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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Les ÉPOPÉES INDIENNES

Quand elle est naïve et spontanée, l’épopée reproduit sans effort et sans critique les légendes populaires qui transfigurent, à l’aube de l’histoire, les actions de quelque chef en la personne duquel s’incarnent les aspirations nationales d’une tribu primitive. Le héros qui en est le centre apparaît pourvu des diverses qualités physiques et morales susceptibles de contribuer aux progrès d’une société naissante et devient, par un travail d’accumulation incessant et presque inconscient, le modèle proposé aux rois futurs.

W. Thomas, Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons

Composées vers la fin du premier millénaire avant notre ère, les deux épopées du Mahabharata et du Ramayana sont les émanations les plus populaires de la culture aryenne indienne. On y ressent cependant très fortement l'influence du jaïnisme et de la riche spiritualité dravidienne, dont le syncrétisme avec le védisme donna naissance au vishnavisme, c’est-à-dire au culte de Vishnou, notamment à travers les avatars Rama et Krishna.

Plus populaires que les Vedas et tout à fait accessibles aux non-initiés, le Ramayana et le Mahabharata sont sans aucun doute les textes les plus universellement révérés de l'hindouisme. Ces deux épopées, que l'on rapprocherait en Europe de l’Iliade et de l'Odyssée, présentent un bien plus grand choix de textes que le corpus védique. .

Les grandes épopées hindoues jouissent d'une popularité qui n'a pas dévalué jusqu'à nos jours, grâce à leurs multiples adaptations, que ce soit au théâtre, à la télévision ou au cinéma. Le Mahabharata est attribué à Vyasa et le Ramayana à l’ascète Valmiki. Leurs compositions sont difficiles à dater, mais on les situe souvent entre -700 et -300, avec une source d'inspiration remontant peut-être au-delà du premier millénaire av. J.-C. Leurs récits, légendaires, relatent des événements censés s'être déroulés plusieurs millénaires plus tôt.

Ces deux récits peuvent sembler similaires : le Ramayana raconte la bataille qui oppose Rama et son armée de singes contre Ravana et ses rakshasas, durant le Tetra Yuga, le troisième âge de l'humanité. Le Mahabharata raconte la guerre du Kurukshetra, dont l'issue sera la naissance du Kali Yuga, l'âge final de l'humanité. Rama est l'avatar de Vishnou protagoniste du Ramayana, Krishna est l'avatar de Vishnou protagoniste du Mahabharata. Il existe cependant une différence de taille : le Ramayana est un véritable roman de chevalerie, pouvant se lire comme une quête initiatique. Sa longueur est modeste et son intrigue ramassée, comme il sied à un roman d'aventures. Au contraire, le Mahabharata est une très longue saga, dont la lecture elle-même est l’œuvre d'une vie. Le Mahabharata est à ce jour le plus long poème de l'humanité, d'une taille plusieurs fois supérieure à la Bible, au Coran et aux Iliade et Odyssée réunis.

Une fois le zénith de la mythologie indienne atteint avec ces foisonnantes épopées, les mythes se borneront à se réécrire, à se raconter autrement, inlassablement, mais aucune nouvelle personnalité ne viendra transformer le panthéon indien. L'Histoire et l'écriture, empêcheront la naissance de nouveaux dieux.

 

Le Mahabharata

Le Mahabharata est la grande épopée du nord de l'Inde. Composé au fil du premier millénaire avant notre ère et puisant son inspiration dans le védisme et les traditions populaires indiennes et jaïnes, le Mahabharata raconte les aventures de Arjuna et ses frères, conseillés par le divin Krishna. Les Pandavas, les Kauravas, Karna, Krishna, Arjuna, Bhishma, Yudhishthira et Draupati sont ses protagonistes les plus récurrents. Ils s’affronteront tous lors de la guerre du Kurukshetra.

Sa rédaction est attribuée à Ved Vyasa, « le savant des Vedas », un titre honorifique que l'on retrouve souvent comme signature d'œuvres collectives, composées durant les premiers siècles de notre ère. La légende raconte que l'écrivain visionnaire Ved Vyasa en dicta les vers à Ganesh, le dieu du savoir.

Que soit d'abord rendu hommage à Vishnou, le seigneur des eaux primordiales, puis à Yama, le premier des êtres. Gloire soit aussi rendue à la déesse Sarasvati, d'où découlent toute intelligence et toute vérité.

Harivamsa, hommage préliminaire

Si l'orientaliste allemand Max Müller (1823 – 1900) fut le premier à traduire, commenter et publier des extraits du Mahabharata en Europe, le bengali Kisari Mohan Ganguli fut le premier à en proposer une traduction complète et en anglais. Il publia ses écrits à Calcutta de 1883 à 1896. Le Mahabharata étant le plus grand roman et poème épique jamais composé par l'homme, il n'existe jusqu'à présent aucune autre version traduite qui soit aussi complète. Cette version comprend plus d'une dizaine de tomes.

Le passage du Mahabharata le plus populaire, mais qui semble être plus récent et daté du début du premier millénaire, est la mondialement célèbre Bagavad Gita, « l'enseignement du bienheureux ».

La Gita met en scène Krishna qui apparaît aux yeux du guerrier Arjuna tel qu'il est véritablement, c’est-à-dire le dieu Vishnou. L'entrevue de Krishna et Arjuna est considérée comme le zénith absolu de la pensée indienne. Inspirée peut-être des dialogues des philosophes grecques, la Bagavad Gita est l'enseignement que donne un dieu au meilleur de ses disciples.

Grâce au zèle de ses disciples, Krishna est la figure du panthéon indien la plus connue en Occident. Le lecteur désirant s'en instruire est donc fortement encouragé à se diriger vers les nombreuses adaptations romancées de la vie légendaire du vacher céleste (la plupart n'étant cependant disponibles qu'en anglais). Mentionnons la parfaite et pointilleuse traduction de la Bhagavad Gita par Swami Prabhupada (Bhagavad Gita as it is), fondateur de l'association internationale pour la conscience de Krishna (I.S.K.C.O.N.), dont le travail en Occident fut admirable pour faire connaître l'hindouisme. Cette traduction, disponible dans toutes les langues occidentales, fait autorité en Inde.

L'appendice au Mahabharata est le Harivamsa, attribué lui aussi à Vyasa. Le Harivamsa est une sorte d'annexe au Mahabharata. Il s'agit d'une cosmogonie, d'une théogonie puis d'une généalogie de l'avatar de Vishnou nommé Krishna (Hari étant un des nombreux noms de Vishnou). La généalogie de la famille de Vishnou-Hari raconte donc la vie de Krishna, le mystérieux protagoniste dont le Mahabharata révèle pourtant peu de choses. Composé au début de notre ère, il est le premier texte centré sur ce personnage et sa jeunesse. Le Harivamsa synthétise, en quelques chapitres concis, deux millénaires de traditions védiques qui précédèrent sa composition. Moins brillant et métaphysique que le Bhagavata Purana ou la Bhagavad Gita, le Harivamsa est cependant la parfaite porte d'entrée aux mythes indiens.

 

Le Ramayana

Rama, son frère Lakshman, son ami Hanuman et sa femme Sita, sont les héros du Ramayana, ils combattent le démon Ravana en quelque 48 000 vers. Le Ramayana est la première œuvre littéraire indienne que l'on puisse assurément attribuer à un auteur unique ; Valmiki, un indigène hors caste qui vivait dans une forêt sur les bords du Gange, vers le milieu du premier millénaire avant notre ère.

Certaines traditions reconnaissent Valmiki, comme un avatar de Brahma, car malgré sa naissance il devint célèbre par sa sagesse et la parfaite maîtrise des Vedas. Grâce à sa narration ambitieuse et dynamique, le Ramayana est considéré comme le premier des romans de chevalerie, et probablement comme le premier des romans modernes ; non seulement Valmiki s'en revendique l'auteur, mais encore se réserve pour lui-même une place de choix dans son œuvre. En effet, à la fin de l'épopée, Valmiki n'est plus seulement narrateur, mais aussi un personnage de son propre récit, en accueillant dans son ashram son héroïne, Sita, qui y vivra ses dernières années. C'est d'ailleurs Valmiki qui éduquera Lava et Kusha, les fils de Rama, le protagoniste de son propre récit.

Le prince Rama était destiné à régner sur le royaume prospère de Kosala, dont Ayodhya était la capitale. Il était doté d'alliés nombreux et fidèles. Aîné de ses frères, Rama bénéficia d'une éducation destinée à lui permettre de réaliser des exploits militaires, puis il se vit très jeune promis à Sita, la princesse du puissant état de Mithila. Mithila était alors dirigé par le saint roi Janaka (présenté parfois comme un avatar de Vishnou).

Cependant, le père de Rama avait accordé à une de ses reines un souhait en échange de son amour. Et cette reine désirait qu'à la place de Rama, ce fût son fils Bharata qui devienne roi. Ne pouvant se soustraire à sa promesse, le roi Dasharatha n'eut donc d'autre choix que de couronner son fils Bharata et d'ordonner à Rama un exil hors des frontières du royaume. Par amour et fidélité, sa femme Sita et son frère Lakshman le suivirent en exil.

Tandis que Rama séjournait ainsi dans la forêt, au milieu des fauves, de nombreux rishis accoururent lui demander de les débarrasser des démons qui pullulaient autour d'eux. Rama, le serviteur et le protecteur du bien, leur promit alors d'en purger la forêt, car pour lui, chaque rishi était aussi précieux qu'une flamme qui danse dans un foyer.

Valmiki, Ramayana. Trad. Roussel

Bharata régna avec justice, mais le père mourut de chagrin. Quant à la princesse Sita, elle fut capturée par le démon Ravana (maître de l'île de Lanka).

L'exil dura quatorze ans, à la fin de quoi Bharata remit la couronne à Rama, qui régna enfin sur Ayodhya. Au terme de son règne, Lava et Kusha, fils de Rama et Sita, remplacèrent leur père à la tête du royaume.

À sa mort, Rama rejoint l'endroit le plus haut du cosmos, Vaikuntha, le paradis de Vishnou. Il comprend alors que Vishnou et lui ne sont qu'une seule et même entité et il se fond en elle. Il entre alors à Saket-Loka, aussi appelé Saketa, l'Ayodhya Céleste, où l'attend Sita.

Rama, associé à sa femme et à son demi-frère, prend la place de Vishnou dans la Trimurti hindoue. Il est l'agent préservateur, le sauveur, le garant de la stabilité de l'Univers. Son rôle est de détruire le Mal incarné par Ravana. Sita (dont l’étymologie sanskrite signifie « sillon ») prend la place de la divinité créatrice. Elle est une incarnation de la déesse mère tout comme de la shakti. C'est elle qui permet à Rama de se mettre en marche, d'accomplir ses exploits. Elle est sa raison d'être. Quant à Lakshman, qui manie plus souvent l'arme que son frère, il incarne le rôle destructeur, c'est lui qui coupe le nez de la sorcière qui agressait Sita, de même que c'est lui qui mènera, l'âme en peine et le cœur en deuil, Sita jusqu'à l'ashram forestier de Valmiki, où elle passera seule ses dernières années. C'est aussi Lakshman qui causera la mort de Rama, en laissant le terrible rishi Durvasa interrompre l'entretien que menait son frère avec l'ange de la mort.

 

Le roi Rama

Depuis ses premières mentions dans le Mula Ramayana, qui est la première source de sa légende, jusqu'à sa réinterprétation par les brahmanes de la vallée du Gange, deux millénaires plus tard, la figure de Rama a évolué, elle s'est transformée. La réécriture de Ramananda (Adhyatma Ramayana) fit beaucoup pour modifier le mythe purement littéraire de Valmiki en un mythe philosophique puis métaphysique. Ainsi, d'amant valeureux, prototype du prince charmant, Rama devint en deux millénaires un sage impassible, un être divin incarné dans un corps de chair, dont chacune des actions ou décisions est lourde de sens et riche de leçons.

De simple guerrier, Rama est devenu le roi parfait. Le démon Ravana passe alors au second plan, la bataille que Rama mène contre lui n'est plus qu'une étape dans un règne glorieux. Plutôt que sur le combat final, l'emphase est mise sur la gestion du Royaume d'Ayodhya. De roman d'aventures, le Ramayana devient la trame de dialogues philosophiques. En théologie et en philosophie, plusieurs Rama Gita (« Livre de Rama ») ont alors vu le jour, composées sur le modèle de la Bhagavad Gita. Ce n'est plus Krishna qui expose à Arjuna le secret de l'Univers, mais Rama (Dieu, gourou) qui s'adresse à son demi-frère Lakshman (disciple).

Depuis l’œuvre de Valmiki, Rama n'a cessé de prendre de l’importance dans la théologie vishnavite. De nos jours, le nombre de ses disciples peut s'estimer à un demi-milliard d'adeptes. Un être humain sur 14 (7 % de la population totale de la planète) reconnaît donc Rama comme son dieu, ou comme un avatar de son dieu. Ce chiffre s’obtient en prenant en compte le nombre d'hindous s’identifiant à une des nombreuses sectes vishnavites (environ 60 % des hindous, soit 600 millions), en y retranchant une centaine de millions d'adeptes sud Indiens pour qui Rama, divinité de la vallée du Gange, n'est pas si populaire. En effet, si Krishna est universellement vénéré, Rama est une divinité plus typique du nord du sous-continent, en particulier depuis la récupération politique de son mythe à des fins pan-hindoues.

Pour les hindous, Rama est un roi légendaire mais les adeptes de son culte considèrent son existence comme véridique, et situeraient son règne entre -5000 et -1000. Aucun vestige archéologique n'a cependant prouvé cette croyance. Si le sage Valmiki a probablement existé (v. -300 à 300), car on sent dans le Ramayana son empreinte, Rama semble au contraire une pure création littéraire.

D'un point de vue scientifique et rationnel, le roi Rama, c’est-à-dire le roi « éveillé », est donc un personnage apparu tout d'abord sous la forme de l'épopée à la fin du premier millénaire avant notre ère, puis largement diffusé à travers l'Asie, en particulier sous la forme du chant, de la danse (Kathakali), du théâtre et de la sculpture murale. Rama inspirera des courants artistiques aussi disparates que le théâtre de marionnettes de Bali ou la littérature médiévale persane et européenne. En Inde, sa légende fut adaptée en danse, en musique, en peinture, à l’étranger, elle fut adaptée en des dizaines de langues, subissant parfois d'importantes variations par rapport à la version canonique de Valmiki.

Rama est le prototype du héros littéraire autant que mythologique. Il est l’archétype du prince charmant mais aussi du chevalier errant, inlassable redresseur de torts. Il est le héros invincible qui inspirera les personnages du cycle du roi Arthur (Lancelot) mais aussi les romans chevaleresques et courtois perses (Wis et Ramin annonçant Tristan et Iseult) et celto-germaniques (Siegfried). Tous les poncifs du genre sont en effet présents dans le Ramayana : décor boisé et champêtre, peuplé de créatures étranges mi-humaines mi-animales, enlèvement de princesse sans défense, amour contrarié, arme magique (épée ou arc), ultime combat contre un monstre tapi dans son repaire, etc. Doté d'une puissance surhumaine, d'une sagesse imparable, d'une volonté imperturbable, Rama est le champion auquel aucune cause, même les plus périlleuses, ne résiste.

 

Les nombreux ramayanas

Plus, de 300 ramayanas différents ont été recensés, tous écrits à des époques et en des lieux différents, parfois même traduits, réécrits ou réinterprétés en des pays situés à plusieurs centaines de kilomètres de l'Inde, par exemple en Indonésie ou au Laos. Nous distinguerons trois types de ramayanas : les récits composés en sanskrit (de la fin du premier millénaire av. J.-C. jusqu'au milieu du premier millénaire), les dialogues philosophiques composés en sanskrit et inspirés du Ramayana de Valmiki (l'Adhyatma Ramayana de Ramananda est le plus célèbre), enfin les récits composés en langues vernaculaires et ayant rendu populaire le mythe de Rama durant le second millénaire de notre ère et dont le Ramcharitmanas de Tulsidas, rédigé dans un dialecte de l'hindi, est le plus célèbre et diffusé. C'est dans cette dernière catégorie que se situent les adaptations indochinoises, indonésiennes, sud indiennes ou même musulmanes (Kérala, Perse).

Les premières traces du Ramayana remontent avant la composition du récit canonique par Valmiki. Elles se retrouvent dans le Mula Ramayana attribué au sage Narada (v. -400), dans le Mahabharata où figure un résumé des aventures de Rama, mais aussi dans des récits et fables bouddhistes, comme le Dasharatha Jataka (v. -300 à 400). Le Ramayana de Valmiki est cependant une des plus anciennes versions (-300 à 300) et la seule pouvant être considérée comme un chef-d’œuvre absolu et universel. Premier roman de l'Histoire de la littérature, cette version sera considérée comme le texte de référence pour toutes les autres à venir.

Tout au long du premier millénaire, des récits seront composés en sanskrit et reprendront à leur compte la légende de Rama, en proposant souvent un court extrait parabolique ou un résumé partiel. Mentionnons le Yoga Vashistha (composé entre le 6e et le 14e siècle au Cachemire), l'Agni Purana et le Bhagavata Purana (v. 600 à 1000).

Par ailleurs, le jaïn Vimala Suri (Paumachariyam, rédigé en prakrit de 300 à 500), proposa une sorte de version à rebours de celle de Valmiki. Le Paumachariyam est l’œuvre la plus célèbre de ce type, mais il en existe de nombreuses autres dans le corpus jaïn. La belle-mère de Rama, la reine Kaikeyi, est présentée comme bonne, et c'est pour empêcher Bharata d'entrer dans les ordres qu'elle lui impose d'être roi à la place de Rama. Durant leur exil volontaire, Rama se serait marié trois fois, et Lakshman onze fois. Ravana est un roi juste et végétarien, le roi des singes Vali n'est plus un despote sanguinaire mais un roi qui délaisse sa couronne pour devenir moine jaïn. Son successeur Sugriva accède au trône sans le combattre ni le tuer. Enfin, c'est Lakshman et non Rama qui tue Ravana tandis que Rama atteint la Moksha (l'illumination).

Les aventures de Rama furent colportées au-delà des mers, des montagnes et des forêts. Dès le 7e siècle, Rama apparaît dans les inscriptions cambodgiennes de Veal Kantel (Stung Treng). L'origine de la version khmère du Ramayana date de cette époque, c'est le Reamker (Ramakerti). Au Yunan, c'est le Langka Sip Hor. À Java, intronisée par les marchands et navigateurs tamouls, la légende de Rama s'implante, mais elle est racontée tout à fait différemment. En effet, le Kakawin Ramayana (870) n'est pas fondé sur la version de Valmiki, mais sur celle de Bhattikavya dans Le Massacre de Ravana (Ravanavadha, 6e siècle). Cette version est composée de deux parties ; la première est similaire à celle de Valmiki, la seconde originale. Elle inclut des divinités locales comme Semar et ses fils Gareng, Petruk, et Bagong. C'est cette version que l'on retrouve au temple de Prambanan (Yogyakarta). Il existe aussi des versions de Sumatra et de Bali (Ramakavaca).

Quelques siècles plus tard, suivant la route de la soie, le bouddhisme a atteint le Japon, tandis que les Vedas et Upanishads sont traduits en Chine. Le Ramaenna (10e siècle) est la version japonaise du Ramayana.

À partir du 13e siècle, sera composé en Malaisie le Hikayat Seri Rama, dans lequel Lakshman est le protagoniste. Loué pour sa jeunesse, il joue un rôle plus important que Rama, qui est présenté comme faible et reste souvent en retrait. La version lao, le Phra Lak Phra Ram, dont la version définitive date du 18e siècle mais dont l'origine est bien plus ancienne (début du premier millénaire, Angkor, Champasak) propose une version similaire à la version malaise. De tradition bouddhiste, cette version présente Rama en Bodhisattva et Ravana en brahmane matérialiste.

En Inde, dans la première moitié du second millénaire, vont apparaître des dizaines de traductions locales de la légende de Valmiki, faisant subir au récit initial plus ou moins de variations littéraires et théologiques. Une des premières versions semblerait être le Ramacharitam de Cheeraman (v. 1198) composé au Kerala. C'est la plus ancienne trace écrite d'une composition en langue dravidienne (Malayalam). Au 12e siècle, le poète tamoul Kambar compose le Ramavataram (Kamba Ramayanam). Si dans le Ramayana de Valmiki Rama ne semble pas avoir conscience de sa divinité, dans la version de Kambar il est présenté clairement comme un avatar de Vishnou. Vers 1300, Ranganatha (Gona Budda Reddy) et son Ranganatha Ramayanamu présentent pour la première fois une version télugue.

Les adaptations dans le nord de l'Inde seront un peu plus tardives. Une des toutes premières adaptations en langue vernaculaire est le Saptakanda Ramayana du poète assamais Madhava Kandali (14e au 15e siècle). Au 15e siècle, le bengali Krittibas Ojha compose le Krittivasi Ramayan. Ce siècle sera aussi celui des adaptations en Orissa, avec le poème Vilanka Ramayana de Sarala Das et le Dandi Ramayana de Balaram Das.

C'est cependant le Ramcharitmanas de Tulsidas (v. 1532 - 1623) qui est le plus influent de tous ces ouvrages. Rédigé en langue vernaculaire awadhi (hindi), il s'inspire grandement d'une œuvre philosophique composée en sanskrit quelques siècles plus tôt : l'Adhyatma Ramayana du sage Ramananda. Ce dernier ouvrage est une réécriture philosophique, théologique et métaphysique de la version de Valmiki. La version de Tulsidas propose un fin qui élude le retour de Rama à Ayodhya et qui ne mentionne pas la répudiation de Sita. Cette œuvre est extrêmement populaire dans le bassin du Gange. Tulsidas passa la majeure partie de sa vie à méditer sur les bords du Gange à Varanasi, et comme Shankara, il possède un ghât à son nom dans la ville sacrée (Tulsi Ghat). Sa traduction du Ramayana en langage vernaculaire proche de l'hindi moderne, renouvela les traditions liées à Hanuman, Rama et Sita. En conséquence, il est considéré comme une réincarnation du sage Valmiki, l'auteur original du Ramayana, qui lui-même est présenté comme un avatar de Brahma, l'auteur de la première œuvre qui jamais ne fut : les Vedas.

Roi autoritaire et instable, bien que se revendiquant éclairé, l'empereur moghol Akbar fait traduire par les brahmanes de sa cour le Ramayana, qui devient Le Ramayana d'Akbar (1584). Au début du 17e siècle, Sad Allah Masih Panipati propose son Dastan-i Ram u Sita, un récit sur fond de romance folklorique perse. En 1776, Ganga Bishan propose le Pothi Ramayana, une version en ourdou, c’est-à-dire en hindi arabisé. D'autres versions musulmanes existent, dont le Mappila Ramayanam de Hassankutty (v. 1900), qui est la version des bardes musulmans du Kérala.

Depuis le début de l‘ere industrielle, le Ramayana n'a cessé de voyager en Asie et d'être sans cesse adapté, parfois selon les volontés politiques des monarchies locales (Thaïlande). Chaque territoire d'Asie possède sa version du Ramayana, que les ethnologues ont compilée aussi loin que les Philippines, où il était conté, comme ailleurs, sous la forme d'une grande épopée orale (Maharadia Lawana, en dialecte maranao).

C'est surtout dans la péninsule indochinoise que le Ramayana semble le plus repris. Outre les versions yunanaise, lao, khmère et malaise, mentionnons également les versions birmanes de Rama sa-khyan, de U Aung Phyo (1775) et la version thaïe Ramakien, composée sous la direction du roi Rama 1er en 1797. Dans ce récit, Hanuman est un personnage encore plus important que dans la version de Valmiki, mais il est différent, moins sage et bien moins respectueux (il viole Mandadori, la femme de Ravana). Autres exemples parmi de nombreuses particularités, Lakshman est une nouvelle fois un personnage plus important que son frère et Ravana a la peau verte.

Fortement influencé par les traditions védiques, hindoues et bouddhistes, le Tibet possède son Rin-spuns-pa, proposant une prophétie annonçant que Ravana reviendra à la fin des temps sous la forme de Kalki. En Arunachal Pradesh, dans le Tai Khamti Ramayana, « Rama est incarné en bodhisattva pour que Ravana le torture » (Wikipédia).

À la fin du 19e siècle, participant encore à la popularité du mythe de Rama dans le nord de l'Inde, sont publiées deux versions népalaises rédigées en langue vernaculaire par deux poètes nationaux : Bhanubhakta Acharya (Bhanubhaktako Ramayan, v. 1850) et Siddhidas Mahaju (Siddhi Ramayan, v. 1900).

Au 20e siècle, la popularité du Ramayana n'a pas faibli et on dénombre des dizaines de traductions anglaises, mais aussi des adaptations cinématographiques indiennes (séries télévisées, dessins animés, etc.)

Citons enfin l'ouvrage controversé de l'activiste Pulavar Kuzhanthai, Ravana Kaaviyam (1946). Il s'agit d'un pamphlet apologétique de propagande dravidienne, présentant Ravana comme un héros et Rama comme un lâche et un criminel. Ce livre fut longtemps interdit de publication par le gouvernement indien.

Rama, Sita et Lakshman, protagonistes du Ramayana

Rama, Sita et Lakshman, protagonistes du Ramayana

Les ÉPOPÉES INDIENNES

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