13 Janvier 2022
RAMA GITA
L'enseignement du roi Rama
Depuis ses premières mentions dans le Mula Ramayana, qui est la première source de sa légende, jusqu'à sa réinterprétation par les brahmanes de la vallée du Gange, deux millénaires plus tard, la figure de Rama a évolué, elle s'est transformée. La réécriture de Ramananda (Adhyatma Ramayana) fit beaucoup pour modifier le mythe purement littéraire de Valmiki en un mythe philosophique puis métaphysique. Ainsi, d'amant valeureux, prototype du prince charmant, Rama devint en deux millénaires un sage impassible, un être divin incarné dans un corps de chair, dont chacune des actions ou décisions est lourde de sens et riche de leçons.
De simple guerrier, Rama est devenu le roi parfait. Le démon Ravana passe alors au second plan, la bataille que Rama mène contre lui n'est plus qu'une étape dans un règne glorieux. Plutôt que sur le combat final, l'emphase est mise sur la gestion du Royaume d'Ayodhya. De roman d'aventures, le Ramayana devient la trame de dialogues philosophiques. En théologie et en philosophie, plusieurs Rama Gita (« Livre de Rama ») ont alors vu le jour, composées sur le modèle de la Bhagavad Gita. Ce n'est plus Krishna qui expose à Arjuna le secret de l'Univers, mais Rama (Dieu, gourou) qui s'adresse à son demi-frère Lakshman (disciple).
Depuis l’œuvre de Valmiki, Rama n'a cessé de prendre de l’importance dans la théologie vishnavite. De nos jours, le nombre de ses disciples peut s'estimer à un demi-milliard d'adeptes. Un être humain sur 14 (7 % de la population totale de la planète) reconnaît donc Rama comme son dieu, ou comme un avatar de son dieu. Ce chiffre s’obtient en prenant en compte le nombre d'hindous s’identifiant à une des nombreuses sectes vishnavites (environ 60 % des hindous, soit 600 millions), en y retranchant une centaine de millions d'adeptes sud Indiens pour qui Rama, divinité de la vallée du Gange, n'est pas si populaire. En effet, si Krishna est universellement vénéré, Rama est une divinité plus typique du nord du sous-continent, en particulier depuis la récupération politique de son mythe à des fins pan-hindoues.
Pour les hindous, Rama est un roi légendaire mais les adeptes de son culte considèrent son existence comme véridique, et situeraient son règne entre -5000 et -1000. Aucun vestige archéologique n'a cependant prouvé cette croyance. Si le sage Valmiki a probablement existé (v. -300 à 300), car on sent dans le Ramayana son empreinte, Rama semble au contraire une pure création littéraire.
D'un point de vue scientifique et rationnel, le roi Rama, c’est-à-dire le roi « éveillé », est donc un personnage apparu tout d'abord sous la forme de l'épopée à la fin du premier millénaire avant notre ère, puis largement diffusé à travers l'Asie, en particulier sous la forme du chant, de la danse (Kathakali), du théâtre et de la sculpture murale. Rama inspirera des courants artistiques aussi disparates que le théâtre de marionnettes de Bali ou la littérature médiévale persane et européenne. En Inde, sa légende fut adaptée en danse, en musique, en peinture, à l’étranger, elle fut adaptée en des dizaines de langues, subissant parfois d'importantes variations par rapport à la version canonique de Valmiki.
Rama est le prototype du héros littéraire autant que mythologique. Il est l’archétype du prince charmant mais aussi du chevalier errant, inlassable redresseur de torts. Il est le héros invincible qui inspirera les personnages du cycle du roi Arthur (Lancelot) mais aussi les romans chevaleresques et courtois perses (Wis et Ramin annonçant Tristan et Iseult) et celto-germaniques (Siegfried). Tous les poncifs du genre sont en effet présents dans le Ramayana : décor boisé et champêtre, peuplé de créatures étranges mi-humaines mi-animales, enlèvement de princesse sans défense, amour contrarié, arme magique (épée ou arc), ultime combat contre un monstre tapi dans son repaire, etc. Doté d'une puissance surhumaine, d'une sagesse imparable, d'une volonté imperturbable, Rama est le champion auquel aucune cause, même les plus périlleuses, ne résiste.
La représentation idolâtre de Rama
Rama est debout, Sita à son côté gauche. Il lui tient la main. Son autre main est armée d'un arc, symbole de l'âme qui est une flèche qui doit être lancée dans la vie par la correcte compréhension de l'Univers et de son cadre dharmique (l'arc). Mais encore, l'arc et son maniement symbolisent l'effort que doit faire le sage pour percevoir la réalité telle qu'elle est vraiment, c’est-à-dire courbée et fuyante. Lakshman apparaît en retrait. Rama est grand, d'allure juvénile et alerte. Mince, musclé, la peau bleue, signe de son lien avec Vishnou et avec le divin. Le bleu foncé en Inde revêtant la même signification symbolique que le pourpre en Occident, c’est-à-dire la marque du divin transcendantal. Ses cheveux sont longs, coiffés en chignon sur le sommet de la tête, à la mode des disciples errant de Shiva. Il porte à ses bras et à son cou des colliers de noix de rudrakash, symboles de Rudra, dieu sauvage et maître de la nature. Son torse est nu, il porte un simple pagne jaune, de la couleur des renonçants et des aryas. Non loin de lui est situé Hanuman qui médite devant un temple de Shiva.
L'idole de Rama est accompagnée de celle de Sita et de celle, plus en retrait sur le côté, de son demi-frère Lakshman, figurant ainsi une triade (Rama étant l'avatar de Vishnou, Sita de Lakshmi et Lakshman de Shesha le serpent cosmique).
RAMA GITA
« Dis-moi ce que je dois faire ? Demanda Lakshman. Rama, océan de vertus, tu es comme une mère qui serait toujours douce avec moi, et comme un père qui serait toujours à mes côtés. Mais tu es aussi mon gourou, qui veille sur moi.
Quels sont tes plans me concernant, moi qui depuis l'aube des temps n'ai toujours été qu'un ignorant ? S'il te plaît console moi et sèche mes larmes. Sans ton aide, toi seul sais tout le mal que je peux faire. Si elles pouvaient s'incarner devant moi, mes mauvaises actions m'apparaîtraient sous les traits d'un visage déformé par la douleur, les yeux rougis par un immense et interminable chagrin.
Sans me demander ma permission, mon esprit s'est déjà hissé jusqu'à tes pieds, ô Rama. Cependant mon ego, lourd de vices et de rancœur, désespérément demeure trop loin de toi.
Ô sage parmi les sages, tu es l'incarnation même de la connaissance, toi qui es la conscience de chaque existence, le seigneur de l'univers, mais qui n'as cependant ni forme intrinsèque ni limite d'aucune sorte. Ta cour est composée de rishis dont l'œil de la compassion est ouvert et qui, semblables à des abeilles, vont et viennent autour de toi en se prosternant à tes pieds.
Seigneur, moi aussi je me soumets à toi, moi aussi j'embrasse tes pieds que tant de yogis contemplent et qui possèdent le pouvoir de délier les liens tissés par le temps. S'il te plaît, enseigne-moi le moyen le plus rapide et le plus confortable de traverser le si vaste océan de l'ignorance. »
Ces paroles prononcées, le roi Rama, qui ne cessait d'aider ses fidèles à dépasser la souffrance qui les accablait, et afin de dissiper la brume dans laquelle vivait son frère, accepta de lui enseigner ce qu'il désirait tant apprendre.
Rama baratta alors l'océan des Védas pour en extraire le nectar qu'il donna à boire à son frère Lakshman qui, par conséquent, devint lui aussi l'égal d'un dieu à la suite de cet entretien.
« Avant toute chose, dit Rama à son frère, il te faut acquitter des obligations morales et domestiques dues à ta caste et au rôle social que tu es destiné à occuper. En se comportant ainsi, ton esprit sera purifié du mauvais karma auparavant accumulé. Ceci associé à une rigoureuse initiation et à une soumission totale envers ton enseignant, et voilà tout ce qui t'est nécessaire pour accéder à la conscience.
Lakshman, tu n'es pas sans savoir, grâce à ton éducation de prince, que la cause primordiale de toute existence est matérielle. Celui qui est attaché à la matérialité de son corps, celui-là agit beaucoup, engendrant par ses actions des conséquences désirables ou indésirables. C'est cela même qui crée la justice et l'injustice lesquelles engendrent respectivement joies et peines, qui invariablement influencent un entourage qui réagira en conséquence. Ainsi, telle une roue, jamais ne s'arrête le processus de la naissance et de la mort que l'on appelle le Samsara.
Les racines du Samsara se trouvent dans l'ignorance de cette vérité, et naturellement, comme le préconisent les écritures et les enseignements, il te faudra d'abord dissiper cette ignorance. Le karma est la somme de tes actions passées, il est le produit de l'ignorance, voilà pourquoi tu dois le vaincre. Le savoir seul est capable de t'aider dans cette tâche, tandis que ton karma, lui, sèmera des embûches sur ton chemin.
L'action quant à elle, ne peut combattre l'ignorance, mais c'est malheureusement à elle que tu t'attaches, ainsi qu'aux fruits de ses actions. Ainsi, d'autres peines s'accumuleront à ta peine, qui te précipiteront pour faire un tour de plus dans la roue du Samsara. Par conséquent, avant d'agir, le sage en quête de vérité s’enquiert de la véritable nature de la réalité.
Si tu persistes à penser que la connaissance est indépendante du karma et que tu peux atteindre ton objectif sans considérer ton karma, sans même jamais y penser, et bien tu te trompes ! Tout comme les rites védiques, qui ne sont efficaces que si un soin a été pris à tous les détails, dont l'identité de celui qui mène la cérémonie n'est pas le moins important, le chemin de la sagesse ne mène vers l'illumination que si l'on suit avec révérence les préceptes des Védas. Or, si les Védas assurent que la connaissance est le moyen d'atteindre le but de toute existence, ils préconisent aussi d'accepter et vivre son karma. Les écritures considèrent même comme un péché de ne pas accomplir son karma.
Les actions portent nécessairement un individu à s'attacher à elles et par là même à s'attacher à son propre corps, tandis qu'au contraire, la connaissance n'est acquise qu'en dissolvant l'ego et donc le corps. Si le désir naît des cinq sens, en revanche la connaissance détruit l'illusion créée par les effets du karma. Avoir conscience de son Soi véritable, avec un cœur pure s'adonner à la contemplation, voici ce qu'est que la connaissance.
Mon cher frère, il faut que tu apprennes à abandonner chacune des activés contraires à la quête de la connaissance absolue, car ces activités sont incompatibles avec elle. Et pour mettre en veilleuse l'activité des sens et les perceptions de l'esprit, il ne te faut contempler que ce Soi véritable, et rien d'autre. Aucune idée, aucune loi, aucun rituel, aucun sentiment, ni aucun amour, ni aucune haine ne doivent te détourner de cette contemplation.
« Tant que tu t'identifieras à ton enveloppe corporelle, continua Rama, tu resteras sous l'emprise de Maya et de ses illusions et tu devras suivre l'effrayant destin préconisé par les Védas. En t'aidant du catalogue des retranchements que proposent les Upanishads, tu dois savoir ce qui est le brahman et ce que n'est pas le brahman. De cette manière, tu apprendras à t’élever au-dessus de ta condition charnelle et tu accéderas à la conscience. Dès lors, tu cesseras tout labeur et toute pénitence pour t'adonner à l'extase.
La cause du Samsara, c’est-à-dire l'incessante et inévitable incarnation individuelle de ce qui est par essence un et universel, peut pourtant être retranchée simplement et sans effort. Tu peux défaire Maya à l'unique condition qu'il n'existe plus, pour toi, de différence entre ton incarnation charnelle et ton âme universelle.
Une fois Maya complètement vaincue par la connaissance du brahman, comment l'illusion pourrait-elle encore venir te troubler ? L'ignorance jamais plus ne réapparaîtra devant toi, car tu seras conscient que ton essence est universelle et qu'il s'agit là d'un savoir absolu qui ne souffre d'aucune dualité.
La conscience de l'absolu est indépendante de toute autre manifestation, de telle sorte qu'elle n’entraîne aucune réaction et n'a besoin de rien que d'elle-même pour exister et permettre la libération du Samsara. Ainsi terrassée, Maya ne se dressera plus devant toi, car tu sauras qu'il n'est pas à l'origine de ton karma.
Cher Lakshman, continua Rama, verse-toi dans la science des Védas et tu y trouveras toutes tes réponses, et bien plus ! Ainsi, tu apprendras que le célèbre Taitiriya Upanishad est clair et catégorique sur ce point : « l'immortalité, ou l'accession à l'essence intemporelle de notre être, n'est possible ni grâce à une amélioration du karma, ni grâce à la descendance, ni grâce aux richesses amassées, mais seulement à travers la renonciation. » Ce à quoi le Brihadaranyaka Upanishad ajoute que « la renonciation seule est l'immortalité ». Comme tu peux donc le constater, la libération totale n'est accessible qu'à travers la juste conscience et non pas en influençant ou en réalisant le karma… En somme, tes actions ne te sauveront ni de la mort, ni du malheur.
Tenter d'influencer son karma en réalisant des rituels et sacrifices n'est pas non plus correct et ne peut être qualifié de quête de l'absolu car cette méthode propose des résultats bien différents… Car si les rituels ont besoin d'une multitude d'accessoires pour être menés à bien, le chemin de la connaissance ne demande aucun équipement pour être emprunté.
À travers ce processus de recherche, tu réaliseras clairement la véritable nature de ton identité, et tu vivras dans l'extase et le bonheur de te connaître vraiment. Tu oublieras même tes douloureuses expériences passées, tandis qu'au-dessus d'elles, il rayonnera une lumière qui ne faiblira pas… Tu vivras alors dans une permanente béatitude, suprêmement libre, et tu deviendras un océan de sérénité…
C'est en méditant de manière rigoureuse et continuelle que tu te libéreras de tous tes liens. Une fois libre, tu vivras le reste de sa vie sans t'apparenter à ton corps ni à tes sens, jusqu'à ce que tu finisses par te fondre en Vishnou, qui est l'identité supérieure de l'existence.
Comme un fleuve se jette dans la mer, comme un gaz se dissout dans l'air, comme l'espace s'ajoute à l'espace, et alors que tout se mélange pour ne plus devenir qu'une seule chose, tu verras dans la pluralité de l'univers une seule et même unité. C'est alors que tu connaîtras l'illumination en t'unissant à l'être suprême.
« Ne pas suivre son karma est un péché ! » voilà la baliverne que l'on enseigne aux ignorants… Mais les sages qui ont compris que leur véritable nature n'est pas active mais passive, pour se conformer à leur essence universelle, renoncent à leur karma, qui est pourtant prescrit par les Védas. Ainsi, Valmiki n'a-t-il pas oublié sa condition et son devoir pour entrer dans la voie qui le mena à Brahma ?
Un homme de pur esprit, doté d'une foi inébranlable, pleinement conscient de ce qu'il est, grâce à la précieuse aide d'un maître spirituel, comprendra que son âme n'est autre que l'âme universelle et éternelle de l'univers. C'est en comprenant cela qu'il connaîtra le bonheur suprême et que, solide comme le mont Méru, il demeurera imperturbable en toutes circonstances.
Le sage, en rejetant ce qui le rapproche ou l'écarte de son essence universelle, comprend que sa véritable nature est divine, intemporelle, infinie et sans obstacle. Une fois qu'il a compris que sa véritable identité n'est autre que celle du brahmane, entité supra matérielle à laquelle il a pu s'initier en suivant la méthode des retranchements, le sage va pouvoir se fondre en elle pour ne plus faire qu'un avec elle.
Sachant cela, Lakshman, il te sera difficile de tout abandonner, de tout rejeter, de même que de tout accepter.
Lakshman, cesse de te tourmenter. Il te faut apprendre à ne plus faire de différence et à penser que tout se vaut. Voici le grand secret, l'essence même des Védas, que j'ai comme tu le sais étudiés, assimilés et appliqués à chaque instant de ma vie.
À présent, va, et réfléchis à tout ce que je t'ai dit, tu devrais être en mesure de te libérer du poids du vice et de l'erreur que tu portes en toi, car ce que je viens de t'enseigner, c'est la véritable et complète connaissance de la réalité et le chemin spirituel qu'il convient d'emprunter pour la traverser. Trouve-toi donc un gourou, étudie avec lui tout ce dont je viens de te parler, et si vous avez confiance en mes paroles, vous pourrez rejoindre Vishnou au Vaikuntha. »
RAMA GITA
« Pour satisfaire son corps, un homme voue ses jours et ses nuits à poursuivre toutes sortes d'activités qui lui sont néfastes. Comment se peut-il qu'il n’ait toujours pas compris qu'il n’est pas uniquement son corps ? Et si certains savent cette vérité, comment peuvent-ils se complaire ainsi dans le plaisir des sens ? » demanda Lakshman.
« Lakshman, mon frère, mon plus fidèle compagnon, je vois bien ta détresse, mais que puis-je te dire d'autre que ceci : comme les gens s'assemblent et se dispersent autour du point d'eau, dans une rivière, les branches qui dérivent suivent le courant, se rapprochent puis se séparent… De la même manière, s’associent père, mère, fils, frère, femmes et amis… Ne sais-tu pas, cher Lakshman, que ces associations sont généralement de courte durée et toujours suivies d'une inévitable séparation ?
La fortune est fugace comme une ombre, la jeunesse est instable comme une vague, l'orgasme sexuel est bref et illusoire, comme l'est un rêve.
Regarde donc ces gens qui s'activent entre le marché et leur terrasse. Quand bien même ils sauraient que leur vie est courte, ils sont fanatiquement attachés à leur corps. Jour après jour, la vie d'un homme s'écourte un peu plus. Il sera la témoin de sa vieillesse et de la mort des autres. Et malgré tout, il ne se sera toujours pas éveillé. Incapable de réaliser que chaque jour et que chaque nuit qu'il vit réduit un peu plus la portion de la vie qu'il lui reste à vivre, le fou se complaît jour et nuit dans la jouissance de ses sens. Il ne réalise pas que sans cesse le temps coule, emportant avec lui sa vie.
La vie est aussi évanescente qu'une goutte d'eau tombée sur une plaque de métal chauffée à blanc et le plaisir provoqué par les sens est comme le flash d'un éclair dans les noirs nuages…
L'homme est une grenouille, qui même prise au piège dans la gueule d'un serpent, essaie encore d’attraper des insectes. De la même façon, celui qui est déjà entre les mâchoires de la mort cherche encore à se réfugier dans le plaisir des sens.
La vie s'écoule alors comme de l'eau dans un seau troué. Un flot de maladies, comme autant d'ennemis, assaillent alors le corps. La vieillesse le fixe alors de ses yeux de tigre et la mort est sur ses pas, prête à intervenir au moment propice.
En vérité, ce que nous ont appris nos batailles, c'est que le Samsara ressemble à un rêve où régneraient la maladie et la misère. La vie, mon cher Lakshman, ce n'est rien de plus qu'un château de cartes que seul un fou prendrait en considération.
L'ignorance est la cause du cycle des naissances et des morts (samsara). La connaissance est ce qui peut y mettre un terme. Ainsi, ceux qui veulent se libérer de la mort doivent sans relâche rechercher à acquérir cette sagesse, et c'est en suivant ce chemin qu'ils éviteront de rencontrer l'envie et la colère.
Si tu n'y prends garde, la colère a elle seule peut transformer ton chemin en impasse et t'empêcher tout espoir d'être un jour libéré. Celui qui écoute sa colère peut même en arriver à tuer ses parents et ses amis.
La colère est une source d'inquiétude, elle attache un individu à son samsara et entrave tout ce qui est bien et juste. Lakshman, il te faut donc cesser immédiatement de te mettre en colère ! Sinon, la rancœur sera l'arc dont se servira de ton adversaire et la convoitise t'emportera comme la rivière Vaitarna qui emporte les âmes aux enfers.
Au contraire, borne-toi à résider au verger du jardin de Kadamba, là où poussent les fruits de la connaissance à l'état pur. Aux mamelles de la vache céleste, bois donc la paix qui étanchera la soif créée par tes désirs.
C'est de cette manière Lakshman, que tu seras en paix et que tu auras vaincu tes ennemis. »
Réconforté, le cœur à nouveau rempli d'espoir, Lakshman prit congé de Rama en lui embrassant les pieds afin de le remercier de lui avoir enseigné une si belle doctrine.
« Seigneur, lui dit-il, tu es la Terre, tu es l'espace dans lequel elle flotte, tu es le vent qui traverse cet espace, tu es le feu et l'eau. Tu es la raison d'être et la force motrice des éléments primordiaux. Ta grandeur est sans égale et c'est toi qui fus le vainqueur du démon Ravana qui, poussé par son ego, voulut te combattre.
Alors que je t'écoutais, Vishnou est entré en moi et il a pris possession de mon esprit : à présent je vois clairement la véritable nature de mes actes, je comprends la portée de mes pêchés. Toutes ces pensées qui ont pu si fièrement diriger ma vie, toutes ces pensées qui jadis me torturaient, elles s’enfuient de mon esprit, ne trouvant plus aucun espace où se cacher. »
Sélection de la Bhagavad Gita et de la Rama Gita
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Michel Cazenave - Atman et pensée indienne (Continents intérieurs)
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