avais disposé avec ordre et en nombre des vases propitiatoires, au-dessous desquels, je versai en abondance des grains de cannelle, de résine et des siliques. La fumée de mon holocauste monta droit jusqu’au ciel. Ce sacrifice fut pour les dieux un sacrifice d’agréable odeur. Je les vis, en effet, se ramasser en grappe, comme un essaim de mouches, au-dessus de l’autel et les narines dilatées, aspirer délicieusement ce parfum suave... Au moment où s’avança la grande déesse, revêtue de magnifiques ornements, chef-d’œuvre d’Anu, reflet de sa splendeur |...] je dis à voix haute :

« Oui, que les dieux accourent en foule à mon sacrifice, qu’ils y viennent tous, à l’exception de Bel, celui qui fit inconsidérément le déluge et voua mon peuple à la perdition. »

Tous les dieux répondirent à mon appel. Parmi eux se trouvait aussi Bel, le guerrier... Dès qu’il aperçut le vaisseau, il entra dans une grande colère, digne des Igigi eux-mêmes :

« Quel est celui d’entre les dieux, s’écria-t-il, qui a osé enfreindre mes ordres ? Qui donc s’est mêlé de conserver la vie sur la terre ? Qu’aucun homme ne survive à ce désastre ! »

Ninib, le premier, prit la parole et dit à Bel, le guerrier :

« Qui donc a pu faire la chose, si ce n’est Ea ! Ea ne connaît-il pas tous les artifices ? »

Ea, se trouvant mis en cause, prit la parole à son tour. Tout d’abord, il adressa de vives objurgations au dieu Bel, sur ce qu’il avait fait le déluge, sans y avoir mûrement réfléchi, puis il nia la vérité du fait allégué par Ninib contre lui :

« Toi, s’écria-t-il, le chef des dieux, le puissant guerrier, pourquoi fis-tu le déluge inconsidérément ? Pourquoi envelopper ainsi dans une même ruine les bons et les méchants ? Est-il juste d’imputer la faute à qui ne l’a pas commise ? Que le pécheur expie lui-même son péché ! Que le coupable subisse tout seul le châtiment qu’il mérite ! Même envers le pécheur et le coupable, use d’indulgence et de longanimité ; ne le fais point périr ! Surtout ne fais pas de nouveau déluge ! Plutôt que de faire un nouveau déluge, que les lions et les léopards fassent irruption et diminuent la race nombreuse des hommes, que la famine et Nergal lui-même surviennent et ravagent la contrée !... Quant au décret des grands dieux, ce n’est pas moi qui l’ai révélé. J’envoyai seulement à Atrahasis un songe, par où il devina, de lui-même, ce qui se tramait parmi les dieux contre les hommes. »

Ea avait parlé avec adresse. Le dieu Bel, frappé par la vérité de ce raisonnement, rentra en lui-même. Un instant, il parut réfléchir, puis, prenant une résolution subite, il me saisit par la main et me fît monter avec ma femme sur le vaisseau. Alors, ayant ordonné à celle-ci de se tenir inclinée à côté de moi, il nous toucha tous deux au front, et, s’étant placé entre nous, il nous bénit, disant :

« Auparavant, Samas-napistim était un homme, désormais, Samas-napistim et sa femme seront des dieux comme nous. Et ils demeureront au loin, à la bouche des fleuves. »

Sur ce, Bel, le guerrier, nous emmena et lui-même nous établit au loin, à la bouche des fleuves.

Le déluge babylonien, par Jules-Justin Sauveplane
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