24 Décembre 2021
Naquit sur Terre un démon envoyé par les asuras pour y semer la désolation. Celui-ci avait une telle puissance qu'il y avait gagné le nom d' invincible assoura : Dourgamasur.
Né de la famille d' Hiranyaksha, le premier assura qui avait dominé l'univers avant que Vishnou ne le soumette et ne le tue, Dourgamasur n'était donc pas un brahmane, et il n'avait pas eu accès à la véritable compréhension des Védas car il n'avait trouvé aucun brahmane pour accepter de la lui enseigner
En effet, la règle suivie par les gourous était alors de ne transmettre les arts martiaux et la science des Védas qu'à des « deux-fois-nés », c'est à dire seulement aux membres de la caste des brahmanes ayant suivi une rigoureuse et complète initiation. Cette règle avait pour objectif d'empêcher un paysan ou un prince malveillant l'accès aux Védas, car ils auraient pu ne pas les comprendre ou les utiliser à mauvais escient et en conséquence répandre le mal sur la Terre. Telle était donc l'explication d'une tradition qui interdisait l'étude mystique aux membres des trois castes inférieures à celle des brahmanes.
Cependant, désirant tout de même s'instruire dans les Védas, Durgamasur prit la résolution de se livrer à la pénitence et partit pour l' Himalaya afin d'y méditer pendant un millier d'années sans bouger un cil ni ne se nourrir d'autre chose que du soleil.
Mille ans passèrent. Les dévas étaient en admiration devant cet être de basse condition qui pouvait si bien oublier tout ce qui le rattachait à l'existence. Brahma lui-même fut impressionné et permit à Dourgamasur de lui adresser une requête en récompense de ses intenses efforts. L'asura lui demanda alors une copie des quatre Védas, ce que Brahma lui tendit sans hésiter.
Cependant, Dourgamasur ne désirait pas maîtriser les Védas pour découvrir la sagesse et vaincre la tristesse mais plutôt pour gagner de l'argent en officiant dans les temples à la place des brahmanes. En effet pensait-il, si lui aussi savait les Védas et la correcte prononciation des mantras magiques, il pourrait accomplir les offices dans les temples et donc demander sa part de la quête.
C'est alors que Dourgamasur et sa famille investirent les temples, les lieux sacrés et les rives des fleuves purificateurs. Dès lors, et petit à petit, les Védas furent oubliés, les rituels ne furent plus menés et les sacrifices ne furent plus compris.
La tradition s'éteignait. Année après année, Dourgamasur avait évincé les brahmanes des offices du culte et les sadhus des temples. En conséquence, les dévas qui ne recevaient plus leur part du sacrifice, commencèrent à décliner, devenant chaque instant un peu plus faibles.
C'est alors que les forces du mal envahirent la Terre qui n'avait plus de protecteur. Dourgamasur fut reconnu comme leur chef, et c'est à la tête de légions démoniaques qu'il monta au sommet du Mont Mérou sans rencontrer de résistance et qu'il envahit la ville divine d'Indrapura, s'asseyant lui-même sur le trône d'Indra. Les dieux, affaiblis de n'avoir plus été priés ni adorés depuis si longtemps, n'avaient plus la prétention de s'opposer aux asuras et n'avaient d'autre choix que de s’enfuir dans toutes les directions.
Certains dévas trouvèrent refuge dans les grottes qui parsemaient les versant du Mérou, et se réfugièrent sous la terre dans les tunnels qu'avaient si souvent empruntés les Assuras pour venir leur faire la guerre. Là, afin que la vie ne disparût pas, les dieux remplacèrent les hommes et méditèrent intensément sur la grande déesse Shakti, la plus puissante de toutes les puissances.
Ils jetèrent alors du beurre clarifié dans leur foyer dont la fumée s'élevait jusqu'au soleil pour s'amasser en nuages et tomber en pluie. Mais depuis que les rituels et les offrandes avaient été confisqués par Dourgamasur, le soma et le beurre clarifié vinrent à manquer et il devint, même très difficile pour les dieux de mener à bien les cérémonies essentielles qui maintenaient la vie sur Terre.
N'étant plus honorés d'oblation, Indra et ses Maroutes cessèrent bientôt de provoquer les nuages ; la pluie vint elle aussi à manquer. Un siècle de sécheresse succéda alors à la dernière goûte de soma versée dans le Feu. Les réserves d'eau, les lacs, les rivières, les océans s'évaporaient. Le bétail et les hommes mouraient par centaines de milliers, ainsi qu'un nombre incalculable d'animaux.
Comme les cérémonies funéraires ne pouvaient pas se dérouler, faute du matériel nécessaire pour les mener à bien, les cadavres pourrissaient dans les maisons et dans les rues X sans que l'on pût s'occuper d'eux. Bientôt, le royaume de Yama fut surpeuplé d'âmes qui n'avaient jamais été purifiées.
Après un siècle de calamité, les survivants se dirigèrent vers l'Himalaya et grimpèrent à son sommet pour retrouver les dieux qui vivaient encore dans les grottes jadis peuplées d'assuras. Tous ensemble ils unirent leur forces restantes et prièrent la Grande Déesse, Parvati, la fille des montagnes, la compagne de Shiva. D'un même chant, ils lui adressèrent leurs espoirs et c'est alors que la Déesse apparut sous la forme de Parvati.
Celle-ci était si attristée du spectacle de la Terre asséchée et ravagée qu'en voyant Dourgamasur et ses troupes occuper la ville céleste d'Indrapura, elle en pleura tellement que de ses milliers d'yeux qu'elle venait de se créer, elle inonda à nouveau la Terre, fit boire ceux qui avaient soif et raviva les champs et les cultures. L'apparition de ses innombrables yeux l'avait rendu perceptible. La grande déesse prit un corps afin que chacun pût la contempler en la vénérant : elle avait la peau d'un noir bleuté, de la couleur de l'espace en permanente expansion, ses yeux étaient soulignées avec du khôl, leurs pupilles avaient la forme d'un fleur de lotus en plein épanouissement et sa silhouette était lumineuse comme un millier de soleils... Enfin, de ses yeux coulaient des torrents de compassions, larges comme des océans.
Pendant neuf nuits consécutives la pluie tomba sur la Terre. Les rivières recommencèrent à couler. Les malades furent guéris. Ce qu'il restait de l'humanité ainsi que les dieux sortirent de leur grottes et admirèrent la vie qui recommençait.
Parvati se transforma alors en une gracieuse femme à huit bras. Au bout de chacun des quels une main offrait à la terre une oblation de céréales, de légumes, de fruits, de lentilles, de viande et d'herbes comestibles. En attendant que germent les prochaines récoltes, elles offrit même aux bêtes les herbes à manger et aux hommes, les légumes et les fruits.
Ceci fait, Parvati envoya un émissaire à Dourgamasur afin que celui-ci se rendît sans plus de dégât. Le chef asura, qui possédait l'univers tout entier, des enfers de Yama à Indrapura, la demeure des dieux, refusa bien évidemment de rendre ses conquêtes. Au lieu de cela, il monta la plus redoutable armée qui jamais n'avait encore été. Elle était composée d'un millier de légions, et chaque légion était composée de 22 000 chars, d'autant d’éléphants, de 66 000 cavaliers et de quelques 110 000 fantassins dont la plupart était de redoutables monstres.
Son armée réunie, Dourgamasur se dirigea sur les hommes, les dévas et Parvati qui s'étaient réunis au sommet de l'Himalaya. Sans attendre, il fit pleuvoir sur eux un orage de flèches. Les rishis, les dieux, les hommes, tous prièrent alors Parvati de les sauver ; ce qu'elle fit en dessinant autour d'eux un cercle de lumière à l'intérieur duquel les forces du mal ne pouvaient entrer. Elle-même cependant se tint à l'extérieur de ce cercle, puis elle se transforma à nouveau. Cette fois, Parvati ne tenait plus dans ses mains des fleurs ou des fruits mais de redoutables armes car, pour combattre le roi des démons, tous les dieux avaient mis en commun leur pouvoir pour les donner en offrande à celle qui était devenue l'Invincible Dourga.
Dourga possédait en effet au bout de ses huit bras le disque cosmique de Vishnou, la lance de Skanda, l'arc de Sourya, les flèches de Vayou, la hache de Ganesh, la conque de Varouna et le trident de Shiva. De Yama, le gardien des enfers, la déesse avait reçu un bouclier ; de Tvastar, le dieu-architecte, elle reçut une épée ; enfin, Himavat, le roi des montagnes, lui offrit des bijoux magiques et un lion doté du troisième œil comme monture.
Pour compléter sa panoplie d'invincibilité, ne doutant pas de sa victoire, Airavata, l'éléphant d'Indra, lui avait même offert une cloche afin qu'elle pût mener à bien les rites purificateurs dont elle devrait s'acquitter à la suite des massacres.
Face à l'immense armée des assuras, Durga apparut terrifiante à la tête des dieux qui s'étaient réunis pour mener à ses cotés un ultime combat pour la survie de la Terre. Tant de flèches furent lancées dans le combat que le ciel en devint obscur. Quand une des flèches lancées par les dieux transperçait un des démons, elle s'enflammait aussitôt et grâce à son irradiante lumière, elle désintégrait tous les assuras qui se trouvaient autour.
Alors que la bataille battait son plein et qu'il eût été très hasardeux de se risquer à prédire son dénuement, Dourga ouvrit son corps pour qu’en naissent ses nombreux avatars, chacun aussi puissant si ce n'est plus que Dourga elle-même. Ainsi, vinrent se mêler au champs de bataille toutes les déesses qui avaient pu être investies du pouvoir inarrêtable de la Shakti. Il s'agissait de Tripura Sundari, Bhuvaneshwari, Bhairavi, Matangi, des sept Matrikas, d'Indrani, la Jalousie, de Nara-simhika, la femme-lionne, de Jagat-janani, la shakti de Vishnou-Jaganath, de Kouberi, la Ruine, mais aussi de Chamunda, Gauri, Chandika, Ambika, Uma, Maya, la maîtresse des illusions, Gayatri la divine poétesse, Meenakshi la Séduction, Amba la Mère, Mohini la prostituée, Ganga, Rati le Désir, Roudrani la Vengeance, Sarasvati le Savoir, Varouni, l'Ivresse, Ganeshi la Chance....
Ce fut un spectacle terrifiant pour les démons que de voir les multiples aspects de la grande déesse Dourga qui ne cessait de les malmener et des les envoyer les uns après les autres dans la mort.
Le combat dura dix jours durant lesquels les dieux et Dourga livrèrent une chasse impitoyable aux démons. Enfin ils emportèrent la victoire. Les blessures des assuras coulaient tellement que bientôt des rivières de sang se formèrent.
Le onzième jour, Durgamasur apparut enfin pour livrer bataille, sachant qu'il n'avait plus aucun autre espoir de s'en tirer que de vaincre lui-même la Grande Déesse. Alors, tous les avatars de Dourga se réunirent en une seule silhouette, montée sur le terrible lion dont le troisième agissait comme un rayon laser.
Six heures durant Dourga et Dourgamasur se sont combattus. Au fil de la bataille, Dourga tua les quatre chevaux du char de Dourgamasur avec quatre flèches, puis elle le fit tomber en plantant une flèche dans une de ses roues. Avec deux autres flèches, Dourga perça les yeux du démon, puis ses bras avec deux autres flèches. Afin de décourager les dernier partisans du démon, d'une flèche Dourga fit tomber l’étendard de Dourgam-asur. Enfin, avec cinq flèches, elle transperça le cœur du démon qui tomba à ses pieds en vomissant du sang.
Dourga récupéra alors les quatre Védas qu'elle tendit avec respect aux sages qui les apprirent à nouveau par cœur pour les enseigner à leur tour à leur disciples.
Dévas contre asuras, la gigantomachie indienne: Récits des principaux combats titanesques de la mythologie hindoue : de Visme, Grégoire: Amazon.fr
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