Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Enuma Elish, la cosmogonie babylonienne (introduction)

Rédaction des tablettes v. 700 av. J.-C.

Première trace du mythe v. 1800 av. J.-C.

 

Traduction la plus récente de W.G. Lambert, dans Mesopotamian Creation Stories (Eisenbrauns, 2013, disponible en licence créative connue sur internet) depuis les tablettes babyloniennes retrouvées dans la bibliothèque du roi Assourbanipal à Ninive.

Mais aussi : traduction de Leonard William King depuis The Seven Tablets of Creation (Londres, 1902) qui sert de support à une précédente version française qui circule sur internet sans être sourcée et incomplète, bien que très poétique. L.W. King est aussi le traducteur, dans le même ouvrage, de l'hommage à la rivière de création (« An Address to the River of Creation ») et de la variante sur la création de la lune et du soleil.

 

 

Hommage à la rivière de création

Ô fleuve, toi qui créas toute chose,

Toi que les dieux firent jaillir en rendant tes berges fertiles,

C'est en toi qu'Ea, le seigneur des abysses, trouva sa demeure.

Avant que tu sois, le déluge ne pouvait pas être.

Ce sont le feu, la colère, la beauté et la peur,

Qui ont poussé Ea et Mardouk à se réfugier en toi,

Qui est le juge de ceux qui décide du destin des hommes.

Ô fleuve, tu es puissance ! Ô fleuve tu es absolu ! Ô fleuve tu es juste !

 

Tablette I – La naissance des dieux et des démons

« Lorsque Là-haut le ciel n’avait pas encore de nom et qu’ici-bas la terre ferme n’avait pas encore été nommée, il y avait Apsu, le dieu des eaux douces et souterraines, le premier de tous et la déesse du chaos et des eaux salées, Tiamat, de qui tous les dieux naquirent.

Ensemble ils mélangèrent leurs eaux primordiales, à une époque où les prairies n'étaient pas formées, ni les berges fertiles des fleuves. Aucun des dieux n'avait encore été nommé et aucun d'eux ne vivait encore. Aucune destinée n'avait encore été décidée.

Ce sont Apsu et Tiamat qui créèrent les dieux, donnèrent d'abord naissance à Lahmu et Lahamu, les maîtres des étoiles et des constellations. Une fois créée, la vie leur fut insufflée et ils grandirent et se développèrent.

Ensuite furent créés Anshar, l'espace en expansion et Kishar, la Terre, qui surpassèrent en excellence ceux qui les avaient devancés.

Ils vécurent longtemps, lorsqu' Anu, le ciel, leur fils, voulut rivaliser avec ses parents. La puissance d'Anu égalisait celle d'Anshar et celle du fils d'Anu, Ea [Nudimmud, Enki] égalisait tout autant celle son père.

Le champion d'entre tous était donc Ea, qui était profondément sage tout en possédant une solide carrure. Bien plus puissant que son grand-père Anshar, il n'avait nul rival parmi les dieux, ses frères.

La fratrie divine se réunissait en assemblée et bien qu'ils soient frères, des disputes intervenaient souvent et leur rumeur enflait alors pour parvenir jusqu'à Tiamat, qui se mettait en colère. Par leur agitation et leur dance, ils semaient la panique à Anduruna, le domaine divin qu'Apsu et Tiamat avaient fait surgir de l'océan primordial.

Apsu ne parvenait pas à les calmer et Tiamat demeurait silencieuse. Même si leur conduite lui déplaisait, elle voulait les épargner. Apsu fit donc mander Mummu, son vizir et lui dit : « Vizir, toi qui accomplis mes désirs, suis-moi et allons trouver Tiamat. »

Ils s'en allèrent donc trouver la déesse et tandis qu'était rappelée à Tiamat la terrible conduite de leurs fils, Apsu prit la parole et dit à la déesse : « leur attitude m'est devenue déplaisante. Je ne peux plus me reposer en journée ni dormir la nuit. Nous ne leur avons pas fixé de destinée ce qui leur laisse l'occasion d'agir pour eux-mêmes. Je m'en vais donc y remédier et détruire leur mode de vie, afin que règne à nouveau le silence et que nous puissions dormir. »

Quand Tiamat eut entendu cela, elle entra en rage et hurla beaucoup sur son époux, pleurant de désespoir, en proie à un combat contre elle-même, elle s'opposa à son triste plan. « Comment peut-on détruire ce à qui nous avons donné naissance ? Gémissait-elle. Si leur comportement nous cause du tort, corrigeons-les avec retenue ! »

Ce n'était cependant pas l'avis de Mummu le vizir d'Apsu, qui lui-même était mal conseillé par un vizir rebelle. Mummu dit alors à Apsu : « mon père, détruisez donc ces bons à rien, vous retrouverez le calme en journée où vous dormirez la nuit. »

Entendant ces paroles, Apsu fut satisfait et un franc sourire illumina son visage : il avait décidé de détruire les dieux, ses enfants. Mummu étendit alors ses bras autour du cou d'Apsu et s'assit sur ses genoux en l'embrassant.

Ce qu'ils manigançaient fut rapporté aux dieux, leurs fils, lesquels apprirent la nouvelle en frémissant de rage. Puis ils s'assirent calmement et en silence.

Ea, qui excellait par ses connaissances et sa technique, lui qui savait tout, déjoua leurs attaques. Voici comment il fit : il confectionna une arme, la purifia dans l'eau, la chargea d'énergie en récitant des incantations, puis il l'enfonça sur la poitrine d'Apsu, alors que celui-ci dormait profondément depuis que les dieux s'étaient calmés. Ce meurtre plongea Mummu dans une grande agitation, puis Ea coupa les tendons d'Apsu, déroba sa couronne, la mit sur sa tête, puis il l'attacha, l'exécuta et emporta son aura et sa puissance avec lui. Quant à Mummu, il fut arrêté et sévèrement surveillé. C'est donc ainsi qu'Ea prit possession du domaine d'Apsu tout en maintenant Mummu docile comme un chien.

Après qu'Ea eut capturé et massacré ses ennemis en achevant de parfaire sa conquête, il se retira en silence dans son palais. Il fit ériger un temple en l'honneur d'Apsu, le dieu des eaux douces primordiales dont il avait été le vainqueur, et c'est dans ce temple qu'Ea établit ses quartiers.
Ensuite, Ea et sa compagne Damkina [Damgalnuna, Ninhursag] prirent place sur le trône de splendeur. Dans la chambre des destinées, qui est le laboratoire où se créent les archétypes, le plus sage des sages, le sage des dieux, Mardouk [Bel, Baal], fut dès lors conçu.

Mardouk est né dans l'Apsu la plus pure, à partir de l'eau la plus pure. Son père Ea le conçut, sa mère Damkina le porta. Il but aux seins des déesses et une nourrice l'éleva dans la terreur. Sa taille était solide, son regard irradiant. Étant fort dès sa naissance, il grandit rapidement, devint vite viril.

Anu, son grand-père, en souriant le regardait s'épanouir, en conséquence de quoi son cœur se remplissait de joie. Anu enseigna la perfection à Mardouk et celui-ci assuma remarquablement sa position divine.

Puis Mardouk augmenta encore son pouvoir et les dépassa tous dans tous les domaines. Ses membres devinrent incompréhensiblement tout-puissants, de telle sorte qu'il était impossible même à l'imagination de les concevoir et tout aussi difficile aux yeux de les observer. Il avait quatre yeux, quatre oreilles, des flammes sortaient de sa bouche quand il bougeait ses lèvres. Ses quatre oreilles s'agrandirent encore et ses yeux firent de même pour tout englober.

Son visage était à présent bien plus vaste et bien plus beau que celui des autres dieux. Ses membres étaient les plus puissants, sa nature supérieure. Il était revêtu de l'aura des dix dieux, qui exaltait sa puissance : « Mari-uti [amar-utu], mari-utu ! » criaient-ils au passage de celui qu'ils surnommaient : « le fils ! Le fils-soleil ! Le fils solaire des dieux ! » En Tout, ce fut cinquante noms qui furent donnés à Mardouk, qui chacun témoigne d’une facette de sa puissance.

Anu forma ensuite les vents qui soufflent depuis les quatre directions et il les confia à Mardouk en lui disant : « vas-y, fais-les souffler ! » Mardouk, de la poussière, forma un ouragan, et sur la mer fit tellement s’abattre les vents qu'une immense vague se forma, prête à détruire Tiamat.

Acculée, Tiamat s'agitait nuit et jour, tandis que les dieux ne cessaient de la menacer. Ceux-là avaient décidé de la perdre et lui adressèrent ce message :

« Quand Apsu ton époux est mort, tu ne l'as pas rejoint mais tu es restée assise en silence. Les quatre vents furent créés pour te confondre et nous ne relâcherons pas notre vigilance. Tu n'avais aucune considération pour ton mari Apsu, ni pour Mummu, notre prisonnier. À présent tu es seule, et tu dois être dans un très fâcheux désarroi ! Quant à nous, qui ne connaissons pas le repos, tu ne nous aimes pas. Considère donc nos peines, car nos yeux sont cerclés par la fatigue. Brise pour nous l'inamovible ordre de la création, afin que nous puissions nous reposer. Bats-toi, venge-les ! [. . ] »

Tiamat écouta avec attention et ce discours lui plut. Elle répondit alors : « Très bien, si c'est ce que vous voulez, alors créons des démons ! »

Les dieux se réunirent donc en elle et conçurent ensemble le mal, qui aussitôt s’opposa aux dieux qui l'avaient engendré […]. Les démons des forces du mal se rangèrent du côté de Tiamat et frénétiquement, férocement, constamment, ils complotèrent pour provoquer des conflits avec les dieux.

Tiamat, sous la forme de son avatar Hubur, la Mère Océane, la rivière de création [possiblement l'Euphrate], qui de toute chose est la matrice, créa pour ces démons des armes indestructibles, puis elle donna naissance à des serpents géants sans pitié aux dents aiguisées. Au lieu du sang, Hubur fit couler dans le corps de ces créatures du venin, puis elle les habilla d'effroi et les dota d'une immense puissance qui fit d'eux les égaux des dieux. « À présent, que les lâches périssent ! Hurla-t-elle alors à l'attention des dieux qui l'observaient et aux serpents qui se redressaient plein de fougue. Qu'ils tombent et ne se relèvent jamais ! Ajouta-t-elle. »

Ensuite, elle créa Mushmahhu, l'hydre à la fois serpent, lion et oiseau, puis les dragons hybrides Basmu et Ushumgallu. Elle créa au total onze créatures monstrueuses, dont Mushkhushshu le griffon, Ugallu le démon des tempêtes à tête de lion, Uridimmu le chien enragé des enfers, Girtablulu l'homme-scorpion, Kulullu l'homme-poisson et Kusarikku le centaure. Courageux, impitoyables, ignorant la peur, tous ces monstres étaient porteurs d'armes imparables et brûlaient de combattre.

Tiamat les harangua, leur donna des ordres et insista pour qu'ils soient exactement respectés et aucune de ses créatures ne lui résista, tant sa colère était immense.

Parmi les dieux, qui étaient ses enfants, certains s'étaient rangés à son parti, et c'est Kingu, dont le nom signifiait « Mauvais Artisan », qu'elle avait choisi comme chef de son armée. Celui-ci prit donc la direction de ses légions, les entraîna, pourvu à leur ravitaillement, à leur armement, puis il établit un plan de bataille en tant que commandant suprême. Dès lors, Tiamat l'installa sur un trône et lui dit :

« Je t'ai favorisé par un sortilège et j'ai fait de toi le champion des légions divines. Je t'ai transmis la souveraineté sur les autres dieux. Ainsi je t'ai élevé, tu es devenu mon époux, et te voilà glorieux, commande donc et assure-nous la victoire sur les fils d'Anu [Anunnakis]. »

Tiamat confia dès lors la tablette des destinées à Kingu. En accrochant la tablette à sa poitrine, elle lui dit encore : « les ordres que tu as reçus ne changeront pas, il est temps que ta parole soit ferme. »

Une fois que la cérémonie de son intronisation comme commandeur suprême fut terminée, détenteur à présent de la couronne d'Anu, Kingu décréta ce que serait le destin des dieux : « il est temps que vos bouches apprennent à dompter le feu, proclama-t-il alors à l'adresse des Anunnakis, il est tant que le poison s'accumule dans vos bouches et que vous vous étouffiez avec. »

Enuma Elish, la cosmogonie babylonienne (introduction)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article