27 Novembre 2023
L'épopée finnoise du Kalevala est probablement plus « authentique » que l'Edda scandinave. On y retrouve, avec bien moins d'influences abrahamiques, des mythes primordiaux, comme le plongeon cosmogonique, la femme tombée du ciel, l’œuf cosmogonique, la femme-monde, la mère du monde, le démiurge musicien, la trinité sacrée des dieux primordiaux, ... Le brillant compilateur de ces chants populaires finnois et caréliens est le linguiste amateur Elias Lönnrot (1802-1884), considéré comme l'un des pères de la langue et de la nation finlandaises.
Par Matthieu Auguste Geffroy dans La Finlande et le Kalevala, chants et traditions populaires des Finnois
Il y a deux régions diverses et ennemies : le pays de Kaleva, patrie des héros et des dieux, et celui de Pohjola, demeure des trolls et des mauvais génies. Pohjola recèle cependant une merveille, une jeune fille, dont les héros ennemis brigueront la conquête.
« Gloire de la terre, parure de l’onde, elle est assise sur la voûte de l’air, appuyée sur l’arc-en-ciel, resplendissante dans ses vêtements blancs. Elle tisse un tissu d’or, un tissu d’argent, avec une navette d’or, avec un métier d’argent. »
Wäinämöinen le premier tente l’expédition ; mais plusieurs épreuves lui sont imposées : il doit fendre dans sa longueur un crin de cheval avec un couteau sans pointe, il doit ensuite construire un bateau magique. Pendant qu’avec sa hache il travaille à ce bateau, il lui arrive de se blesser au genou. Le sang coule ; il a beau multiplier les incantations et réciter les runes de la science : il a oublié les paroles spéciales, c’est-à-dire les paroles révélatrices du fer, celles qui peuvent le maîtriser et guérir les blessures de l’acier bleu. Il va donc trouver un savant vieillard, auquel, pour lui raviver la mémoire, il raconte à nouveau les origines du fer, comment le fer, caché dans la vase humide des marais, a vu sa retraite mise à découvert quand le loup s’est élancé, quand l’ours a piétiné. Le forgeron divin, Ilmarinen, a découvert le germe du fer, la semence de l’acier : il l’a pris dans sa forge ; sous la puissance merveilleuse du feu, le fer s’est liquéfié comme une bouillie, s’est enflé comme une écume, s’est étendu comme une pâte de seigle, puis le forgeron a jeté un peu de cendre dans l’eau qui devait durcir le fer. Il a goûté cette eau avec sa langue, et il a dit : « Cette eau ne saurait m’être utile pour former l’acier. »
Aussitôt Mehiläinen, c’est-à-dire l’abeille, s’est élevée du sein de la terre, l’aile bleue a surgi d’une touffe de gazon. Elle vole, elle se pose près de l’atelier du forgeron. Ilmarinen lui dit : Mehiläinen, légère créature, apporte-moi du miel sur tes ailes, du miel sur ta langue, du miel extrait du suc de six fleurs, de sept tiges de gazon, pour l’acier qui doit être préparé, pour l’acier qui doit être durci.
Pendant ce temps, Herhiläinen, c’est-à-dire la guêpe, était là qui épiait à travers le toit d’écorce de bouleau l’acier qui devait être préparé, le fer qui devait être durci. Elle se glissa, en assourdissant son bourdonnement, jusqu’au vase destiné à tremper l’acier, à durcir le fer, et y répandit les matières fatales : le venin mortel du serpent, la sanie du ver, la bave brune de la fourmi, les sucs funèbres du crapaud.
Parmi les conditions imposées à Wäinämöinen était comprise encore la construction d’un instrument ou d’un objet symbolique destiné à jouer un grand rôle, dans le poème, et qu’il faut considérer probablement comme une sorte de corne d’Amalthée ou de palladium répandant autour de soi toutes prospérités et toute richesse.
« Peux-tu me forger un Sampo, un Sampo au couvercle splendide ? Peux-tu le forger avec les pointes des plumes d’un cygne, le lait d’une vache stérile, un petit grain d’orge, un flocon de la laine d’une brebis féconde ? »
Wäinämöinen n’était pas forgeron : il promit d’envoyer le second héros, Ilmarinen, le forgeron divin. À peine arrivé dans le pays de Pohjola, Ilmarinen s’acquitte avec succès et de la fabrication du merveilleux talisman et de trois autres entreprises que la reine de ces lieux lui impose : labourer un champ rempli de vipères, museler les deux monstres du séjour des morts, capturer le grand poisson du fleuve infernal. La jeune fille l’a secouru dans ces travaux par ses utiles avis, elle l’accepte comme époux. Bientôt donc on procède à la célébration des noces, et le chant du Kalevala qui les raconte offre un morceau célèbre, souvent récité à part, aussi bien que le fragment sur les semailles et les strophes sur l’origine du fer que nous venons de citer. C’est de l’origine de la bière qu’il s’agit ici. « La bière est issue de l’orge, l’illustre boisson est née du houblon ; mais elle ne serait pas venue au monde sans le concours de l’eau, sans celui de la flamme ardente. Le houblon a été planté tout petit dans la terre, la jeune plante a grandi, la verte tige s’est développée, elle a grimpé le long d’un arbrisseau et s’est élevée jusqu’à sa cime. L’orge a été semée, l’épi a germé merveilleusement, la plante a poussé d’une façon admirable au milieu du champ défriché par le feu. Après quelque temps, le houblon a murmuré du haut de l’arbrisseau, l’orge a soupiré au milieu du champ, l’eau a parlé du fond de la source, et ils ont dit : « Quand nous unira-t-on ? Quand serons-nous à côté l’un de l’autre ? La vie solitaire est triste : il vaut bien mieux s’unir à deux, s’unir à trois. »
La fille prit six grains dans une gerbe d’orge, sept boutons de houblon, huit pots d’eau, puis elle fit cuire son mélange durant tout un long jour d’été à la cime d’un promontoire nébuleux, à l’extrémité d’une île ombragée. Elle en prépara plein un vase nouvellement fabriqué, plein une cuve en bois de bouleau. Ainsi elle brassa la bière, mais il lui manquait de quoi la faire mousser. Elle envoya donc l’écureuil chercher des pommes de pin ; elle envoya Mehiläinen, l’agile abeille, recueillir le miel d’une fleur d’or qu’elle lui révéla. Les pommes de pin et le miel à peine jetés dans la cuve, la bière se mit à mousser, la fraîche boisson commença d’écumer. Elle s’enfla jusqu’aux bords en s’écriant :
« Oh ! s’il venait maintenant, mon buveur ! s’il venait, celui que je dois nourrir, et s’il chantait gaîment quelque bonne chanson ! Si l’on ne m’amène tout de suite un bon chanteur pour que j’entende ses chants joyeux, je briserai tous mes liens, je bouillonnerai de telle sorte que les parois de la tonne voleront en éclats ! »
Cependant la possession du Sampo avait valu au pays de Pohjola richesse et prospérité. Les héros du pays de Kaleva résolurent donc de l’aller ravir. Ils s’adjoignirent pour compagnon Lemminkäinen, qui avait, lui aussi, recherché, mais en vain, la main de la jeune fille. La lutte engagée contre le pays de Pohjola, dont la reine opposait inutilement sa magie et ses sortilèges, se termina par la destruction du Sampo, dont un seul fragment put être sauvé par ceux qui le possédaient naguère tout entier. De là vient, suivant le poème, la misère d’une partie des populations de l’extrême nord.
L’épisode final dont se compose le dernier chant du Kalevala, et qui semble seulement juxtaposé, est très évidemment d’inspiration chrétienne : c’est l’histoire de l’enfantement d’une vierge, nommée Mariatta, au milieu d’une crèche, dans le dénuement et l’abandon. Elle élève parmi les mépris son nouveau-né ; mais à peine a-t-il dépassé son second mois que l’enfant divin fait la leçon au vieux Wäinämöinen, et, après avoir été baptisé, il devient roi de la Carélie. Quant à Wäinämöinen, saisi de colère et de honte, il s’en va errant le long du rivage. Par la vertu de son dernier chant, il se crée un esquif. Il s’assied au gouvernail, se dirige vers la pleine mer, et disparaît parmi les horizons lointains… Mais il a laissé son kantele mélodieux à la Finlande, c’est-à-dire des runes sublimes aux fils de sa race, une joie éternelle à son peuple.
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