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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

La COSMOGONIE perse - de Zurvan à Saoshyant

L’histoire des peuples anciens, même de ceux dont les annales ont été écrites et recueillies avec un soin intelligent, se perd toujours à son origine dans des fables plus ou moins obscures ; il y a un point où les plus grands fleuves, quand on remonte vers leur source, cessent d’être navigables, où l’œil ne fait qu’entrevoir le filet d’eau au flanc des pics brumeux.

Théodore Pavie, Les Trois Religions de la Chine

La théogonie mazdéenne (ou zoroastrienne) est une gnose aryenne fortement influencée par la Mésopotamie et sa capitale religieuse Babylone. Cette influence est double : une première fois elle s'exerce sur Zarathoustra lui-même, vers -1700, et une seconde fois elle s'exerce sur l'Empire perse achéménide, maître de la cité sainte, vers -539.

Ce que l'on nomme le dualisme perse et qui repose sur l'opposition et la complémentarité entre Ahura-Mazda l'esprit saint et Ahriman l'esprit du mal (Angra Mainyu) sera aussi à la base de la doctrine manichéenne. En outre, on remarque dans la mythologie mazdéenne le vestige d'un écosystème circumpolaire, typique de celui des Proto-Indo-Européens originaires de Sibérie ; une ère glaciaire s’abat sur le monde, dont le seul refuge est une caverne artificielle creusée dans la terre. Les héros des récits perses sont des personnages marqués par la lutte entre le bien et le mal, tiraillés, divisés, qui passent leur vie à fauter et qui meurent pécheurs. Ce sont des âmes damnées qui meurent dans la décadence et le mal, victimes d'un combat entre le dieu d'amour lointain et le dieu proche et méchant, incapable de créer mais tout-puissant dans sa corruption.

Zurvan, Ahura-Mazda et Ahriman

Alors qu'il n'y avait rien, il y avait Zurvan, le Temps. Il est la cause première ; le passé, le présent et le futur de toute chose. Il n'a ni nom, ni genre, ni passion. Il réside en dehors de l'Univers bien que le soleil soit sa manifestation physique.

À chaque fois qu’émergeait du chaos un monstre, Zurvan le sacrifiait aussitôt, car le Temps désirait donner naissance à une créature qu'il puisse appeler son fils et pour cela, il faisait des sacrifices, d'innombrables sacrifices. Mais en vain.

En lui germa un doute : et si tous ces rituels n'avaient aucune utilité ?

C'est alors que Khvashizagh, son pendant féminin céleste, la Grande Gardienne de l’éther, vint lui annoncer qu'elle était enceinte. Un fils allait naître d'elle, il serait parfait, lumineux, juste et puissant : ce sera Ahura-Mazda, le Seigneur Juste et Sage. Cependant, comme Zurvan avait laissé le doute l'envahir tandis qu'il souhaitait la venue d'Ahura-Mazda, un autre enfant était lui aussi en gestation : Ahriman, son jumeau maléfique. C'est ce dernier qui deviendra Angra-Mainyu, l'esprit du Mal, le dévastateur de l'Univers.

Heureux que de l’Éther jaillisse bientôt une créature à sa mesure, Zurvan fit la promesse de donner à son premier né la gouvernance de l'Univers à créer.

Dès qu'il eut entendu ce serment, voulant voir son père dans toute sa splendeur, mais surtout motivé par l'envie de devenir empereur avant son frère, Ahriman déchira le ventre de sa mère et apparu tel qu'il était : difforme, puant, absolument dégouttant. Les doutes que son père avait nourri pendant sa gestation avaient fait de lui l'incarnation même du vice et de l'abomination.

Zurvan lui demanda : « Qui es-tu ?

- Je suis ton fils, lui répondit Ahriman.

Mais Zurvan répliqua :

- Le fils que j'attends devait sentir bon et être la plus belle et la plus lumineuse des créatures. Toi, tu es sale, ténébreux et puant ! Va-t’en ! »

Sur ces mots, Zurvan chassa Ahriman au plus profond de l'Univers, au cœur même des abysses d'où il espérait que cette vilaine engeance ne sorte jamais.

Puis vint au monde Ahura-Mazda. L'enfant était beau, doux et souriant ; Zurvan le reconnut pour son digne héritier et lui donna comme royaume le ciel ainsi que le domaine immatériel où résident les créatures divines et bénéfiques. Zurvan voulait faire de ce fils-là le maître absolu de tout ce qui existait et qui allait exister, mais à cause de sa promesse il ne le pouvait pas : Ahriman était né le premier et en conséquence, il se considérait comme seul et légitime héritier.

Chassé du ciel, forcé de ramper dans les domaines les plus ténébreux qui soient, Ahriman grandit dans la haine et le désir de vengeance. Il régnait déjà sur l'enfer, bientôt il régna sur la Terre et menaça même la souveraineté d'Ahura-Mazda dans le ciel. Celui-ci était alors occupé à créer l'ordre à partir du chaos ; tâche initiale à toute œuvre créatrice.

Malheureusement, où Ahura-Mazda créait dans la paix et la justice, dans le respect de la loi cosmique, Ahriman s'empressait de ruiner ses efforts et de tout détruire. Où Ahura-Mazda plantait l'amitié, l'immortalité ou la bonté, son jumeau maléfique semait à côté la trahison, la mort et la méchanceté.

La rivalité entre les deux frères ne pouvant être réglée autrement que par un combat à mort, la guerre fut déclarée. Elle devait durer le temps d'un cycle de vie, c’est-à-dire 12 000 ans. À terme, il ne faisait aucun doute qu'Ahura-Mazda retournerait à son père et que tout le bien de l'Univers serait de nouveau uni à l'éon. Le mal n'aurait alors plus rien à corrompre et Ahriman retournerait au néant.

Pour l'assister dans son combat, Ahura-Mazda créa des anges et des archanges, qui prirent la direction des légions célestes. Ahriman, incapable de la moindre inspiration, gavé de haine et de rancœur, était encore seul, mais il comptait sans difficulté recruter son armée dans les rangs mêmes de son adversaire.

La création est un acte de pure sainteté, d'immaculée pureté, et ne peut donc être entreprise que par un esprit bon et juste. Par conséquent, un esprit torturé et malsain ne peut ni créer, ni donner vie, mais seulement détruire et tuer. Ahura-Mazda seul était doté du pouvoir de création, mais Ahriman jouissait en revanche du pouvoir de corrompre… Et pour chacune des créations du frère bénéfique, son pendant maléfique créait une séduction, une perversion, un désir ou un danger correspondant.

C'est ainsi qu'Ahura-Mazda créa Vohu Mana, la Juste Pensée, l'ange du Bien, auquel Ahriman opposa Akatash, la Pensée Mauvaise, le démon du Mal.

De même, à Asha, l'ange de la Loi et de l'Ordre, fut opposé Indar, la violence instinctive et destructrice.

À Spenta Armaiti, la Pensée Sacrée, la Sainte Générosité, l'ange céleste gardien de la vie sur la planète Terre, furent opposés les démons Naonhaithya, l’Arrogance et l’Orgueil, qui ne fertilisent la Terre que si les paysans les honorent de sacrifices sanglants.

À Kshathra Vairya, la Puissance et l’Impétuosité inhérente au camp du bien, la Juste Servitude, s'opposa Sarva, le démon de l'autoritarisme et de l’oppression, du pouvoir subit dans la tristesse.

À l'archange Haurvatat, la Perfection, le Vrai Bonheur, s'opposa Tauru, le démon de la Soif et du Manque.

À l'archange Amerdad, l'Immortalité, gardien des fruits et des légumes qui poussent sur Terre, s'opposa Zauri, la Famine engendrée par la dévastation des champs.

À Atar, feu créateur, immortel et tout-puissant, dans lequel luisait une parcelle d'Ahura-Mazda, s'opposa Araska, le Feu destructeur, dans lequel luisait une parcelle d'Ahriman.

À Sraosha, la Piété, l'ange gardien des pieuses créatures, l'auditeur des prières, s'opposa Aeshma, le démon de colère.

Par ailleurs, émanait d'Ahura-Mazda une odeur de sainteté, mais malheureusement, Gannag Menog, le démon de la puanteur, le suivait partout sans jamais perdre sa trace, gâchant ainsi tout le parfum qui s’échappait du dieu bénéfique.

Enfin, Ahura-Mazda créa la vie, à laquelle Ahriman répondit par la mort. Nasu et ses innombrables mouches cadavériques furent lancés dans le monde. Nasu qui n'est autre que l'agent corrupteur des corps en décomposition.

Dans un premier temps c'est Ahriman qui eut le dessus et assiégea le domaine céleste, mais Ahura-Mazda le repoussa à nouveau au plus bas de l'univers, et l’Esprit du mal dut se contenter de régner sur le monde matériel et périssable tandis que son frère reprenait la direction du monde immatériel et immortel.

Depuis, Ahura-Mazda, devenu Spenta Mainyu, l'esprit du Bien, règne au plus haut des cieux, au-delà même du soleil, dans un lieu aussi éloigné du soleil que le soleil l'est de la Terre. Ahriman, devenu Angra-Mainyu, l'Esprit du Mal, réside quant à lui dans les ténèbres, au cœur même des enfers. C'est là qu'il accueille les âmes des pervers après leur mort et c'est lui qui choisit pour eux la torture que leur feront subir ses diables d'assistants.

 

La Création

Trois mille ans durant, Ahura-Mazda et Ahriman s'observèrent, se défièrent, mais sans combat frontal. Puis Ahriman et son armée tentèrent d'envahir les domaines les plus aériens de l'Univers. C'est alors qu'Ahura-Mazda entonna pour son frère un chant prophétique qui lui annonçait comme certaine sa défaite finale. Désespéré par ces prémonitions, Ahriman chuta à nouveau et demeura 3000 années de plus dans l’abîme, dans un état de totale prostration.

Profitant de ce calme, Ahura-Mazda créa d'abord le ciel, qu'il plaça sous la protection de Kshathra Vairya, l'ange de la puissance bénéfique qui entoura le ciel telle une coquille qui protège un œuf. Il y plaça ensuite les douze constellations : Varak [bélier], Tora [taureau], Font-Patkar [gémeaux], Kalachang [cancer], Sher [lion], Khushak [vierge], Tarazhuk [balance], Gazdum [Scorpion], Nimasp [sagittaire], Vahik [capricorne], Dul [verseau] et Mahik [poisson].

Ensuite, le Seigneur juste et sage créa l'Eau, qu'il confia à la garde d'Haurvatat, l'ange de la pureté, qui aussitôt remplit la moitié inférieure de l'Univers, qui ressemblait donc à un œuf.

Puis Ahura-Mazda créa la Terre, qu'il plaça sous la protection de Spenta Armaiti, l'ange de la générosité et de la bienveillance. Dès lors, la Terre flotta au milieu des eaux primordiales, sous la forme d'un disque arrondie.

Sur ce support, Ahura-Mazda créa des créatures capables de le fertiliser et de le travailler. C'est ainsi que naquirent les plantes et les arbres, puis le taureau primordial, d'où naîtra bientôt le règne animal et enfin Yima, le premier homme.

Les plantes furent placées sous la protection d'Amerdad, l'ange de l'immortalité, le taureau fut placé sous la protection de Vohu Mana, l'ange des pensées pures et saintes et les premiers hommes furent placés sous la protection d'Ahura-Mazda lui-même.

Enfin, Ahura-Mazda plaça le feu sur la Terre, ce qui permit la réalisation de toutes les autres créations. Comme ange gardien, il lui attribua Asha, l'ordre juste de l'Univers.

Durant trois mille ans encore, ces créatures existèrent sans corps, sans mouvement. Même le soleil était immobile dans le ciel. En privant de matérialité ses créatures, Ahura-Mazda les préservait des attaques du démon Ahriman qui, c'était certain, ne manquerait pas un jour d’arpenter la Terre en monarque. L'Esprit incarné du Mal était en effet le roi de tout ce qui s'incarne dans un corps soumis à la destruction.

 

La Création selon le Livre des rois

« Dieu a créé le monde de rien, pour que sa puissance apparût. Il a créé la matière des quatre éléments, il les a fait naître sans peine et sans travail. Le premier est l'élément du feu brillant, qui s'élève en haut ; au milieu est l'air, puis l'eau, et au-dessous la terre obscure. D'abord le feu commença à rayonner, sa chaleur produisit alors de la sécheresse ; ensuite le repos engendra le froid, qui à son tour fit naître l'humidité : la place de ces quatre éléments leur étant assignée, ils formèrent ce monde transitoire. Ils se pénétrèrent l'un l'autre, et des êtres de toutes espèces parurent. La voûte céleste à la rotation rapide se forma, et montra incessamment ses merveilles. Les sept planètes prirent la direction de douze mois, chacune se plaça au lieu qui lui était marqué. La fortune et la destinée s'y révélèrent, et portèrent, comme il est juste, bonheur à ceux qui les comprirent. Les cieux s'enveloppèrent l'un dans l'autre, et commencèrent leurs mouvements lorsque tout fut en harmonie. Avec ses mers et ses montagnes, avec ses plaines et ses vallées, la terre était comme une lampe brillante. Les montagnes s'élevèrent, les eaux descendirent, la tête des plantes s’érigèrent. La terre n'eut pas en partage une situation élevée, elle formait un point central obscur et noir. Les étoiles montrèrent leurs merveilles dans les cieux et versèrent sur la terre leur lumière. Le feu s'éleva vers le ciel, l'eau descendit, le soleil tourna autour de la terre. Les herbes parurent, ainsi que les arbres de toutes espèces, qui élevèrent gaiement leurs couronnes. Ils s'étendent, c'est le seul pouvoir qu'ils ont ; ils ne peuvent se mouvoir de tous côtés comme les animaux. Aussi, lorsque les animaux, purent se mouvoir, ils parurent et foulèrent de leurs pieds toute la végétation. Ils ont l’instinct de la faim, du sommeil et du repos ; ils sont doués de l’amour de la vie. Ils n'ont pas le don de parler avec la langue ; ils ne désirent pas être doués de raison ; ils se nourrissent de broussailles et de feuillages ; ils ne connaissent pas les bonnes et les mauvaises suites de leurs actions, et Dieu, le créateur n'en exige pas obéissance. Comme il est omniscient, tout-puissant et juste, aucune bonne action ne peut rester cachée. Cela est ainsi : personne ni des êtres visibles, ni des êtres cachés, ne sait quelle sera la fin de l'existence du monde.

Après cela apparut l'homme, qui fut la clef de toutes ces choses enchaînées. Sa tête s'élève droite comme un haut cyprès ; il possède la parole qui est excellente, et la raison qui produit les actions. Il est doué de prudence, de sens et de raison ; les animaux sauvages lui obéissent. Fais un peu usage de ton intelligence, considère si le mot homme peut n'avoir qu'un seul sens. Peut-être ne connais-tu l'homme que comme l'être misérable que tu vois et ne lui connais-tu aucun signe d'une autre destination. Mais tu es composé d'éléments des deux mondes, et tu es placé entre les deux ; tu es le premier dans la création, quoique le dernier dans le temps ; ainsi ne t'abandonne pas aux choses futiles. [...] Comment pourrions-nous savoir le secret du Créateur du monde ? Sois attentif, dirige tes regards vers ta fin ; quand tu as quelque chose à faire, choisis pour le bien. Tu dois habituer ton corps à la fatigue, car il te convient de savoir supporter la peine. Si tu veux trouver délivrance de tout mal, si tu veux que ta tête ne soit pas prise dans les lacs de l'infortune, si tu veux rester exempt de malheurs dans les deux mondes, si tu veux faire le bien devant Dieu, observe la voûte céleste à la rotation rapide, car c'est d'elle que viennent le mal et le remède. Le mouvement du temps ne l'use pas, et la peine et les calamités ne l'affectent pas. Elle ne cherche jamais à se reposer de sa rotation ; elle n'est pas sujette à la destruction comme nous : sache que c'est d'elle que viennent les richesses et le grand nombre d’enfants ; c'est auprès d'elle que se manifestent le bien et le mal. » Ferdowsi, Le Livre des rois (Shahnameh).

 

Mithra et le sacrifice du taureau primordial

La première des créatures d'Ahura-Mazda, c’est-à-dire la première matière organisée et animée, fut donc le taureau primordial. Il devait errer sur la Terre et copuler, semer la vie en frappant la Terre de ses sabots, mais Ahriman ne l'entendait pas ainsi. Il essaya de le tuer, envoyant sur lui la maladie, le besoin, la souffrance ; ce qui ne manquait pas de blesser l'animal, qui dépérissait dangereusement.

C'est alors qu'Ahura-Mazda créa un être divin aussi glorieux que lui, aussi lumineux, aussi puissant, aussi juste et aussi digne d'éloges : Mithra, l'archange gardien des promesses, l'incarnation céleste du contrat. Ahura-Mazda lui confia son arme, la foudre, puis il lui donna pour mission de descendre sur Terre pour disputer à Ahriman le destin du taureau primordial.

Soudain, quelque part sur Terre, près d'un cours d'eau, à l'ombre d'un arbre sacré, un rocher reçu la foudre : Mithra en sortit, sous la forme d'un magnifique adolescent portant dans une main une torche enflammée et dans l'autre un poignard. À sa ceinture était noué un baudrier auquel étaient accrochés un arc et son carquois rempli de flèches. Un chien était déjà attaché à ses pas et prêt à la seconder en toutes occasions.

Le Soleil et la Lune bénirent la naissance de Mithra, à laquelle avaient assisté des bergers. Comme ces braves gens avaient soif, Mithra se saisit de son arc et décocha une flèche sur un rocher, qui se fendit pour laisser couler une source d'eau pure. Comme ces bergers avaient faim, Mithra cueillit pour eux un fruit de l'arbre sacré, afin qu'ils puissent satisfaire à la fois l'appétit du ventre comme ceux de la tête et du cœur. Il coupa aussi des feuilles de cet arbre et les leur fit boire en infusion. Ce fut la première boisson du homa, le nectar divin.

Mithra se mit en quête du taureau de vie, mais à son approche, l'animal agonisant s'enfuyait. Après bien des efforts et en particulier grâce au flair de son chien, Mithra le retrouva et le suivit jusque dans la grotte dans laquelle il s'était réfugié. Enfin, il l'immobilisa en saisissant ses cornes et en grimpant sur son dos.

Un corbeau, messager du Soleil, entra dans la grotte et lui ordonna de sacrifier l'animal. De son corps, devaient jaillir les composants essentiels afin que la vie se propage sur Terre. Une fois son message délivré, les plumes du corbeau perdirent leur couleur et devinrent aussi blanches que celle d'une colombe.

Mithra mit donc un genou à terre et sacrifia le taureau en lui plantant son couteau dans la gorge. Un crabe, envoyé par l'Esprit du Mal, avait beau pincer les testicules du taureau, celui-ci ne se débattait pas, ne réagissait déjà plus. Bientôt, Mithra pu desserrer son étreinte mortelle. Le chien de Mithra, accompagné d'un lion, deux animaux nobles et saints, se précipitèrent sur la plaie béante du taureau pour en boire le sang qui s'échappait. Se précipita aussi un serpent, envoyé par Ahriman, mais le lion et le chien le chassèrent aussitôt.

Le sang du taureau se changea alors en vin et pour la première fois sur Terre coula ce doux nectar. Mais encore, des épis dorés sortirent de la queue et de la blessure de l'animal, tandis que les flaques formées par son sang donnaient naissance à des arbres qui croissaient en s'enroulant autour du cadavre. La semence du taureau répandue au sol fut purifiée par la Lune, ce qui eut pour conséquence de donner vie aux différents animaux qui depuis peuplent la Terre.

Les premières créatures qui jaillirent furent une vache et un taureau, puis une paire de tous les animaux qui existent. Chaque couple, Ahura-Mazda le confiait à la Terre. Mille jours et mille nuits durant, ces animaux eurent faim et soif, puis ils se décidèrent à avaler de l'eau, puis de l'herbe.

Après avoir immolé le taureau primordial, Mithra monta au ciel sur le char du Soleil et partagea avec celui-ci un repas. Puis il s'installa au sommet du mont Hara, l'axe de l'Univers, d'où il peut sans difficulté observer la vie dans l'Univers et se tenir prêt à intervenir si une créature manque à un serment. Sa divine compagne devint la déesse des eaux et de la fertilité : la glorieuse et toute-puissante Anahita Sura Devi.

Quant à l'âme du taureau, guidé par le chien qui avait bu de son sang, elle s'éleva au plus haut des cieux et rencontra Ahura-Mazda. Celui-ci, satisfait de son sacrifice, lui offrit l'immortalité en faisant d'elle l'ange gardien du bétail. Mais cela ne suffisait pas à calmer la tristesse du taureau, qui interrogea l'être suprême :

« À qui as-tu confié l’empire des créatures, pour que le mal ravage la terre et que les plantes aient soif ? Où est l’homme dont tu avais dit que sa parole garantirait la paix ? »

Sensible à la tristesse du taureau, Ahura-Mazda mena l'âme du bovin devant l'ange gardien qui aurait pour tâche de rétablir la justice mazdéenne sur Terre, de concert avec Mithra. Le désignant, Ahura-Mazda eut ces paroles :

« Vois-tu, ce maître de sagesse, c'est Zarathoustra et c'est lui que j'enverrai bientôt sur Terre pour sauver les hommes et témoigner à l'humanité de la juste et bénéfique doctrine. C'est lui que je donnerai au monde pour lui apprendre à se préserver du mal. À la fin des temps, ce sera de sa semence, que purifiera la Lune, que naîtra Saoshyant, le Sauveur, celui qui consommera la ruine d’Ahriman et sacrifiera le second sacrifice du taureau. C'est par ce sacrifice que le Sauveur donnera à tout jamais l’immortalité aux justes. Ensuite, Mithra embrasera les mondes et purgera la création de la matière, qui retournera au néant. »

Satisfaite des paroles d'Ahura-Mazda, l'âme du taureau initial consentit à nourrir les créatures de la Terre et à permettre que s'y répandent la richesse, la prospérité et la vie.

 

Yima, le premier homme

Yima arpentait alors la Terre en compagnie de sa sœur jumelle Yimeh. Ce sont les parents de l'humanité.

S'inquiétant de l'arrivée prochaine d'Angra-Mainyu sur Terre, Ahura-Mazda se rendit auprès de Yima pour lui demander d'être son ministre, c’est-à-dire d'être celui qui porterait sa parole sur Terre et défendrait sa loi. Malgré l'honneur d'être le premier des mortels à avoir la chance de parler à son créateur, Yima déclina l'invitation. Alors, plutôt que d'être son ministre, le dieu juste et bon lui proposa d'assurer la prospérité de l'humanité tout entière ainsi qu’à chacune des existences terrestres. Yima accepta de bon cœur et trois cents ans durant, il régna en roi idéal. Pour asseoir son autorité, Ahura-Mazda lui offrit un sceau et une dague, deux objets incrustés d'or.

La Terre connut son âge d'or et se remplit d'hommes, de femmes, de troupeaux et d'oiseaux. Pour qu'elle soit pérenne, Yima divisa la société humaine en quatre castes : les prêtres, les guerriers, les artisans et les paysans.

Les prêtres étaient chargés du culte d'Ahura-Mazda, des rituels civils et de l'enseignement.

Les guerriers étaient en charge de faire régner l'ordre et de défendre la terre. Eux seuls étaient autorisés à faire couler le sang. Leur pouvoir sur les royaumes qu'ils administraient était temporaire et ne s'exerçait que sous le contrôle du pouvoir intemporel des prêtres.

Quant aux artisans et aux agriculteurs, ceux-là travaillaient à faciliter la vie des gens ou travaillaient la terre. Ces deux castes n'avaient absolument rien d'autre à s'occuper et vivaient dans la paix et la sécurité que leur assuraient les deux autres castes.

Sous la direction du vertueux Yima, l'âge, le besoin, la mort, les maladies et le climat trop chaud furent bannis de la surface de la Terre. Pourtant, l’omniscient Ahura Mazda rendit une nouvelle foi visite à Yima afin de le mettre en garde contre la surpopulation.

« Que puis-je faire pour y remédier ? » lui demanda Yima.

Et son dieu de lui répondre :

« Enfonce ta dague dans le sol, tiens-toi debout en direction du sud et adresse des prières à la Terre. »

Yima se tourna vers le sud, enfonça son épée dans le sol et prononça ces paroles : « Ô Spenta Armaiti, ouvre cette terre et gonfle-la afin de contenir tous ces troupeaux ! » Et en effet, la Terre prit du volume.

Yima régna six cents années de plus. Puis le même problème recommença. Yima planta son couteau, adressa ses prières et une nouvelle fois la Terre gonfla pour accueillir la vie.

Yima régna neuf cents années encore, puis la même cause engendrant les mêmes effets, la Terre grossit encore une fois.

Sachant proche l'arrivée d'Ahriman sur Terre, Ahura-Mazda apparut de nouveau à Yima et lui dit :

« Yima, roi loyal, fils du soleil, prends garde : l'hiver fatal va bientôt descendre sur la Terre. Avec lui s'abattront le blizzard et la glace. La neige tombera épaisse et recouvrira tout. Aucun animal n'échappera à la mort, ni ceux qui vivent au plus haut des montagnes, ni les bêtes sauvages, ni celles qui dorment dans une étable. Je t'invite donc à construire sous la terre une étable aussi large qu'un terrain d'équitation [3,5 km / 3,5 km]. Tu y feras entrer des ovins, des bovins, des hommes, des chiens, des oiseaux et des braises rougeoyantes. Ensuite, tu feras passer à l’intérieur, un cours d'eau dont le lit sera large d'un hatra [700 mètres] ; c'est sur ses rives, toujours vertes et fertiles, où la nourriture ne manque jamais, que s'établiront les oiseaux. C'est aussi sur ces rives que tu construiras des maisons qui comprendront un balcon, une cour et un couloir. Tu y feras vivre des hommes, des femmes, mais seulement les meilleurs d'entre eux. De même, tu ne feras entrer dans ton étable que le meilleur du bétail. Tu entreposeras aussi des graines, des fruits et légumes les plus goûtus, ceux dont les odeurs sont les plus suaves. De toute chose, tu devras en emporter un exemple de type masculin et un autre de type féminin. Prends garde à ne pas faire entrer dans ton refuge des bossus, des obèses, des incapables, des lunatiques, des pauvres, des menteurs, des méchants, des jaloux, des personnages aux dents cariés, des lépreux, ni aucune créature dont le corps serait marqué par l'empreinte d'Angra-Mainyu. Pense aussi à entreposer les récoltes de l'an dernier, afin que vous puissiez survivre en attendant de récolter vos propres moissons. Une fois le danger hivernal passé, vous serez ceux qui repeupleront la Terre. »

Voyant Yima volontaire mais ne sachant pas comment s'y prendre pour réaliser sa mission, Ahura-Mazda lui dit encore : « creuse la terre avec ton couteau et pétris la boue de tes mains. »

Le glorieux Yima mena ainsi sa tâche à bien et fit entrer dans son immense étable deux mille personnes. Après avoir allumé un feu avec les braises de sorte à créer une lumière artificielle, il ferma l'étable et en scella la porte avec un anneau d'or.

 

Le déluge

Après être demeuré prostré de si longs millénaires, Ahriman arriva sur Terre, entraînant avec lui son armée de démons. Comme un souffle mortel, où que ces légions se déployaient, la vie disparaissait, étouffée, asséchée, brûlée du feu destructeur.

C'est alors que Tishtar, l'ange de la pluie, associé à Vayu, le Vent, firent se lever les eaux de la Terre. Une fois les eaux bien hautes dans le ciel, ils les firent retomber sous la forme de gouttes si grosses, qu'elles formaient d'immenses bombes aquatiques qui ne manquèrent pas de noyer d'innombrables créatures maléfiques.

Il plut ainsi pendant dix jours et dix nuits. Il plut tellement, que la Terre tout entière fut recouverte d'une couche d'eau plus haute même que la taille d'un homme. Toutes les créatures nuisibles de la Terre furent ainsi éradiquées, sauf celles qui s'étaient réfugiées dans des grottes souterraines.

Afin de nettoyer les entrailles de la Terre des cadavres putrides des démons, l'ange Tishtar monta sur son cheval blanc et entra dans les abîmes pour en chasser toute pollution. C'est alors qu'apparut Apaosha, le dragon de la sécheresse. Il avait pris la forme d'un cheval noir et celui-ci était si monstrueux, si agressif, si puissant, que Tishtar lui-même en fut effrayé. Si effrayé même, que l'ange dut s'enfuir du champ de bataille pour se réfugier dans l'adoration d'Ahura-Mazda et lui demander assistance. Écoutant ses prières, Ahura-Mazda lui offrit force et vigueur, ce qui lui permit de retourner au combat et d’asséner de fatals coups au dragon, qui s'enfuit à son tour.

C'est alors que Tishtar fit pleuvoir sur la Terre une pluie drue composée de gouttes d'eau grosses comme des têtes de taureaux ou des têtes d'hommes. Voyant que la Terre verdissait à nouveau, le dragon de la sécheresse attaqua une nouvelle fois, mais en vain ; le Feu Sacré lui porta un coup fatal qui lui tira les plus ténébreux hurlements qui jamais ne furent et ne seront. C'est ainsi que même des milliers d'années plus tard, les hommes entendent encore rugir le dragon de ses blessures, alors que le tonnerre frappe la tempête pour en faire jaillir la pluie.

Dix jours et dix nuits la pluie tomba à nouveau, noyant tout le poison du monde, le mêlant à l'eau douce pour donner naissance à l'eau salée. Puis le Vent chassa l'eau et le nouveau visage de la Terre commença à apparaître. Trois océans furent créés, ainsi que vingt-trois mers plus petites.

Le premier des reliefs à émerger fut le mont Hara [Elbrouz], suivit par de nombreuses autres chaînes de montagnes, toutes situées au centre de la Terre. Et tandis que le Hara poussait, toutes les montagnes étaient elles aussi en mouvement, car toutes grandissaient en relation avec le Hara, la plus sacrée de toutes les montagnes. En tout, les montagnes de la Terre mirent dix-huit ans à pousser.

Du versant nord du Hara, deux rivières coulaient, qui elles-mêmes créèrent dix-huit fleuves navigables. Sur la terre entière, les plantes poussèrent à nouveau comme les cheveux sur la tête des hommes.

C'est alors que sortit de l'océan Gaokerena, l'arbre originel, l’arbre de la sagesse, dont les feuilles et les fruits sont autant de secrets et de vérités. Gaokerena contenait en lui toutes les plantes, tous les mystères, tout ce que les mortels ne désireront jamais savoir. Ahura-Mazda créa cet arbre avant tout pour tenir éloignée la décrépitude et permettre à l'humanité d'accéder à la plénitude, ainsi que pour permettre à la Perfection de se manifester dans le monde. Gaokerena est le guérisseur, la source d'énergie, le remède à tous les maux. En pressant ses fruits et ses feuilles, on obtient le nectar du homa, la boisson divine qui est la plus belle des libations et le meilleur des remèdes. Le homa est le nectar des dieux, la boisson magique qui garantit l'immortalité à celui qui en boit.

Malgré sa défaite, le Mal n'avait pas encore perdu sa souveraineté sur l'Univers matériel et afin de détourner à son profit le homa qui perlerait de l'arbre de vie, Ahriman créa dans l'océan Wazay, la grenouille monstrueuse. Cet animal était tel qu'il devint la plus grande créature de l'Univers.

Pour tenir éloigné ce lézard, Ahura-Mazda créa dix poissons géants, les Kars. Encore plus grands que ne l'était la grenouille, leur tâche était de tourner sans cesse autour de l'arbre à homa afin d'en interdire l'accès aux monstres d'Ahriman.

Ces poissons étaient les plus gigantesques des créatures jamais créées par Ahura-Mazda. Ils étaient si grands, que même s'ils avaient nagé rapidement toute une journée durant, ils n'auraient pu parcourir une distance équivalente à leur propre taille. Désirant que ces poissons fussent les créatures les plus vigilantes qui soient, Ahura-Mazda les dota d'une vue si perçante qu'ils auraient été capables de percevoir une aiguille, même enfouie au plus profond des abysses maritimes. Le dieu juste et bon les consacra souverains des mers et plaça l'ensemble du règne aquatique sous leur commandement. Depuis, se relayant par groupe de deux pour assurer sa protection, ces poissons circulent autour de Gaokerena en d'inlassables mouvements circulaires. Leur veille est cependant facilitée par le fait que leur créateur les a dispensés du besoin de manger, les abreuvant plutôt de nourriture spirituelle.

 

Mashye et Mashyane

Avant que le Mal ne marche sur Terre, la végétation n'avait ni épine, ni écorce. Mais après la bataille qui opposa Ahriman à Ahura-Mazda, la nature prit la forme que nous lui connaissons, car le Mal était entré en toute chose pour y placer un poison. Si Ahriman avait été contré dans ses œuvres malsaines, il n'était pas moins vrai qu'Ahura-Mazda avait de même été largement empêché dans ses œuvres saintes.

Cependant, grâce à la prévoyance et à l'omniscience du dieu bénéfique et créateur de la vie, l'humanité avait survécu au passage des ténèbres sur la Terre. À l’hiver succéda le printemps. Il était temps que Yima et sa communauté d'hommes, de plantes et d'animaux, ressortent vivre sous le soleil.

Malheureusement, tandis que le Mal dévastait la Terre, la grotte artificielle dans laquelle s'étaient réfugiés Yima et ceux qu'il avait sélectionnés, n'avaient pas été épargnés. Yima lui-même avait subi les ravages du vice. Malgré la sagesse dont il avait fait preuve durant son règne de plus de mille ans sur la Terre antédiluvienne, Yima n'avait pu résister au désir de fréquenter les démons.

Bien vite ce désir devint de la contrainte. Ce sentiment évolua vers la peur, et la peur engendra la soumission et enfin la lâcheté. C'est ainsi qu'il finit par être totalement asservi aux démons. Non seulement ces monstres lui imposèrent de se marier en secondes noces avec une des leurs, mais encore de marier Yimeh, sa propre sœur (qui était par ailleurs sa propre femme), à l'un des leurs. De ces unions malsaines naquirent les singes, les ours et bien d'autres espèces dégénérées.

La folie de Yima le tirailla trente années durant, puis il finit par en périr ; Ahriman l’exécuta. De son cadavre, Ahura-Mazda continua son œuvre de création. Le soleil purifia sa semence, qui s'enfonça dans le sol. Quarante années plus tard, naquit de cette semence un arbre qui ne possédait qu'une seule racine. De cet arbuste, duquel naissait une feuille tous les quinze ans, émergea un couple d'enfants : Mashya et Mashyane.

Fruits de la Terre, Mashya et Mashyane burent d'abord de l'eau, puis ils se nourrirent de plantes. Ils burent ensuite du lait, puis dévorèrent des êtres humains.

Comme ils étaient des créatures d'Ahura-Mazda, ces jumeaux étaient nés purs et parfaits. Mais pas plus que Yima n'avait pu résister, les jumeaux avaient cédé aux attaques d'Ahriman. C'est ainsi qu'ils furent réduits à douter de la puissance de leur véritable créateur. « Qui a créé l'eau et la terre ? Les animaux et les plantes ? C'est Ahriman bien sûr ! » s'exclamaient-ils.

Ahriman leur proposa une source intarissable de plaisir, se gardant bien de les avertir qu'en buvant de cette eau polluée, ils n'étancheraient jamais plus leur soif. Mashya et Mashyane devinrent méchants et sous les attaques toujours plus fréquentes des démons, ils en vinrent à se détester l'un et l'autre. Ils se frappèrent, se tirèrent les cheveux, se griffèrent les joues. Ils avaient développé une telle inimitié que cinquante ans durant ils observèrent entre eux une scrupuleuse abstinence. De toute façon, même s'ils avaient eu des rapports, ils n'auraient pas obtenu d'enfants, car la fréquentation d'Ahriman les rendait systématiquement infertile.

Ils ne connurent ainsi aucune joie et la nuit même, les démons leur criaient : « vous êtes des hommes, vénérez le démon pour que le démon puisse dormir en paix ! »

Pourtant, à la fin de ces cinquante ans, le désir revint et au bout de neuf mois naquirent deux autres jumeaux. Par tendresse pour leurs enfants, la mère dévora l'un et le père l'autre. C'est alors qu'intervint Ahura-Mazda, afin d'éloigner les parents d'une telle tendresse, afin que, plutôt que de le manger, une mère nourrisse son enfant et lui permette ainsi de survivre.

Naquirent ensuite sept couples successifs. L'un de ces couples de jumeaux, le dernier à naître de Mashye et Mashyane, était Siyamak, le principe mâle et Nasak, le principe femelle. À leur tour, Siyamak et Nasak donnèrent naissance à Fravak et Fravakain, l'homme et la femme. De ce dernier couple sortit quinze autres couples, chacun étant l'ancêtre d'une race humaine. En raison de leur grand nombre et pour ne pas surpeupler la contrée où ils étaient nés, neuf de ces races émigrèrent en direction des six autres continents de la Terre. Quant aux six races qui restèrent, elles occupèrent tout le territoire du Khvaniras, la terre sacrée située au centre de la Terre et voisine du mont Hara.

Parmi ces six races, il y avait un couple dont l'homme s'appelait Tazh et la femme Tazhak, ce sont eux qui s'en allèrent coloniser la péninsule arabique. Il y eut aussi un homme dont nous allons bientôt parler et qui se nommait Houchang. Avec sa femme Guzhak, ils donnèrent naissance aux Aryens, le peuple qui depuis occupe l'Iran. Par ailleurs, un autre couple donna naissance à la race mazendarane , qui occupa la région située au nord de la Perse et côtière de mer Caspienne.

Quand vint pour Mashye et Mashyane le temps de mourir, ils renoncèrent tour à tour à la viande, au lait, au pain ; et, jusqu'à la mort, ils n'avalèrent plus que de l'eau. Leur dernier souffle expiré, leur âme demeura trois jours sur Terre, en proie à d'indicibles souffrances, puis elle s'en fut en enfer pour y attendre l'avènement d'une vie future.

 

Houchang

Houchang naquit de Siyamak. Il prit la tête des légions terrestres d'Ahura-Mazda et succéda à Yima en tant que roi du monde. Sous son règne la Terre et ceux qui l'habitaient prospérèrent.

C'est lui qui découvrit le fer et la technique pour le travailler. Il inventa des méthodes d'agricultures performantes ainsi que d’efficaces systèmes d'irrigation pour les champs. C'est lui qui apprit aux hommes à domestiquer les animaux et à se servir de certains pour le travail des champs. C'est lui aussi qui apprit aux hommes à se couvrir des peaux des bêtes sauvages.

« Dès qu'il fut couronné, il se mit à civiliser le monde et à répandre la justice sur toute la terre. D'abord il découvrit un minéral, et sut par son art séparer le fer de la pierre ; il se procura pour matière le fer brillant, qu’il tira ainsi de la pierre dure ; et lorsqu'il eut connu ce métal, il inventa l'art du forgeron pour fabriquer des haches, des scies et des houes. Ensuite il s'occupa de distribuer les eaux ; il les amena des rivières, et en fertilisa les plaines ; il ouvrit aux eaux des courants et des canaux, et acheva en peu de temps ce travail par sa puissance royale. Lorsque les hommes eurent acquis de nouvelles connaissances, celles de semer, de planter et de moissonner, alors chacun prépara son pain, sema son champ et en marqua les limites. Avant que ces travaux fussent entrepris, on n’avait que les fruits pour se nourrir. Mais la condition des hommes n'était pas encore bien avancée, ils n’avaient que des feuilles pour se couvrir. » Ferdowsi, Le Livre des rois.

Le plus bel apport de Houchang à la civilisation est certainement la maîtrise du feu, obtenu grâce au frottement d'un silex. S'il découvrit le secret du feu, ce fut selon la volonté d'Ahura-Mazda mais aussi par simple chance ; voulant chasser un serpent noir et venimeux, Houchang jeta une pierre au sol. Celle-ci fit une étincelle en heurtant non pas le serpent, qui s'était échappé, mais une pierre adjacente.

En l'honneur de cette découverte majeure, qu'il s'était empressé de partager avec son peuple, Houchang ordonna que se tiennent des réjouissances. Depuis, se déroule Sadeh, le festival du feu.

Selon le Livre des rois, voici comment débuta cette tradition ancestrale :

« Un jour, le roi de la terre parcourait la montagne avec quelques hommes de son peuple. Ils virent de loin quelque chose de long et d'obscur, un corps noir qui se mouvait avec rapidité. Sur sa tête brillaient deux yeux, comme deux fontaines de sang ; le monde devint noir par la fumée de sa gueule. Houchang le regarda avec prudence et attention, il prit une pierre et s'avança pour le combattre. Il lança la pierre de sa force de héros, et le serpent qui brûlait le monde s'enfuit devant le roi, qui cherchait la possession de la terre. La petite pierre frappa sur une grande, l'une et l'autre furent brisées, mais une étincelle jaillit du choc, et son éclat rougit le cœur de la pierre. Le serpent ne fut pas tué, mais le feu était sorti de la pierre où il était caché ; et aussi souvent que quelqu'un frappait une pierre avec du fer, il en jaillissait une étincelle. Le roi du monde fit des prières devant le Créateur et chanta ses louanges, parce que Dieu lui avait ainsi donné l’étincelle, et il ordonna que dans les prières on se dirige vers le feu en disant : C'est l’étincelle donnée de Dieu ; adore-le, si tu es sage. Et lorsque la nuit vint, il alluma un feu haut comme la montagne, le roi avec son peuple l'entourèrent, et firent une fête de cette nuit, en buvant du vin. Sadeh est le nom qu'il donna à cette fête brillante, et elle reste encore comme un souvenir de Houchang. Puisse-t-il y avoir beaucoup de rois tels que lui ! Il se plaisait à civiliser les hommes, et sa mémoire est restée chérie parmi eux. Avec le pouvoir que Dieu lui avait donné, et avec sa puissance royale, il se mit à séparer les bœufs, les ânes et les moutons, des onagres et des élans indomptables, et mit à profit tout ce qui pouvait être utile. Le sage Houchang ordonna de les réunir par paire ; il s'en servit pour cultiver la terre, pour faire des échanges et pour entretenir la splendeur de son trône. Il tua et dépouilla de leurs fourrures les animaux errants dont le poil était bon, comme les hermines, les martres et le renard à la fourrure chaude, enfin la zibeline aux poils soyeux, et il fit ainsi avec les peaux des animaux des vêtements pour le corps des hommes. Il avait donné et répandu, il avait joui et confié ; il mourut et n’emporta avec lui qu'un nom honoré. » Ferdowsi, Le Livre des rois.

Après un règne de quarante ans, Houchang laissa sa couronne de roi du monde à son fils Tahmuras.

 

Tahmuras

Sous le règne de Tahmuras les démons attaquaient fréquemment les hommes. Tahmuras était le roi des hommes, Ahriman le roi de tout ce qui est incarné dans la matérialité et qui connaît la mort ; tous les deux se disputaient la souveraineté sur le monde périssable et impermanent. Alors, suivant les conseils de son vizir, Tahmuras invoqua Vayu le dieu du vent. Celui-ci s'incarna devant lui et pour le remercier de ses hommages, lui enseigna la maîtrise du Kashtra, l'impétueuse force divine, l'invulnérable puissance qui assure à tout dévot la domination totale sur tout ce qui existe. Et grâce au Kashtra, Tahmuras fit d'Ahriman son esclave.

Le roi des hommes grimpait ainsi chaque matin sur le dos d'Ahriman comme s'il n'eut été qu'un simple cheval et il le chevauchait jusqu'à la nuit tombée, d'un bout à l'autre du monde, libérant ainsi les hommes de la néfaste présence de l'Esprit du Mal.

Voyant leur chef ainsi traité, les démons se rebellèrent et Tahmuras du leur faire la guerre et les repousser jusque dans la mer. Ce fut une nouvelle fois grâce à des sortilèges, qu'il pût mettre hors d'état de nuire les deux tiers des démons qui composaient les légions d'Ahriman. Quant au reste de l'armée, elle fut terrassée par la massue de Tahmuras (lequel était aussi habile en magie qu'il était surpuissant dans les arts martiaux).

Tahmuras tenait captifs les démons et leur chef. C'est d'eux qu'il apprit à écrire, utilisant leur alphabet composé de trente signes différents. Autres fruits de la collaboration forcée des démons au bien-être des hommes, furent le rouet et le métier à tisser. Ces instruments permirent de confectionner rapidement des vêtements, de meilleure qualité et en grand nombre.

C'est aussi sous le règne de Tahmuras que les hommes apprirent à domestiquer la poule et à entreposer le foin pour le donner à manger plus tard aux vaches au lieu de simplement les laisser paître. Le bétail, rentré en hiver dans les étables, ne craignait plus la rude saison. Protecteur de l'agriculture comme de la chasse, Tahmuras fut le premier à domestiquer le faucon et le chien, ces valeureux compagnons des chasseurs.

Tahmuras est crédité des fondations des villes de Shiraz et Merv, futures capitales respectives de la Perse et de la Margiane, qui seront les berceaux des traditions aryennes, mazdéennes et zoroastriennes.

 

Jamshid contre le dragon

La domination de Tahmuras sur l'Esprit du Mal et ses légions dura trente ans, après quoi Ahriman trouva un moyen de tromper sa vigilance. Ne pouvant supporter d’être asservi, lui qui était le grand tentateur et l’éternel insoumis, le démon fit preuve d'une grande malignité pour retrouver sa liberté. Il offrit des bijoux à la femme de Tahmuras pour gagner sa confiance, devint son ami et reçu la confidence suivante :

Au gré de leur voyage quotidien d'un bout à l'autre de la terre, Tahmuras n'éprouvait aucune peur à déchirer les nuages et à voler au-dessus des océans. Mais il existait un certain passage, entre deux aiguilles rocheuses séparées par un gouffre abyssal, durant lequel le roi des hommes ressentait un irrépréhensible vertige.

Fort de cette information qui serait pour lui la clé qui ouvrirait ses chaînes et lui rendrait sa liberté, Ahriman attendit le lendemain que le roi lui fasse emprunter ce passage qui lui faisait tant peur. Arrivé au-dessus du gouffre, sachant l'attention du roi perturbé par son vertige, Ahriman rua ; en conséquence, Tahmuras tomba dans le ravin. Ne laissant pas son corps finir sa course, Ahriman englouti son tyran et le digéra aussitôt.

Cependant, le démon ne l'avait pas encore évacué et se refusait à le faire. De fait, le cadavre du roi des hommes demeurait introuvable sur terre et donc ne pouvait pas recevoir les sacrements essentiels au bon départ de l'âme dans l'au-delà.

Jamshid, le fils héritier, que certaines traditions présentent comme le frère de Tahmuras, était donc très peiné de ne pas pouvoir lui offrir de rituel funéraire correcte. Il adressa donc ses prières à Sraosha, l'ange miséricordieux. Celui-ci apparu et lui dévoila un secret qui lui permettrait de terrasser la bête et donc de récupérer le cadavre de son père. Sraosha confia au nouveau roi des hommes le grotesque détail suivant : Ahriman aime deux choses plus encore que tout autre dans l'Univers : la musique et la sodomie. Sraosha lui annonça donc : « tu seras vainqueur du dragon et libéreras le corps de ton père, mais pour cela tu ne devras pas regarder le visage du Mal en pleine expression de sa haine. »

Jamshid se rendit auprès du monstre et chanta pour lui la plus belle des mélodies. Le dragon sous son charme, l'héritier de la couronne du monde proposa à la détestable créature une copulation anale. Ivre de désir, Ahriman sous la forme du dragon commença à se masturber de plaisir, et invita son nouvel ami à entrer en lui. Jamshid profita de l'occasion et enfonça son bras dans ses fesses pour en retirer le cadavre de son père. Ceci fait, il le déposa au sol et s'enfuit le plus rapidement possible.

Passant du désir au plaisir puis du plaisir à la souffrance et à la blessure, le démon hurla de douleur et s'élança à sa poursuite. Mais empêché par sa haine, il n'arriva pas à le rattraper. Plus encore, le désir, le plaisir et la jouissance se révoltèrent contre lui et le possédèrent à nouveau.

Enfin, plus fatigué par ses habitudes malsaines que par la difficulté de la course, le dragon renonça à poursuivre Jamshid et se laissa retomber au plus profond de l'Univers.

Jamshid collecta ce qu'il restait du cadavre de son père et le plaça au sommet d'une tour, afin que les vautours viennent s'en repaître. Il appela cette tour « la tour du silence » et ce rituel funéraire fut celui des mazdéens jusqu'à nos jours.

Alors qu'il refermait l'enceinte de la tour du silence, au milieu de laquelle les rapaces dévoraient le cadavre de son père, Jamshid aperçut avec horreur que l'un de ses bras était devenu putrescent. C'était celui qui était entré dans le ventre de Jamshid.

De jour en jour, la maladie prenait un tour plus inquiétant, évoquant la lèpre.

Jamshid coupa donc toute relation avec la société des hommes et s'en fut arpenter les montagnes et les déserts, vivant en ermite. Jusqu'au jour où une vache urina sur son bras malade et le guérit. Depuis, l'urine de vache est considérée par les Aryens comme un remède miracle, dont les reflets dorés sont littéralement composés de paillettes d'or.

 

Saoshyant et la fin des temps

Quarante-cinq générations après Yima, naît Zarathoustra, le prophète d'Ahura-Mazda. De la lignée de sa troisième femme, elle-même pourtant stérile de son vivant, naîtra Saoshyant dans un futur lointain

C'est lui qui sera l'ultime sauveur de la juste et pure tradition mazdéenne. Il régnera cinquante- sept ans, puis ce sera la fin des temps.

Durant son règne, seront d'abord réveillés les os de Yima, puis ceux de Mashye et Mashyane, et enfin ceux du reste de l'humanité. Tous les morts et tous les humains se lèveront ; les justes comme les méchants. Chaque créature humaine s'éveillera à la vie, à l'endroit même où sa vie avait commencé.

C'est alors que Saoshyant préparera le homa, la blanche, pure et sainte boisson d'immortalité. Il en offrira à tous les hommes, et tous les hommes deviendront immortels pour toujours et à jamais.

La COSMOGONIE perse - de Zurvan à Saoshyant

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