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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Les KALASHAS

Une femme kailasha

 

LES KAILASHAS

(KALASA ou KALASH, selon l'orthographe classique ou modernisé)

 

 

La dernière tribu

 

 

Les Kalashas font partie du groupe ethnolinguistique des locuteurs du nuristani. Le nuristani appartient à la famille des langues dardiques, la troisième sous-branche de la famille linguistique indo-aryenne. Leur tradition se distingue nettement du védisme ou du mazdéisme.

Peuple en voie de disparition (ils n'étaient plus que 4000 en 2014), les Kalashas célébraient jusqu'à peu un humble polythéisme bucolique, dont la littérature n'est composée que de quelques contes et légendes péniblement compilés par de rares ethnographes. Cette tradition contient pourtant en elle tout ce qui brille avec tant de vigueur en Inde ou en Perse. Nées de la bouche des conteurs himalayens, les épopées kalashas ne mettent pas en scène des armées et des dieux, mais de simples vieillards qui refusent de vieillir, ou de preux chevaliers qui parlent aux animaux et chevauchent seuls entre les sommets enneigés. Grâce aux Kalashas, nous nous approchons donc de la même matière qui fit jadis les contes de Bretagne et d'Islande.

L'aire culturelle kalasha s'étendait autrefois du Cachemire à l'est à la Bactriane à l'ouest. Connu sous le nom de Peristan, ce pays montagneux n'a jamais été parmi les plus prospères, ni les plus célèbres. Cette contrée n'est mentionnée qu'une seule fois dans les chroniques historiques : lors de la campagne d'Alexandre le Grand vers l'Inde (en -326). Le biographe du Macédonien, Arrien, les décrit comme « distinctement différents » des autres peuples environnants. Alexandre ne vainquit pas les Kalashas, mais s'en fit des alliés, afin de continuer plus en avant son chemin à travers les vallées himalayennes.

Il existe par ailleurs une rumeur faisant remonter l'origine des Kalashas au peuplement des pays conquis par les troupes d'Alexandre, mais les Kalashas eux-mêmes ne semblent pas y porter crédit. On a imputé à de nombreux peuples de l'Himalaya une lointaine parenté avec les troupes gréco-macédoniennes, mais ces théories sont, pour la plupart, basées sur une mythologie alexandrine artificielle.

 

En rouge: le Chitral

D'une nature exclusivement paysanne, la société kalasha traditionnelle exclue toute forme de commerce. Les Kalashas ont demeuré près de trois mille ans dans leur vallée de haute altitude sans subir outre mesure l'acculturation étrangère. Le panthéon kalasha ne porte donc pas les traces du zoroastrisme. Encastrés et isolés, les Kalashas n’avaient que très peu subi l'influence des Empires perse, scythe ou indien. Près d'un millénaire durant, les Kalashas eurent le bouddhisme comme voisin, mais celui-ci ne tenta jamais de s'imposer, ni même de devenir une sorte de religion d’État qui légitimerait soumission ou domination. Ce n'est que très récemment, depuis moins de quelques siècles, que le modèle kalasha est véritablement mis en danger par une acculturation forcenée au modèle islamique.

Au 19e siècle l’Afghan Abdur Rahman Khan entreprend avec son armée des conversions de masse. Avec l'appui des Britanniques, 100 000 païens sont alors convertis, ce qui représente une grande part de la démographie nuristanie. Cette région connue jusqu'alors sous le nom de Péristan, devient le Nuristan, c’est-à-dire « le pays de ceux qui ont connu la lumière ». Cette appellation fait alors référence aux temps obscurs du panthéisme que souhaite voir disparaître l'envahisseur musulman. À la campagne de conversion et de déportation des autochtones païens du Peristan, succède l'émigration de très nombreux Afghans vers le Nuristan. Dans ces nouveaux arrivants, il y a beaucoup d’imams, qui sont envoyés gérer les nouveaux territoires conquis. Leur mission est d'éduquer leurs habitants, ce qui veut dire les faire vivre dans le respect des règles de la charia. Il s'agit aussi de les ouvrir au commerce. Le nom des villages est islamisé, les temples et les idoles détruits et brûlés. En réponse, les Kalashas émigrent encore plus hauts dans les montagnes et cachent leurs icônes et leurs idoles dans des grottes, ou les enterrent dans les forêts. Quant au riche mobilier du culte, et aux meubles de valeur des villages du Péristan, ils sont saisis comme trésor de guerre par les soldats afghans et envoyés à Kaboul comme butin. On estime de nos jours la population nuristanie à 125 000 personnes, pour la plupart musulmans sunnites.

Les Nuristanis qui ne se convertirent pas, furent affublés du sobriquet de kafir. C’est une insulte musulmane signifiant « porc », elle est réservée aux mécréants. Le Kafiristan, tel que cartographié par les Britanniques, est donc « le pays des mécréants ». Les Nuristanis païens, dont font partie les Kalashas ne sont plus que quelques milliers de nos jours à encore pratiquer un culte panthéiste. Estimés à 20 000 avant les premières compagnes musulmanes au 14e siècle, les Kalashas ont vu leur démographie sans cesse décroître, pour ne plus représenter que 8000 personnes en 1951 et plus que 3000 à 6000 de nos jours (2020). Par ailleurs, les relevés topographiques nous indiquent que le domaine kalasha est passé de 560 km² carrés à moins de 28 km² aujourd'hui…

Ce chiffre de 3000 à 6000 ne concerne cependant que les Kalashas encore polythéistes, car l'ethnie kalasha elle-même, en grande partie islamisée ou occidentalisée à des degrés divers, représenterait 10 000 à 30 000 personnes. Ceux-ci parlent la langue nuristani classique et non le dialecte kalasha. Ce dernier n'est plus parlé que par les quelques milliers d'habitants polythéistes de la région du Chitral (Pakistan).

Avant la création des États pakistanais et afghan, les Kalashas n'étaient isolés qu'en partie. D'un versant à l'autre des sommets himalayens, se déplaçaient des sages, des bergers, mais aussi des sherpas. Malheureusement, depuis la création d'une frontière (pourtant régulièrement bafouée par les groupes djihadistes), les Kalashas sont coupés de tout contact des autres groupes ethniques avec lesquels ils entretenaient pourtant des relations culturelles depuis des millénaires. Sans possibilité de communiquer avec d'autres clans qui leur seraient apparentés, les Kalashas sont donc condamnés à voir leur culture péricliter.

Dans la région du Chitral (Pakistan), les Kalashas vivent dans les trois vallées que sont Bumboret, Rumbur et Birir. Le Kunar et le Prasun (Parun) sont les deux rivières les plus importantes, la seconde accueille une vallée sacrée, souvent évoquée dans les contes et légendes kalashas. Malgré son isolation, le pays kalasha (2000 m d’altitude), est fertile en champs et vergers. Les versants des montages, travaillés en escaliers, permettent une agriculture qui suffit à sa modeste population. Malheureusement, comme si la menace culturelle et démographique n'était pas suffisante, les Kalashas se voient menacés par une centrale hydraulique qui dénature leur écosystème.

Du fait de sa situation géographique, à la frontière entre l'Afghanistan, le Pakistan et le Cachemire, la région connaît des graves problèmes de terrorisme. Elle est en effet soumise à une pression à la fois du gouvernement d’Islamabad qui désire islamiser la région, mais également des divers clans talibans souhaitant l'annexer à leur califat. Des jeunes filles kalashas sont régulièrement enlevées et violées. Les quelques rares temples polythéistes sont également incendiés, tandis que les rares travailleurs humanitaires sont pris pour cible. Un musée en l'honneur de la culture kalasha fut ainsi incendié par des djihadistes. Pour ces derniers, il est en effet impensable qu'on puisse célébrer un autre culte que celui prôné par le Coran :

 

Quiconque désire une religion autre que l’islam, ne sera point agréé, et il sera dans l’au-delà parmi les perdants.

Coran 3, 85.

Et :

Certes, ceux qui ne croient pas à Nos Versets, nous les brûlerons bientôt dans le Feu. Chaque fois que leurs peaux auront été consumées Nous leur donnerons d’autres peaux en échange afin qu’ils goûtent au châtiment.

Coran 4, 56.

Dans ces conditions, il est très difficile de construire des écoles kalashas, tandis que fleurissent les madrasas dans les vallées islamisées environnantes. Par ailleurs, un Kalasha scolarisé devra apprendre en ourdou (une langue non dardique), un enseignement inspiré des lois coraniques. Enfin, le gouvernement pakistanais appliquant la charia, interdit aux mécréants kalashas de contracter des dettes ou d’occuper des postes dans la fonction publique. Subissant un racisme institutionnalisé, il n’est pas rare que les Kalashas se fassent lapider par leurs voisins musulmans.

La pression musulmane pour convertir les Kalashas est de nos jours plus prégnante que jamais. Des missionnaires musulmans, agissant comme des chefs d'entreprise, sur le modèle des évangélistes américains, ne cessent en effet de harceler le pays kalasha. En 2016, suite à la conversion houleuse d'une jeune Kalasha à l'islam, des heurts éclatent, qui pousseront Islamabad à interdire de présence dans les montagnes un groupe de missionnaires nommés Tablighi. Depuis, les conversions n'ont pas cessé.

Celles-ci reposent sur une stratégie mêlant séduction économique et sociale, et promesses d'accès à l'éducation et aux soins, mais aussi sur une propagande ayant pour objectif de faire passer la culture kalasha pour arriérée, primitive, tout à fait malsaine et sauvage. C'est ainsi que des groupes de pression musulmans accusent les Kalashas de rendre un culte au diable, ou de pratiquer la sorcellerie. Ces techniques de conversion ne sont pas typiques aux fanatiques musulmans, les catholiques l'employèrent au Nouveau Monde, et les évangélistes l'emploient encore de nos jours en Afrique, en Inde et en Indochine.

Inversement, quand un Kalasha quitte sa famille pour se convertir, un emploi lui est offert et il est célébré comme un « Nouristani », c’est-à-dire un « être éclairé ». Ce n'est qu'au prix du reniement absolu de ses convictions panthéistes, qu'un Kalasha peut ainsi prétendre entrer dans la communauté des « justes », c'est-à-dire des Pakistanais (le Pakistan étant littéralement le « pays des purs »). Les kalashas convertis à l'islam ne le sont donc pas par conviction, mais dans l'espoir de connaître une vie meilleure et d'avoir enfin accès à une certaine forme de progrès, tant au niveau de l'éducation que de la santé ou du travail.

Pour la seule année 2016 on estime à 300 le nombre de Kalashas convertis. Ce chiffre, rapporté à la population globale de quelque 3000 à 6000 personnes, place à une dizaine d'années de plus l'espérance de vie de la culture panthéiste kalasha.

 

Le festival de Chilam Gosh

 

Les tribus kalashas sont des clans dirigés par des chefs de famille. Ils sont choisis parmi les pères qui ont le plus de fils et dont les fils sont les plus valeureux aux combats (ou possèdent le plus d'alliés). Sur un modèle semblable à celui des Vikings, les plus pauvres des clans peuvent demander la protection des plus forts, se mettant alors à leur service. Traditionnellement les femmes travaillent aux champs, tandis que les hommes gardent les bêtes dans les alpages. Les tâches domestiques ou professionnelles sont strictement divisées et chaque sexe a ses responsabilités et ses tâches attitrées. Les hommes prennent soin des canaux, font le fromage et s'occupent des bêtes, les femmes gardent le foyer propre. Les hommes bêchent, les femmes arrosent.

Si les hommes ont de nos jours tendance à avoir tous adopté le kamiz (tunique) pakistanais, les femmes kalashas portent encore le costume traditionnel, lequel est coloré et accompagné de très nombreuses parures (souvent en coquillages). Elles portent sur le visage des tatouages de henné. Elles ne portent pas de voile mais un petit chapeau. Le statut des femmes kalashas est unique en son genre dans ces hautes vallées, car les femmes peuvent se marier avec qui leur plaît ainsi que divorcer.

Quant au régime alimentaire kailasha il est typiquement montagnard, c’est-à-dire à base de viande et de riz. Par ailleurs, les Kalashas sont spécialisés dans la culture viticole et leur vin est utilisé de manière rituelle comme domestique. Malgré l’interdit de l'islam, cette culture perdure encore de nos jours et perdurera encore peut-être une décennie de plus. La culture de la vigne dans la région remonte à des temps ancestraux, bien plus anciens même que l'on pourrait se l'imaginer. Les biographes d'Alexandre décrivent la région comme remplie de vigne. La création de sa capitale, Nysa, était attribuée à Dionysos lui-même, le dieu du vin et de l'ivresse. C’est la raison pour laquelle les chroniqueurs grecs attribuaient le pèlerinage d'Alexandre dans cette ville.

Le nectar sacré employé dans les rituels kalashas, comme excitant ou comme matériel de libation, est le vin. Le vin aurait le pouvoir de protéger le guerrier contre les coups de ses ennemis déviés par le vin magique. Par ailleurs, le vin posséderait une existence par lui-même et pourrait prendre parti dans les combats aux côtés de ceux qui en ont bu. Les Kalashas ne boivent cependant de vin qu'après en avoir offert sous forme de libation à Indr, leur dieu de la guerre et de la force virile.

Outre le vin, les Kalashas utilisent toute une riche pharmacopée d'enthéogènes tels le miel psychédélique des abeilles, la rhubarbe ou encore d'autres herbes mystérieuses et toxiques qui, utilisés dans un contexte mystique, sont autant de passerelles vers le divin. L’utilisation des excitants est une facette proprement chamanique des Kalashas, qui par ailleurs incorporent à leur rituel le tambour circulaire des chamanes sibériens.

La société kalasha repose sur un système complexe d’alliance de familles à travers des mariages impliquant leur religion mais aussi leurs richesses matérielles. Le clan kalasha est dirigé par un conseil de trois patriarches (on devient patriarche à la suite d'un rituel de deux ans suivis de banquets et des fastes en tout genre). Les Kalashas sont très attachés au modèle de la réunion en conclave, ils n’hésitent pas à la convoquer afin de régler les divers problèmes de la communauté. Tout comme dans la réunion scandinave du Thing, l'orateur est alors un personnage très important, dont l'issue des débats est forcément influencée.

Le conseil clanique kalasha se compose d'un juge élu accompagné de douze assistants. Durant ces réunions on décide du jour de récolte des fruits, de l’irrigation des champs, du partage de l'eau, mais aussi des dates exactes des rituels. Ces conseils sont en charge du bon entretien des ouvrages collectifs, comme les canaux d'irrigation. Faute d'être respecté, ce tribunal peut imposer des amendes. La peine de mort n'est pas infligée, si ce n'est à des prisonniers de guerre en revanche du prix du sang. Les peines les plus graves sont celles communément admises dont le monde indo-européen : l'exil, et par conséquent la spoliation des biens comme prix d'un crime. De même que l'apostasie est interdite en islam, elle l'est aussi chez les Kalashas. Ainsi, si un Kalasha se convertit à l'islam, il est exclu de sa communauté et doit donc quitter les vallées du Chitral.

Traditionnellement paysans, les Kalashas possèdent une petite caste d'artisan, spécialisée dans le tapis, les ceintures et les bonnets. Cette caste est cependant exclue des rituels et célébrations, et peut donc s'apparenter à celle des shudras indiens. Outre cette particularité, leur démographie ne permettant pas un système social très développé, les Kalashas ne pratiquent pas le système de caste classique indien, mais plutôt celui des castes tribales.

Dans les années 1970, l’économie kalasha fut bouleversée par la création de la première route carrossable, ce qui amena quelques touristes, mais aussi des organisations non gouvernementales. Depuis, l’économie locale s'est transformée, passant de l'agriculture à la pratique assidue des services. De tout temps, le troc avait été la principale forme d'échange entre vallée, l'argent liquide a donc permis une explosion des activités de services mais aussi l'importation massive de produits manufacturés à bas prix.

Pour décourager la visite des touristes dans une région dangereuse et non musulmane, le gouvernement pakistanais prélève une taxe sur la présence des étrangers en pays kalasha. Il faut en effet un permis pour s’y rendre. Cependant, outre cette route principale et quelques villages qui se développèrent, les versants montagneux kalashas sont encore peu desservis, et ne comprennent bien sûr ni école ni hôpital.

La religion kalasha, le dernier polythéisme ancestral

Les pratiques rituelles sont classiques pour un peuple Indo-européen. Les divinités sont adorées grâce à des piliers de bois sculpté ou à des monolithes, ainsi que le faisaient les Celtes ou les Slaves. Ces totems sont anthropomorphiques, avec des pierres blanches pour figurer les yeux.

Le sacrifice animal est pratiqué. À chacune des divinités du panthéon kalasha correspond alors un animal : des vaches sont sacrifiées à Imra, des bœufs et des béliers à Gish, des moutons et occasionnellement des chèvres ou un bœuf à Bagish. Des chèvres sont offertes à Mahadeo (et parfois un bœuf) et aux autres dieux. La vache est l'animal qui représente le plus grand sacrifice, car cet animal coûte bien plus cher qu'un mouton ou qu'une chèvre. De ces deux derniers animaux, le bélier a plus de valeur que la chèvre. Le bélier peut être sacrifié sur les toits plats des maisons. À la manière des sacrifices aryens décrits par exemple dans le sacrifice royal du cheval (ashvameda), les sacrifices se pratiquent par décapitation, le sang est alors offert en libation, puis le corps est démembré, coupé en lamelle de chaire et jetés dans le feu sacré. De telles pratiques se déroulaient déjà de la même manière en 6500 av. J.-C., le site de Merhgarh, plus ancien site néolithique indien, nous en témoignant (sacrifice de bélier et dispersion du sang).

On sacrifie aussi pour finir une querelle ou acter une alliance. On forme alors des galettes avec le sang des victimes, mêlé à de la farine, à du vin et à de l'eau pure, puis on les entrepose dans l'autel du temple. Comme il est coutume dans tout le monde himalayen, du bois de santal est brûlé lors des cérémonies. Symboliquement, la fumée s'élève vers le ciel en emportant avec elle les offrandes qui sont adressés aux divinités.

Les prêtres forment une caste dont la profession est héréditaire. Ceux-là doivent maîtriser les chants sacrés, ainsi que le font les brahmanes védiques, et sont dotés du pouvoir de percevoir les fées lors des rituels. Ce sont des poètes et des chamanes qui durant les rituels n'hésitent pas à mimer leur contact avec l’indescriptible. Ils pratiquent l'astronomie et interprètent les prophéties.

Les Kalashas ne pratiquent pas le sacrifice humain et entèrent leur mort dans des cimeterres, une coutume qui les rattache au monde scyto-kourgan et qui les différencie nettement des pratiques védiques ou mazdéennes. Cependant, à la manière des peuples antiques et indo-européens, les Kalashas ne prient pas, mais invoquent et célèbrent les divinités.

Malheureusement, les cimetières et monolithes, de même que les temples kalashas sont régulièrement détruits par des fanatiques musulmans. De fait, sans que l’on ne sache s'il s’agit d'une pratique ancestrale ou d'une adaptation aux conditions difficiles de leur culte, les Kalashas n'élèvent pas de temple imposant ni de lieux de culte en l'honneur de leurs divinités. Plutôt, ils leur préfèrent des brasiers, sur le modèle des brasiers mazdéens et védiques, essentiels et centraux dans la pratique du culte (libations et oblations). De même qu'en Inde, le brasier est alors alimenté avec différents types de bois, dont les essences sont sacrées et appropriées. Les Kalashas pratiquent aussi la circonvolution autour de leurs idoles et autels. La circonvolution est une pratique courante en Eurasie, qui se pratiquait jadis en Celtie, et de nos jours ainsi en Inde, au Tibet, mais aussi dans tous les pays de tradition bouddhistes (Chine, Japon, Indochine).

De très nombreux festivals parsèment le calendrier kalasha. Nous citerons le festival du printemps, « Zosi», le festival des moissons, « Uchao », la fête du vin, « Pu ». Le plus important des festivals est celui de Chaumos, célébrant le solstice d'hivers. Durant ce festival, les villageois allument des foyers animés par le feu sacré au sommet des montagnes, sur le toit des maisons, dans les lieux de culte. On offre alors en offrande des fruits secs, des noix, du fromage, du vin et les animaux que nous avons déjà cités. Les festivités incluent des danses folkloriques et des chants entonnés par les femmes, amenées à se promener en bande en ne cessant pas de chanter. De telles pratiques rappellent à la fois les bacchanales dionysiaques mais aussi les danses en l'honneur de Krishna décrites par la poétesse dravidienne Andal. Les femmes, quel que soit leur âge ou leur condition, sont alors encouragées à se maquiller, à se faire belle, à danser et chanter, car elles sont celles qui assureront aux clans une prospérité à la fois alimentaire, en travaillant aux champs, mais aussi démographique, en donnant naissance à de vigoureux et nombreux enfants. Durant ce festival, les femmes prennent de très nombreux bains rituels de purification.

Enfin, les Kalashas accordent une grande importance aux auspices, ce qui induit toute une suite de superstitions qui attribuent des caractéristiques de pureté ou d'impureté à chaque tâche quotidienne et à chaque domaine de l'existence. Si ces domaines purs et impurs se croisent, se mêlent, alors l’équilibre de la vie est rompu, et le Mal en résultera. De telles superstitions se retrouvent de manière extrêmement similaire tout à travers le sous-continent indien, antique comme moderne.

L’obsession de l’impureté pousse les Kalashas à ségréguer leurs femmes quand elles ont leurs règles. Des bashalis, c’est-à-dire des maisons en bordures des villages, étaient alors réservées aux femmes qui saignent ou qui enfantent, afin qu’elles ne polluent pas le reste de la communauté (par exemple en cuisinant). Dans cette pièce exclusivement réservé aux femmes et depuis laquelle les femmes qui ont leur règle ne peuvent pas sortir, était entreposée une statue de la déesse Disni (Diziane), la protectrice des femmes enceinte, déesse de la fertilité.

De cette vision binaire de l'existence découle aussi la vision kalasha qui sépare nettement les vallées, peuplées de barbares, et l'altitude, que peuplent les Kalashas. Les Kalashas attribuent à la montagne le domaine du divin, la nature sauvage et immaculée, la vie pastorale et les lieux saints, tandis que dans la vallée se trouvent les cimetières, les femmes qui ont leurs règles et leur bashali, ainsi que les musulmans qui vivent dans les vallées environnantes. Cette vision d'une montagne pure et divine, les Kalashas la partage avec les shivaïtes et le mythe du Mont Kailash, mais aussi avec les cultures aryennes. Pour celles-ci, la montagne représente le lieu le plus pur, le plus inspirant et le plus sage sur Terre. Il s'agit de la montagne sacrée Hara pour les Aryens perses, du mont Mérou pour les Indiens, devenu Sumérou chez les Bouddhistes. Le roi Brighu, bon nombre de rois de la dynastie Ishkavaku, Zarathoustra, mais aussi le tirthankara jaïn Adinath... c'est dans les montagnes que les personnages des mythologies indo-perses vont chercher l'illumination, c'est-à-dire le repos en se préparant à la mort.

L'Univers kalasha est composé de trois dimensions: le paradis, domaine décomposé en sept mondes supérieurs, la Terre, et les mondes inférieurs infernaux. Soit : l'immatériel, le matériel, et le non-existant, ou encore la négation. La représentation du monde traditionnelle et mythologique des Kalashas est donc classique pour un peuple indo-européen, à ceci près que les Kalashas ne se perçoivent pas comme originaires du nord, mais seraient venue depuis le sud jusqu'au Chitral. Ce pays méridional ancestral est appelé Tsiyam.

Quand au panthéon Kalasha, il est composé de Imra (ou Imro), le dieu créateur et central, de Gish et Bagish, et de Mahadeo (version kalasha de Shiva Mahadeva). Ensemble, les dieux forment un groupe semblable aux dévas védiques et aux arses nordiques, ce sont les Dévalogs. De nombreux mythes kalashas, sans être bien sûr identiques à leurs lointains cousins védiques possèdent cependant de nombreux points de résonance, tel que le mythe de purucha l'être cosmique démembré pour créé la vie, ou encore les aventures d'un dieu qui libère un soleil prisonnier.

Par ailleurs, les chefs kalashas étaient jadis portés sur des « trônes d'honneur » au-dessus des épaules de leurs partisans. Une telle pratique rappelle les banquets de l'aristocratie sogdienne mais aussi les parades des chefs de clan celtes sur un bouclier cérémonial.

 

Le festival de Chaumos

Nous reproduisons la prière au corbeau sacré chanté et le programme du festival de Lagaur (Pakistan), inclus comme annexe de l'étude Pagan Christmas, Winter Feasts of the Kalasha of the Hindu Kush, de Augusto S. Cacopardo (de l'Université de Florence) :

 

Préparations du festival de Chaumos – 10 décembre 2006

Les garçons encore vierges font les préparations au temple de Praba. De vieux paniers sont brûlés, on chante et on danse autour d'un feu de camp, des chansons dédiées au festival de Chaumos.

 

Le festival de Chaumos – 14 au 20 décembre 2006

14 décembre : purification du terrain à l'aide de la fumée des branches de genévrier que l'on brûle. Lutte rituelle et grande effervescence. Rituels effectués à l'aide de gui et en entonnant des prières secrètes. La journée se termine par une danse effectuée par des hommes parés de gui. Cette danse s'appelle la danse du markhor, une sorte de bouquetin aux cornes impressionnantes.

20 décembre : danse et chant durant la journée, juste à l'extérieur des temples. Les jeunes filles font le rituel de la quête des haricots en dansant d'un village à l'autre. Des rites effectués avec du gui marquent la fin de la période de réclusion des novices. Les plus jeunes se réunissent dans le temple afin de surveiller la cuisson des haricots

 

Le chant des haricots

7e jour de Chaumos. Milieu d'après-midi. chanté par des jeunes filles qui font la tournée des villages en demandant des haricots secs et des lentilles :

 

« Que les haricots et leurs graines croissent !

Que le markhor [sorte de bouquetin aux cornes impressionnantes] grandisse !

Que les flageolets [haricots mouchetés] et leurs graines croissent !

Que le markhor grandisse !

Que les haricots et leurs graines croissent !

Que les lentilles blanches et leurs graines croissent !

Que le markhor grandisse !

Que les chèvres et leur progéniture grandissent !

Que le markhor grandisse !

Que les chevreaux et leurs graines grandissent !

Que le markhor grandisse !

Que le bétail et leur progéniture grandissent !

Que le markhor grandisse !

Que les veaux et leur graine grandissent !

Que le markhor grandisse !

Que ce qui a trait aux femmes s'accroisse !

Que le markhor grandisse !

Que ce qui a trait aux hommes s'accroisse !

Que le markhor grandisse !

Que la force virile s'accroisse !

Que le markhor grandisse ! »

 

Après le festival de Chaumos

21 décembre : les haricots cuits sont distribués entre les foyers.

6 jours plus tard : les têtes et les membres des animaux sacrifiés sont mangés

 

La prière au corbeau

Les Kalashas considèrent le corbeau comme un signe de prospérité et d'abondance. Le corbeau représente les ancêtres et il est nourri de la main gauche, c’est-à-dire de la main réservée aux tâches hygiéniques et malpropres. On retrouve dans cette chanson le thème de la paternité et l'espoir en la naissance d'un enfant mâle, cher aux sociétés patrilinéaire :

 

« Rends-nous prospère grâce à une grande progéniture, viens à nous ô petit corbeau

Pourvois-nous du plus grand des bonheurs, viens ô petit corbeau

Donne-nous la satisfaction, viens ô petit corbeau

Apporte-nous le bouc sacrificiel, viens à nous, viens ô petit corbeau

Multiplie la population de notre village, viens ô petit corbeau

Apporte l'altar en métal et son trépied, viens à nous, ô petit corbeau

Apporte-nous la mâle énergie, viens ô petit corbeau

Le fils de ma sœur ne peut plus marcher, viens ô petit corbeau

Tiens la souffrance éloignée de nous, viens ô petit corbeau

Apporte-nous la santé, viens à nous, viens ô petit corbeau

Prie Allah pour nous, viens ô petit corbeau

Apporte les graines d'orge en aval des rivières, viens ô petit corbeau

Augmente notre population, viens ô petit corbeau

Tiens éloigné de nous l'anxiété, viens ô petit corbeau

Faits que nos vies soient longues, viens ô petit corbeau

Faits que nos enfants soient des gens bons, viens ô petit corbeau

Pourvois nos frères d'un premier né qui soit un garçon, viens ô petit corbeau

Satisfais les aspirations des âmes, viens ô petit corbeau. »

 

Le panthéon indo-européen des Kalashas

Les Kalasha possèdent donc le dernier panthéon polythéiste indo-européen encore en activité. Si en Inde les Dévas ne sont plus que des figures mineures de l'hindouisme moderne, les Kalashas croient encore aux Dévalogs de la même manière qu'ils le faisaient déjà plusieurs siècles et millénaires en arrière. Il est cependant vrai que le culte kalasha évolua et que le panthéon actuel ne représente non pas une seule couche homogène de divinités, mais plusieurs.

La divinité la plus ancienne est Imra, aussi appelé Dam Raj. C'est le dieu le plus central, créateur du monde et père des autres dieux, mais son culte est tombé en quelque sorte en désuétude. De nos jours, les figures de Gish, Bagish et Mahadeo sont plus populaires. Enfin, le dernier groupe de divinités est celui des déesses, dont Disni est la plus célèbre. S'ajouteraient encore un quatrième groupe, constitués des divinités domestique gardiennes des familles et des villages.

En comptant les formes principales mais aussi les formes secondaires de leurs incarnations, le panthéon kalasha compterait 16 divinités selon les études du célèbre anthropologue George Scott Robertson, le premier ethnographe à nous avoir fait découvrir cette culture au seuil du 20e siècle. En 1986, l'anthropologue de l'Université de Kent, Peter Parkes, dénombre quant à lui plus de 40 noms de divinités différentes. Aux principales divinités tutélaires universellement vénérées par la communauté kalasha, s'ajoute en effet une divinité gardienne par village. Imra, Gish, Moni et Disni possèdent leur propre temple tandis que les autres divinités logent dans les guérites des principaux temples.

Si les appellations des dieux kalashas rappellent celles des divinités aryennes védiques ou perses, ces dieux ne sont ni des variations, ni des adaptations, et possèdent un caractère qui leur est propre. On a donc bien du mal à reconnaître Shiva dans la figure de Mon (Mahadeo), tandis que Balimain rappelle autant Indra que Shiva, tout en ayant sa propre mythologie.

Autre exemple, Yama, le dieu de la mort et figure tutélaire secondaire du védisme, est difficilement comparable à Yam Raj, « le roi Yama » des Kalashas, qui est une figure centrale et essentielle de leur culte. Yama est souvent mis en scène dans la littérature brahmanique comme une divinité gardienne des secrets de la vie, toujours prête à conseiller ou à enseigner le dharma aux mortels. Yama n'est pas sinistre ni néfaste comme pourrait l'être un Hadès. Ce n'est que sous l’influence du bouddhisme, que Yama deviendra le principal obstacle à l'illumination du prince Siddhartha, qu'il deviendra jaloux et méchant. Au long du premier millénaire, sous l'influence puranique, Yama deviendra enfin le gardien des enfers, le maître redouté des yamadutas (diablotins sadiques). Autre similitude, tout comme chez les védiques Yama est le père de Manu, le premier homme, le Yam Raj kalasha est le père de l'humanité et en particulier du premier homme, Baba Adam (« Adam-le-père »). On peut donc en conclure que les Kalashas adorent une forme ancestrale de Yama, en tant que gardien de la vie et créateur-destructeur de l'Univers, et pas seulement comme simple gardien des enfers.

Le nom « Adam » est un emprunt au culte islamique que les Kalashas ont consenti, étant donné que la figure mythologique monothéiste d'Adam n'est pas éloignée de la leur. Il en va de même pour Imra, qui devient Allah dans les chansons populaires. Imra, dieu tout-puissant et supérieur à toutes les autres divinités kalashas, créateur de l'univers comme des hommes, gardien et pourvoyeur de la mort, est en effet une figure tout à fait comparable au dieu unique des monothéismes abrahamique. Ainsi, en adoptant, de gré ou de force, les codes de l’envahisseur musulman, les Kalashas tentèrent d'éviter les persécutions.

Les Yézidis du Moyen Orient adoptèrent eux aussi la même attitude, nommée taqiya dans le monde musulman, et qui consiste à cacher sa véritable croyance pour ne pas s'attirer les foudres d'une société opposée à de telles croyances. Habituellement la Taqiya est pratiquée par les musulmans dans les pays non islamiques, mais elle peut aussi être pratiquée par des adeptes d'un culte non islamique en terre d'islam.

 

Imra, Yama Raj

Imra (ou Imro en kamviri), Dezau (« le créateur »), Khodaii (en perse), Yama Raj (« le roi de la mort » en sanskrit), ou encore Mara (« la mort » en nuristani), est le dieu créateur, père des autres dieux et du premier homme, « Père Adam. » les autres dieux lui sont subordonnés. La déesse Disni, aussi appelé Dezalik (« la sœur de Dezau ») est présenté comme sa sœur, mais ils ne possèdent pas de père ni de mère en commun, étant tous deux des divinités primordiales. À l'image du Vishnou Narayana allongé sur un serpent au-dessous de l'océan primordial, dont toute création trouve son origine, Imra est le maître de ce qui est, et de ce qui n'est pas. C'est-à-dire de ce qui est créé et incréé, de ce qui est périssable et impérissable. Il est donc le maître du monde souterrain comme du ciel. Les autres dieux vivent de son souffle.

Le culte d’Imra est moins exubérant que celui de Gish ou de Disni. Si chaque village possède une guérite ou une petite chapelle en son honneur, abritant une idole en bois ou monolithe, ces espaces sont humbles et ne distinguent en rien Imra d'une autre divinité. Il en va de même pour le dieu créateur des hindous, Brahma, qui ne possède en Inde que de très rares temples et qui, malgré son rôle majeur dans la mythologie, est une divinité à la modeste envergure comparée à celle de Shiva ou Vishnou.

De nos jours, alors que les Kailashas vivent leur dernière décennie d'existence, le culte d'Imra est tombé en désuétude. Autrefois son plus grand temple se situait à Kushteki, au milieu de la vallée. Après la colonisation du Peristan par les musulmans afghans, Kushteki devint l'unique centre religieux et le principal site de pèlerinage des Kalashas des vallées environnantes. Le temple fut depuis détruit. Il n'en demeure plus rien si ce n'est dans la mémoire kailasha et dans l'œuvre de G. S. Robertson (qui visita le temple à la fin du 19e siècle et fut assez chanceux pour l'approcher et le décrire fidèlement).

 

Gish

Gish est de loin la divinité la plus populaire des Kalashas. Chaque village possède un sanctuaire en son honneur, voire deux. Il est le dieu de la guerre, devenue une divinité après une vie héroïque passée sur Terre à incarner la justice et à massacrer les ennemis des Kalashas. Gish est le héros mythique qui affronta les musulmans et massacra la plupart de leurs chefs (que la mythologie kalasha enregistra comme démons). De même que Héraclès était particulièrement populaire chez les jeunes grecs et les guerriers de Sparte, Gish attire la faveur et la dévotion des jeunes Kalashas. Semblable à Rama, le dieu parfait de l'hindouisme, Gish représente le type même du Kalasha juste et courageux qui n'hésite pas à massacrer ses ennemis.

 

Bagisht

Bagisht est le dieu des richesses et de l'élément aquatique. Il règne sur les rivières, les lacs et les sources. Il est célébré dans les festivals liés à l'agriculture. Les monolithes qui lui étaient consacrés étaient situés à côté de lacs. Les animaux qui lui sont sacrifiés sont jetés à l'eau. En sacrifiant à Bagisht, les Kalashas pensent attirés à eux la richesse.

« Dieu des richesses » signifie pour un peuple comme les Kalashas, qu'il s'agit d'une divinité qui veille sur le bétail et les divers troupeaux. Les Védas présentent eux-aussi les vaches comme étant à la fois un symbole de toutes les richesses dispensé par la Terre-Mère, mais aussi comme les principaux animaux qu'un brahmane se doit d'avoir près de lui pour vivre. Une vache donne en effet du lait, utile aux nourrissons, mais elle engendre aussi des bœufs, utiles au travail des champs. Les Védas ou l'Avesta décrivent les vaches comme étant l'objet du désir des guerriers aryens. Ceux-là étaient spécialisés non pas dans la conquête de territoire ou leur administration, mais dans le rapt de femmes et le vol du bétail, deux gageurs indispensables à la prospérité d'un clan ou d'une tribu. De telles pratiques se retrouvent dans le mythe de la fondation de Rome et le célèbre épisode de l'enlèvement des Sabines. L’enlèvement de femmes pouvait être un moyen efficace de relancer la croissance démographique d'une société en perte de vitesse, de même qu'un efficace moyen de lutter contre la consanguinité. Ce dernier fléau touche principalement les lieux reculés, particulièrement les vallées de hautes altitudes.


 

Mon (Mandy ou Mahadeo)

Mon semble la plus ancienne des divinités mineures. Mon, aussi appelé Mandy ou Mahadeo par les Kalashas, est connu dans d'autres langues sous le nom de Mahadeva (« le grand dieu » en sanskrit). Il s'agit la plupart d'un qualificatif consacré à Shiva, l'un des membres de la Triade Indienne (Trimurti). Shiva est le dieu destructeur, et il en va de même pour Mon, qui est traditionnellement la divinité choisit par Imra pour combattre les démons. Mon est comme Shiva le dieu des champs dotés d'attributs liés à la fertilité. Comme le Shiva indien, Mon est aussi le « gardien des traditions », celui qui veille au respect des coutumes et à tout ce qui relève de la pureté et de la parole donnée. Ainsi, gardien des promesses, et favori du dieu créateur pour accomplir des missions de destruction du Mal, Mon est aussi à rapprocher du Mithra de l'Avesta. Par ailleurs, Mon est la divinité messagère, qui passe du monde divin au monde terrestre, afin d'amener aux dieux leurs offrandes et aux hommes la bénédiction des dieux en retour. Une nouvelle fois, une analogie peut être faite avec Rudra-Shiva, qu'un mythe nous présente comme perturbant la cérémonie des rishis et dévas, en s'imposant comme un élément indispensable à tout culte véritable. C'est en effet Mon qui fait donc le lien entre les festivités du festival de Chaumos et les Dévalogs auxquels elles s'adressent.

Populaire et adoré quotidiennement parmi les Kalashas, Mon ne connaît pas pour autant la ferveur que connaît Gish, ni l'importance que pu avoir Imra. Les brasiers qu'on lui consacre sont composés de quelques brindilles et de quelques branches, que l'on allume sous une grosse pierre. Il ne s'agit cependant pas d'un signe de la moindre importance de ce dieu, car pour les peuples panthéistes et héritiers du chamanisme, le plus beau temple pour pratiquer un sacrifice est bien la nature elle-même.

 

Indr

Indr, aussi appelé Shura ou encore Shura Verin, est une figure reliée à Verethragna et à Indra, associée à la boisson divine et au vin. Les Kalashas lui offrent une libation avant chaque dégustation. Sous la forme de Verin (Waren, Warendr ou Warin), il est le dieu le plus puissant et le plus redoutable du panthéon kalasha. Plus encore que Gish ou Mon, Indr est le principal protecteur des vallées et du bétail. Tout comme l'Indra védique, il est le maître des pluies du printemps. Un temple lui est dédié dans la vallée du Rumbur, c'est le « Sajigor », un terme souvent confondu avec l'appellation même du dieu (les derniers patriarches kalashas définissent pourtant le Sajigor non pas comme la divinité, mais comme le lieu où son culte est célébré). Indr possède un alter ego démoniaque : Jestan, le chien des enfers. Jestan est combattu par les Dévalogs qui lui jettent des pierres : ce sont les étoiles filantes.

 

Balumain

Présenté parfois comme le frère d'Indr, parfois comme un de ses avatars, le cavalier étincelant Balumain (« celui qui partage les richesses ») est un héros de la mythologie kalasha. Il est particulièrement adoré lors du festival de Chaumos, dont le mythe nous raconte que c'est Balumain, visitant chaque année le pays Kalash, qui apporte le renouveau du printemps. Il apporte aussi aux Kalashas la prospérité et la bonne santé. On adresse à Balumain des offrandes et des invocations en même temps qu'à la déesse Kushumai, déesse de la fertilité. Un des mythes de Balumain et Kushumai est d'ailleurs tout à fait similaire à au mythe indien de Shiva et Parvati : Kushumai quitte Balumain pour s'en aller rejoindre ses propres montagnes, laissant son partenaire seul. Celui-ci, se tournant alors en lui-même, occupa la place qu'avait laissée vacante Kushumai. Or, selon la tradition shivaïte et shaktiste, le Grand Dieu et la Grande Déesse occupent tous les deux le même trône, et donc le même corps. Autre similitude avec la mythologie shivaïte, Balumain est parfois représenté doté des deux sexes, qu'il peut incarner à sa guise. Nous retrouvons alors Shiva Ardhanarishvara, « le seigneur androgyne », présenté comme l'alliance de Shiva et Parvati dans un même corps, et donc le dépassement du principe de bipolarité ou de différenciation ; Ardhanarishvara étant la forme ultime du divin.

Tout comme Shiva, Balumain est un héros civilisateur, c'est lui qui enseigna aux hommes les recettes des gâteaux sacrificiels à base de sang de caprins et c'est lui qui est à l’origine du premier festival de Chaumos, qu'il célébra avec les Kalashas.

 

Disni et les déesses kalashas

Dezalik, ou Disini est la déesse de la fertilité. Comme les déesses tutélaires grecques, elle est la force de destruction qui est au service de la conservation de la vie. Elle est la protectrice des enfants, des femmes qui accouchent et du genre féminin en général. Disni est la version kalasha de la Grande Déesse, aussi déesse de la Terre. Présentée alternativement comme la fille ou la création d'Imra, Diziane forme avec lui un couple qui rappelle celui de Brahma et Sarasvati. Diziane est aussi à rapprocher de l'Aphrodite céleste. À la différence près que celle-ci est née des flots de la mer primordiale tandis que Disni est né dans un lac.

À l'instar des autres divinités, le culte de Disni est en voie de disparition. Selon les témoignages recueillis par les ethnologues qui documentèrent leur culture, si on danse encore en son honneur lors de festival qui lui est adressé, les paroles des chansons ont été oubliées.

En tant que déesse de la terre, les vaches lui étaient associées. Elle était leur gardienne et la distributrice de leur lait (ses statues étaient couvertes de libations de beurre). Tout comme la grande déesse hindoue, son mythe la rattachait à l'arbre de vie (dans lequel elle s’était réfugié). À chaque fois qu'un garçon naissait, on lui offrait un bouc. D'importants festivals lui étaient consacrés, que les musulmans surnommaient l' « Aïd des mécréants », tant les sacrifices qui lui étaient adressés étaient nombreux.

Nous proposons un hymne à Disni extrait de The Statue KK II A and Its Circumstances, de Lennart Edelberg, un article paru dans A Kafir Goddess, d'Ahmad Ali Motamedi (Arts asiatiques, Vol.  18, Issue 18, 1968.) :

 

Ô Disni, tu es la protectrice des portes de Dieu

Et plus encore, tu possèdes les 18 niveaux :

Gardienne du temple,

Pourvoyeuse du lait aux êtres humains,

Protectrice des enfants,

Bienfaitrice du genre humain,

Porteuse de toutes les grâces de Dieu,

Tu laisses ouverte la manne du lait,

Tu apportes la sensualité à l'humanité,

Tu fais croître ce qui fut créé,

Tu es celle auquel Dieu permet d'agir,

Et tu es la gardienne des neuf portes du salut.

 

Disni est la déesse à laquelle est consacré le bashali, le lieu dédié aux femmes qui ont leurs règles ou qui accouchent. On lui adresse alors des offrandes et des prières, comme celle-ci :

 

Ô Dezalik, maîtresse du bashali,

Fais-la vite accoucher,

Place dans ses bras une nouvelle fleur,

Ne rends pas les choses difficiles,

Voici pour toi de quoi manger et boire

Ô ma Dezalik, maîtresse du bashali,

Elle est venue se placer sous ta protection,

Apporte-lui donc la santé, place dans ses bras une fleur,

Tu peux manger et boire

On raconte au sujet d'une statue de Disni un fait divers très représentatif. Lors des campagnes afghanes de conversions massives du début du 20e siècle, les Kalashas, pris de panique à l'idée de voir leur idole brûlée, déplacèrent la grande statue de Disni et l'installèrent en guise de banc dans une cuisine, le côté sculpté de la statue face au mur, afin qu'elle ne soit pas découverte. Celle-ci fut ressortie puis érigées plus de 80 ans plus tard, par ceux qui avaient gardé la foi intacte en les anciennes coutumes et traditions kalashas. Elle était alors en bon état, et portait même les traces d'un culte entretenu secrètement 80 ans durant avec des libations de beurre. Entre-temps, la plupart des Kalashas s'étaient convertis, et un des petits-fils de celui qui avait caché puis redécouvert la statue, était un hadj, c’est-à-dire un musulman zélé qui avait fait son pèlerinage à La Mecque. Or, celui-ci prit sur lui de brûler la statue, signe selon lui d'un paganisme intolérable. Heureusement, le gouvernement pakistanais pris la défense des Kalashas, et interdit que la statu soit détruite.

Cette statue représentait Dezalik assise, le sexe caché par une tête de bélier dont elle tenait les cornes. Un autre totem à Disni la présente assise, tenant dans ses mains une sorte de lance et pourvu de corne sur la tête. Les cornes, attribuées au bouc, à la vache, ou au bélier, étaient dans le monde antique un symbole de fertilité.

 

Krumai, Jestak, Nirmali, Kotsomaiush et Saranji

Krumai est une déesse qui possédait son temple du côté afghan de la frontière, à Badawan, sur la montagne Tirich Mir (par ailleurs la montagne aux fées de la mythologie kalasha). C'est là que lui étaient offerts boucs et chèvres. Représentée sur une chèvre, Krumai partagent des mythes en commun avec Disni. C'est la mère de Mon, à qui elle donna naissance après avoir été imprégnée de l'urine d'un démon alors qu'elle s'était cachée dans un tronc d'arbre. Son aspect cornu est imité par la coiffe des femmes. Les cérémonies kalashas se termineraient par des danses comiques en son honneur.

Jestak (Jeshtak) est la déesse du foyer, de la vie domestique, de la famille et du mariage. Le soir du nouvel an, une cérémonie lui est consacrée dans tous les foyers. Au printemps, on lui sacrifie un taureau. Du pain et du fromage sont sa nourriture spirituelle (offrande). Voici une prière qui lui est adressée :

 

Nous venons d'offrir en offrande le taureau du printemps

Afin que nous vivions en paix

Et que nous obtenions de nombreux enfants

À présent, mangeons de cette nourriture rituelle

Toi, Jeshtak, gardienne du foyer,

Mange donc ta part des offrandes et accorde-nous la paix,

Garde les problèmes et la souffrance éloignés de nous.

 

Nirmali, « l'immaculée » est la déesse gardienne des femmes qui accouchent et de leur bébé, rôle qu'elle occupe avec Disni.

Kotsomaiush est la déesse de la féminité, qui intima l'ordre aux femmes kalashas de prendre soin d'elle et de se parer de perles, de colliers et de parures diverses. C’est elle qui éloigne les mauvais esprits des champs, des vergers et des enfants.

Enfin, Saranji est la déesse tutélaire du village de Pontzgrom, dans la vallée de Bashgul.

 

Les fées kalashas

La mythologie kalasha comprend des fées des montagnes, les Peris (mot perse signifiant apsara en sanskrit, ou nymphe en latin). Elles aident les chasseurs en permettant à leurs armes de toucher leur cible. Elles sont aussi les protectrices des animaux sauvages, car elles décident de les livrer aux chasseurs (ou de bien de dévier leur flèche). Le bouquetin (markhor) est leur animal totem. Elles sont honorées afin que les récoltes de céréales soient abondantes. Possesseurs de pouvoirs magiques, elles peuvent aussi doter les hommes de pouvoirs spéciaux.

Il existe différents types d'esprit de la nature : les Suchi, qui aident les chasseurs, les Varoti, leurs partenaires masculins, et dans un autre registre les Jach, qui sont les fées des champs et des pâturages d'altitude.

Les fées résident dans les lacs, les sommets et les glaciers. Avant le début de l’hiver, elles redescendent dans les prairies, c'est pourquoi on leur demande d'épargner le bétail. Le mont Tirich Mir (7708 m), dans le Chitral, est surnommé « la montagne des fées », car la tradition prétend qu'elles vivraient sur son sommet. Le mont Tirich Mir pourrait être l'illustre mont Méros, visité par Alexandre la Grand alors de passage dans le pays des kalashas. Pouvant être confondu avec le Mont Kailash du Tibet Occidentale, la montagne sacrée des Kalashas partage avec le mont tibétain homonyme la même silhouette pyramidale. La vallée de Rumbur, toujours dans le Chitral, est un autre lieu censé abriter la vie elfique.

On offre des offrandes aux fées. Certaines possèdent des autels à travers les vallées, sur lesquels on dépose des offrandes de fromages. Le sacrifice de caprin est lui aussi pratiqué en leur honneur. Robertson nous rapporte que les villageois de la tribu des Kam sacrifiaient des boucs et des enfants à certaine fée nommée Charmo Vetr. En retour, « cette fée était d'une grande aide quand il s'agissait d'éradiquer les ennemis des Kam. » (George Scott Robertson, The Kafirs of the Hindu Kush).

Les KALASHAS
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