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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Le petit OISEAU à l’œuf d'or (conte breton)

Le mythe de l'oiseau céleste est souvent associé à celui de l’œuf d'or, appelé Hiranyagarbha chez les hindous. Le récit qui suit, extrait de Contes populaires de Basse-Bretagne, de F.M Luzel, concentre en lui ces deux mythes. Cependant, comme souvent avec les contes, le sens premier de la symbolique animale a été perverti, et ainsi, d'oiseau de vérité, le faucon ou l'aigle pourvoyeur de sagesse et guetté fiévreusement par les ascètes, devient une colombe, ou une mésange, et l'oiseau divin n'est alors plus que le pourvoyeur des richesses matérielles, celles-là mêmes que refusaient de posséder les anachorètes qui les premiers chantèrent leurs louanges.

*

Il y avait une fois un jardinier qui avait deux fils. Un jour du mois de mai, comme il travaillait dans son jardin, il remarqua un petit oiseau comme il n’en avait jamais vu.

« Voilà un bien bel oiseau ! se dit-il à lui-même ; si je pouvais le prendre ! »

Il réussit à prendre le petit oiseau, et le mit dans une cage, avec l’intention d’en faire cadeau à son seigneur. L’oiseau y pondit un œuf, qui était jaune comme l’or.

Le lendemain, la femme du jardinier devait aller en ville, pour porter des œufs à son seigneur. Il lui en manquait un pour achever ses trois douzaines. Elle prit l’œuf du petit oiseau et le mit parmi les autres ; puis, elle se rendit à la ville.

Quand le seigneur aperçut l’œuf jaune d’or, il fut étonné, et il dit à la femme du jardinier :

« Qu’est-ce que cet œuf-ci ?

— Ma foi ! Monseigneur, il m’en manquait un pour achever mes trois douzaines, et alors j’ai pris cet œuf jaune, qui a été pondu par un petit oiseau que nous avons à la maison.

— Comment avez-vous eu cet oiseau-là ?

— Notre homme l’a pris, dans le jardin.

— Dites à votre homme de venir me voir, dimanche prochain, et d’apporter le petit oiseau.

— Je le lui dirai, Monseigneur...

Le dimanche matin, le jardinier se rendit à la ville, emportant l’oiseau, dans sa cage. Il emmena aussi avec lui ses deux jeunes fils. Aussitôt que le seigneur vit le petit oiseau, il s’écria :

— Dieu, le bel oiseau ! Mais, que vois-je donc écrit autour de sa tête ?

Et le seigneur lut alors, autour de la tête de l’oiseau, que celui qui mangerait son cœur trouverait, chaque matin, cent écus sous son oreiller.

— Holà ! pensa-t-il, voici une merveille ! Il faut me céder votre oiseau ? dit-il au jardinier.

— Volontiers, Monseigneur, puisqu’il vous plaît.

L’heure de la grand-messe était venue, et, avant de se rendre à l’église, le seigneur recommanda à sa cuisinière de lui faire cuire le petit oiseau pour son dîner, et de bien prendre garde de perdre son cœur, ou de le laisser manger au chat, car c’était là le meilleur morceau.

Le seigneur va alors à la messe, et le jardinier l’accompagne. Les deux fils de celui-ci étaient allés voir les bateaux, au bord du quai. Quand ils se furent promenés assez, ils retournèrent chez le seigneur. En arrivant dans la cuisine, ils n’y trouvèrent que la cuisinière. Ils virent, sur la table, le petit oiseau plumé, et, sur un plat, à côté, était son cœur. Les deux gars s’appelaient l’un, François, et l’autre, Alain. François, voyant le cœur du petit oiseau sur le plat, le prit pour une cerise rouge, et l’avala. Puis, ils allèrent jouer tous les deux dans le jardin.

A dîner, quand l’oiseau fut servi sur la table, le seigneur s’empressa de chercher le cœur, et comme il ne le trouvait pas :

— Où est le cœur de l’oiseau, cuisinière ? demandait-il.

— Comment, est-ce que vous ne le trouvez pas. Monseigneur ?

— Non sûrement, je ne le trouve pas ; prenez garde de l’avoir mangé !

— Moi, Monseigneur ! Par exemple, le chat pourrait bien l’avoir mangé, car je me suis absentée un instant de la cuisine.

Et voilà le seigneur désolé, furieux ; et il se leva de table, ne pouvant finir de dîner.

Le soir, le vieux jardinier s’en retourna chez lui, avec ses deux fils. Ceux-ci vont se coucher, chacun dans son lit, comme à l’ordinaire. Le lendemain matin, leur mère, en faisant leurs lits, trouva cent écus en or, sous l’oreiller de François.

— Tiens ! se dit-elle, tout étonnée, d’où vient cet or ?

Elle l’emporta, et n’en dit rien à ses enfants ; mais, elle le dit à son mari, qui en fut aussi étonné qu’elle. Le lendemain matin, elle trouva encore cent écus, sous l’oreiller de François ; et ce fut, dans la suite, tous les matins ainsi. Si bien qu’ils devinrent riches promptement, et personne ne savait comment cela était arrivé ; les deux fils eux-mêmes l’ignoraient. Mais, ils voulurent voyager. Leur père et leur mère eurent beau les prier de rester avec eux à la maison, puisqu’ils n’y manquaient de rien, ce fut inutile, il fallut les laisser faire à leur tête. On leur donna de l’argent (car l’argent ne manquait plus dans la maison), et ils se mirent en route.

Arrivés à Guingamp, ils descendirent dans une auberge, et demandèrent à loger.

« Oui sûrement, Messeigneurs, leur répondit l’hôtesse, nous vous traiterons de notre mieux. »

Ils soupent bien, puis, ils vont se coucher. Le lendemain matin, l’hôtesse, en faisant leur lit (car ils avaient couché dans le même lit), trouva cent écus en or sous leur oreiller, et n’en dit rien à personne. Le surlendemain matin, elle en trouva encore autant. Quand les deux frères parlèrent de continuer leur route et de payer leur écot, l’hôtesse et son mari les prièrent si instamment de rester encore quelque temps, et les traitèrent si bien, qu’ils finirent par rester là un mois entier. L’hôte était alors devenu riche, car sa femme continuait de trouver, chaque matin, ses cent écus, et elle ne laissait personne faire le lit des deux frères ; elle y courait toujours elle-même, dès qu’ils étaient levés. Nos deux gars se trouvaient très bien à Guingamp ; cependant, quand le mois fut fini, ils demandèrent encore à payer leur écot, afin d’aller plus loin. On insista de nouveau pour les faire rester ; mais, ce fut inutilement, cette fois.

« Faites-nous notre compte, hôtesse, dirent-ils, afin que nous partions.

— Quand vous retournerez, vous paierez, Messeigneurs ; que cela ne vous inquiète pas, et venez encore loger dans notre maison, si vous y avez été bien.

Ils promirent de descendre encore là, au retour. Au moment de partir, l’hôtesse appela François un peu à l’écart, et lui dit tout bas :

— Vous m’avez fait beaucoup de bien, et, pour vous en témoigner ma reconnaissance, je veux vous dire une bonne parole : Chaque matin, en vous levant de votre lit, regardez sous votre oreiller, et vous y trouverez cent écus en or.

François sourit, persuadé que l’hôtesse plaisantait, et il n’en dit rien à son frère. Cependant, tout le long de la route, ces paroles ne sortaient pas de son esprit, et il se disait :

— Est-ce que, par hasard, l’hôtesse aurait dit vrai ?

Quand vint la nuit, ils couchèrent dans une auberge, au bord du chemin. Le lendemain matin, François s’empressa de regarder sous son oreiller.

— Cent écus en or ! L’hôtesse est sûrement sorcière, pensa-t-il.

Il mit, vite, les cent écus dans sa poche, et n’en dit rien à son frère. Puis, ils se remirent en route, se dirigeant vers Paris. Et chaque matin, en quelque lieu qu’il couchât, François trouvait désormais cent écus en or sous sa tête.

Ils arrivèrent à Paris. Ils se séparèrent alors, et chacun d’eux alla de son côté chercher fortune.

François, qui avait ses poches pleines d’or, descendit dans un grand hôtel. Il prit un maître d’école, pour lui apprendre à lire et à écrire, car il ne savait rien. Il s’habilla comme un prince, et fit des dépenses en conséquence, puisqu’il avait de l’or à discrétion. De plus, il était assez beau garçon. La fille du roi le vit, un jour, et devint aussitôt amoureuse de lui. Le vieux roi ne voulait pas donner sa fille à un homme qu’il ne connaissait pas ; mais, la princesse insista tant, qu’il finit par consentir, et ils furent fiancés, et puis mariés A partir de ce moment, François mena une vie de désordre. Tous les jours, il ne faisait que boire, jouer et courtiser les filles ; on ne le voyait jamais avec sa femme. La pauvre princesse en était désolée.

« Comment fait-il ? se disait-elle à elle-même ; il dépense beaucoup, et pourtant, il ne demande jamais d’argent ni à moi, ni à mon père. Il y a quelque chose là-dessous, et il faut que je sache ce que c’est. »

Elle va trouver une vieille sorcière et lui conte son cas.

«  Hélas ! ma pauvre enfant, lui dit la sorcière, celui-là a mangé le cœur du petit oiseau à l’œuf d’or, et, depuis ce jour, il trouve, chaque matin, cent écus en or sous son oreiller ! Si tu pouvais avoir le cœur de l’oiseau, quelle femme tu serais, alors !

— Et comment l’avoir, s’il l’a mangé ?

— Fais comme je vais te dire, et peut-être viendras-tu encore à bout de le posséder. Toutes les nuits, tu es obligée de te lever, pour lui donner à boire : mélange, dans un même verre, du cidre, du vin, de l’eau-de-vie, du sel et du poivre, et fais-lui boire ce mélange. Il l’avalera, sans regarder, et aussitôt il rejettera le cœur de l’oiseau. Prends-le alors et l’avale.

La princesse revient à la maison. Vers minuit, son mari rentra aussi, ivre comme un ménétrier. A peine est-il au lit, qu’il demande à boire. Sa femme lui présente alors le mélange, qu’elle avait préparé avant de se coucher. Il l’avale d’un trait. Mais, il commence aussitôt à tousser, puis il vomit et rejette le cœur du petit oiseau à l’œuf d’or. La princesse s’en saisit et l’avale. Le lendemain matin, il y avait cent écus en or sous son oreiller, et rien sous celui de François. Celui-ci en fut étonné.

« Qu’est-ce à dire ? pensa-t-il. Si je n’ai plus d’or, par exemple !... »

Le lendemain, la princesse trouva encore ses cent écus, et lui, rien encore ! Il en était tout attristé. Ses compagnons de débauche vinrent le chercher au palais, mais, il refusa de les suivre. Personne ne savait ce qui était arrivé, excepté sa femme. Comme il n’avait plus d’or, il devint méchant, au point que personne ne pouvait le supporter, dans le palais. Le roi en était bien embarrassé, et la princesse aussi. Celle-ci retourna auprès de la vieille sorcière, et lui dit :

— J’ai fait comme vous m’aviez recommandé, et le cœur du petit oiseau à l’œuf d’or est, à présent, dans mon estomac. Mais, depuis qu’il ne trouve plus ses cent écus, chaque matin, sous son oreiller, mon mari est devenu si méchant, que personne ne peut le supporter, dans le palais ; il ressemble à un démon enragé.

— C’est bien ; prends cette baguette, et, quand tu seras de retour chez toi, dis : « Par la vertu de ma baguette, je désire que mon mari soit transporté à cinq cents lieues d’ici, dans une île, au milieu de la mer ! » Et ce sera fait, sur-le-champ.

La princesse revint à la maison, avec sa baguette. Quand elle arriva, son mari faisait le diable, pis que jamais. Elle attendit qu’il fût dans son lit et qu’il dormît. Alors, elle s’approcha de lui, tenant sa baguette à la main, et dit :

— Par la vertu de ma baguette, je désire que mon mari soit transporté à cinq cents lieues d’ici, dans une île déserte, au milieu de la mer !

Et aussitôt, il fut enlevé de là et porté, à travers l’air, dans une île, au milieu de la mer. Il dormait, pendant le trajet, qui ne dura pas longtemps, du reste. Quand il se réveilla, il fut bien étonné.

— Où diable suis-je ici ? s’écria-t-il ; ah ! sorcière maudite (c’est de sa femme qu’il parlait ainsi), tu m’as joué un mauvais tour ; mais, n’importe, je te retrouverai encore !

Il se met alors à parcourir son île ; il ne voit ni maisons ni habitants. La faim le prend, et, comme il ne trouve rien autre chose à manger, il se met à chercher des coquilles de patelles et d’autres coquillages, sur le rivage. Pendant longtemps, il n’eut pas d’autre nourriture.

Un jour, le temps étant clair et beau, il fut étonné de voir l’obscurité survenir, tout d’un coup.

— Qu’est ceci ? se demanda-t-il à lui-même. Et, un moment après, il vit s’abattre sur la grève un aigle, qui se mit aussi à chercher des coquillages.

— Quel grand oiseau ! se dit-il. Si je pouvais lui monter sur le dos, il me porterait hors de cette île.

Et il s’approcha de lui, doucement, doucement, en se cachant derrière les rochers. Il réussit à lui sauter sur le dos ! Aussitôt, l’aigle l’emporta en l’air, bien haut, bien haut, si haut qu’il ne voyait plus la mer. Quand il fut fatigué de voler, il descendit au milieu d’un grand bois, sur un chêne. François quitta alors sa monture, et descendit à terre. Il avait grand-faim. En se promenant par le bois, il trouva un cerisier qui portait de belles cerises rouges. Et le voilà de manger des cerises ! Mais, il n’en avait pas encore mangé beaucoup, qu’il se trouva changé en un cheval entier ! Et il se mit à hennir et à courir par le bois, sous cette forme. Et, bien que cheval, il se disait en lui-même :

— Me voilà bien pris ! pensa-t-il, si j’allais rester cheval, par exemple !...

Il voit un autre cerisier, qui portait des cerises d’une autre couleur.

— Ma foi ! à présent, je peux bien en manger ! se dit-il.

Et il se met à manger des cerises de cet autre arbre. Et aussitôt il redevient homme !

— A merveille ! se dit-il ; je saurai, à présent, à quoi sont bonnes ces cerises !

Et il remplit ses poches de cerises du premier arbre ; mais, il n’en prit pas du second. Il se dirigea alors sur Paris.

En arrivant à Paris, il alla aussitôt se placer près de la porte de l’église où la princesse, sa femme, avait l’habitude de venir entendre la messe. Il posa ses cerises sur une serviette, comme pour les vendre. La messe était commencée. Quand elle fut terminée, il vit sa femme sortir de l’église, accompagnée de sa femme de chambre. Elle remarqua les cerises, et les trouva si belles, qu’elle voulut en manger. Elle ne regarda seulement pas le marchand. Elle envoya donc sa femme de chambre lui acheter des cerises.

A la première cerise que mangea la princesse, elle fut changée en jument ! Et la voilà de hennir, de ruer, et de parcourir, au grand galop, les rues de la ville, comme une bête affolée. Tout le monde fuyait, épouvanté, et personne n’osait essayer de l’arrêter.

— Donnez-moi une bride, dit le marchand de cerises, je saurai bien en venir à bout, moi !

On lui donne une bride, il la lui met facilement en tête, puis il lui monte sur le dos, et lui fait parcourir la ville, au galop. Avec un bâton, qu’il avait à la main, il battait la bête, sans pitié, si bien que tout le monde disait, sur son passage :

— La pauvre bête ! il finira par la tuer ! Enfin, il courut et maltraita la jument, tant et tant, qu’elle s’abattit sur le pavé, n’en pouvant plus. Alors, il tira son couteau, et lui ouvrit l’estomac. Il y retrouva le cœur de l’oiseau à l’œuf d’or, et l’avala sur-le-champ.

Il revint aussitôt dans son pays. A présent, il avait encore de l’or, à discrétion ; tous les matins, il trouvait, comme devant, ses cent écus sous son oreiller.

En passant par le bourg de Plounevez-Moëdec, il entra dans une auberge, et, comme le cidre y était bon, il en but avec excès. Il y avait là des maquignons, qui revenaient d’une foire de Bré, et on se prit de querelle, et on en vint bientôt aux coups de poing. François fut battu, volé et jeté hors de la maison, presque nu. Il n’avait plus d’or, car on lui avait tout enlevé, et ne pouvait par conséquent s’acheter des vêtements. Comment faire ? Il ne pouvait pourtant pas rentrer chez son père, dans cet état. Il passa la nuit dans un champ. Le lendemain matin, quand le soleil se leva, il s’éveilla et trouva, comme à l’ordinaire, ses cent écus sous sa tête. Il acheta alors des vêtements, et revint à la maison.

Son père et sa mère étaient redevenus pauvres ; son frère, qui était aussi de retour à la maison, n’avait pas fait fortune non plus. Il était temps que François arrivât !

A partir de ce jour, il y eut un changement de train de vie, chez le vieillard ; on n’y manqua plus de rien. On bâtit une belle maison neuve ; on acheta des champs, des chevaux, des bœufs, des vaches, et François se maria, tôt après, à la plus riche héritière du pays.

Depuis, je n’ai pas entendu parler de lui ; mais, s’il continua de trouver, tous les matins, ses cent écus en or, sous son oreiller, nous n’avons pas lieu d’être inquiets à son sujet.


 

Conté par Barba Tassel, à Plouaret, en 1869, pour Contes populaires de Basse-Bretagne, de F.M Luzel, Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc, 1887.

 

Le petit OISEAU à l’œuf d'or (conte breton)
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