23 Décembre 2021
Dans ce conte du Dolopathos (13e siècle), le cerf est un média que Dieu utilise pour forcer le destin des hommes. Tout comme la chasse au sanglier, la chasse au cerf va entraîner le héros dans un enchaînement d'aventures :
Il prit un jour ses braques et ses limiers pour aller chasser. Les veneurs lâchèrent les meilleurs chiens courants pour suivre la piste. Le damoiseau montait un grand cheval de chasse, un cor à son cou et une épée au côté avec laquelle il avait mis à mort maintes bêtes sauvages. Au sortir d'un sentier forestier, ses chiens ont flairé la trace d'un grand cerf plus blanc que neige. La chasse s'annonçait bonne et fertile en rebondissements car le cerf s'était mis en fuite. Les uns cornent, les autres crient et les chiens aboient de concert en faisant retentir la forêt. Le damoiseau se lança à la poursuite du cerf ; c'était lui qui le suivait de plus près. Mais le cerf blanc connaissait la contrée par cœur. On comptait bien dix andouillers sur ses cornes ; il était très vieux et grand et gros. Il aplatit ses cornes sur son dos et s'enfuit, tête levée, au plus épais des fourrés. Le damoiseau le suivait du plus vite qu'il le pouvait en s'appliquant à ne pas perdre la trace. Et le cerf s'enfuyait toujours. Tous les chiens perdirent bientôt sa trace. La forêt était épaisse et drue. Le damoiseau eut bientôt perdu de vue ses compagnons et il ne sut plus où étaient ses chiens. Il se trouvait dans une profonde vallée. Il éperonna son cheval et plusieurs fois sonna du cor pour appeler ses gens et ses chiens dont il n'avait plus aucune nouvelle. Mais il eut beau sonner du cor, personne ne lui répondit. Il chevaucha à bride abattue dans toutes les directions de la vallée et fit souvent résonner la forêt et le vallon de ses appels de cor.
Il chevaucha tant à l'aventure dans la forêt qu'il parvint à une fontaine dont l'eau claire et belle courait sur un lit de graviers. Là se trouvait une fée qui avait quitté ses vêtements pour se baigner dans l'eau claire, seule et sans la moindre compagnie. Elle était svelte et belle ; elle avait des bras, un corps, un visage magnifique. En un mot, je vous dirai que jamais n'en exista de plus belle.
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« Après la guerre de Troie, Énée, fuyant avec Ascagne après la destruction de leur ville, s’embarqua pour l’Italie. Là, il fut honorablement reçu par le roi Latin, qui dut faire face à la haine de Turne, roi des Rutules, qui lui fit alors la guerre. Après leur combat, Énée remporta la victoire. Après avoir tué Turne, il obtint le royaume d’Italie et, avec lui, Lavinie, fille de Latin. Après sa mort, Ascagne régnant sur le royaume, bâtit Albe sur le Tibre et engendra un fils nommé Silve, qui, à la recherche d’une femme à aimer, épousa une nièce de Lavinie. Peu de temps après, celle-ci fut enceinte et son beau-père Ascagne, qui fut averti de cela, fit venir ses astrologues pour connaître le sexe de l’enfant. Quand ils eurent trouvé, ils lui dirent qu’elle donnerait naissance à un garçon, qu’il tuerait père et mère, et après avoir voyagé dans de nombreux pays suite à son exil, il parviendrait enfin au sommet de la gloire. Les magiciens ne se trompèrent dans leur prédiction : car le moment venu, la femme fut accouchée d’un fils et mourut en donnant naissance ; mais l’enfant fut ensuite donné à une nourrice et appelé Brut.
Quinze ans passèrent, le jeune homme accompagna son père à la chasse, et le tua sans le vouloir par le tir d’une flèche. Tandis que les serviteurs amenaient un cerf en leur direction, Brut en le visant frappa son père sous la poitrine. À sa mort, le garçon fut expulsé d’Italie, ses parents étant courroucés d’un acte aussi odieux. Ainsi banni, il se rendit en Grèce, où il trouva la postérité d’Hélène, fils de Priam, tenue en esclavage par Pandrase, roi des Grecs. » Geoffroy de Monmouth. Historia regum Britanniae, livre 1 (Histoire des rois de Bretagne, 1335). Trad. d'après A. Thompson, revue par J. A. Giles.