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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

APOLLON, DIONYSOS et la naissance de la tragédie

Dans la Naissance de la tragédie, Nietzsche compare la figure de Dionysos à celle d’Apollon, mettant en lumière ces deux systèmes de représentation du monde. Apollon incarne le génie rationnel et scientifique, Dionysos le génie instinctif et viril. La civilisation grecque, et donc européenne, se serait alors construite en fonction de l'énergie propre à ces deux pôles d'attraction. En témoigne la tragédie grecque classique, jadis placée sous l'égide à la fois d’Apollon et de Dionysos. Dionysos, le dieu fourbe de l'Orient, le dieu des métamorphoses, des innombrables avatars, le dieu des apparences, et de la destruction de ces mêmes apparences, est donc par excellence la divinité des mises en scène et des acteurs masqués.

Texte de Geneviève Bianquis pour la préface à La Naissance de la Tragédie :

Qu'est-ce que l'esprit de la musique pour un schopenhauerien, sinon la voix même du vouloir universel diffus dans tous les êtres, la clameur qui monte de l'unité primitive dont les individus se sont détachés et émancipés, par l'effet d'une faute métaphysique initiale, qu'ils expieront sans doute par la mort, mais d'abord par l'invincible nostalgie du retour à l'union totale, à l’Un indivis, au néant. Cet « esprit de la musique » dont les manifestations nous touchent sans l'intermédiaire de l'intelligence et nous communiquent par contagion directe des transports ineffables de joie, d'extase ou de douleur, c'est ce que Nietzsche appelle aussi l'esprit dionysiaque, l'esprit des mystères, tout l'irrationnel capiteux, délirant, équivoque dont l'âme grecque a été gorgée sous l’influence des religions mystiques et sensuelles venues de l'orient. Alors que dans la tragédie grecque telle qu'elle nous a été transmise, nous admirons surtout une des œuvres les plus parfaites de la raison lucide et d'une sagesse qui sait dominer les passions les plus fauves et les malheurs les plus inouïs, Nietzsche est plus sensible à l'atmosphère de menace et de mystère, au lyrisme pessimiste des chœurs, aux lamentations sur des héros persécutés et vaincus, sur la misère et l'horreur de l'humaine condition. Et derrière les textes transmis par la tradition il suppose une musique pathétique, des danses délirantes, une mise en scène terrifiante tout ce qui lui permet de se représenter la tragédie grecque comme l'œuvre d'art intégrale le grand opéra idéal, l'opéra wagnérien avant la lettre, en quelque sorte. Certes la part d'Apollon, dieu des formes harmonieuses et de l'eurythmie, dieu de la lumière intellectuelle et de la norme juste, est grande dans la tragédie ; elle est dominante dans les textes qui seuls nous ont été conservés. Mais l'initiateur du drame et son unique héros, sous des masques divers, c'est Dionysos souffrant et lacéré, c'est le dieu des mystères de la pie et de la mort et des éternelles renaissances, celui dont la passion symbolise justement le martyre de l'unité primitive déchirée, divisée contre elle-même, puis reconstituée dans les ténèbres orphiques où s'accomplissent les morts individuelles, mais d'où resurgit, à jamais jeune et vivace, la vie universelle.

C'est ainsi que mythe de Dionysos se construit en opposition, voir en complémentarité, avec celui d'Apollon :

Apollon est la beauté pure et solaire, Dionysos le charme rugueux de la nature. À Spartes, si Apollon était la divinité de la belle saison et le protecteur des festivals, Dionysos était celle de la saison froide.

Apollon est le feu dans le ciel, le Soleil, Dionysos la flamme, le feu sur la terre.

Apollon est le chanteur, Dionysos le crieur.

Apollon est le poète, Dionysos le musicien.

Apollon est la beauté physique, Dionysos la séduction.

Apollon apparaît sans masque, cheveux bouclés au vent, blond, Dionysos est sale, couvert de lierre et d'une peau de léopard.

L’Apollon est l'aspiration au beau, au bien et au juste, à la dissolution de l'individu dans le destin collectif. Dionysos est l’inspiration au fort, au jouissif et à l'immortalité de l'âme.

Le rôle d'Apollon consiste à peupler l'abîme du néant ouvert sous nos pas, à l'aide de formes individuelles qui en, fixant sur elles et sur leur destin notre attention méditative détachent de nous l'émotion, en brisent la pointe la plus dangereuse, et par le pouvoir des images donnent à la douleur et à l'horreur auxquelles nous risquerions de succomber, une détente bienvenue, un soulagement efficace. Qu'est-ce, après tout, que cette pensée sinon une théorie du divertissement tragique qui nous intéresse à des héros extérieurs à nous-mêmes, apaise en nous le vouloir, endort le désir, calme la douleur ? Ainsi la tragédie selon Nietzsche naît de la réconciliation des deux divinités adverses. Une vision plastique éternellement calme se dégage de l'océan musical passionnément agité. L'arc-en-ciel brille sur les eaux tumultueuses et une paix surnaturelle envahit les cœurs. Telle est la véritable sérénité grecque une sérénité conquise sur des terreurs sans nom, une victoire toujours précaire et sans cesse remise en question. C'est une sérénité à base de pessimisme. Elle dit oui à la vie, mais elle le dit sans illusion. Ou au contraire dans l'illusion totale, quand s'empare de la foule accourue aux jeux solennels, l'esprit même qui anime le chœur chantant et dansant, forme stylisée des cortèges bachiques qui se répandaient au printemps dans la campagne grecque, en prote à d'étranges délires, revenus à un état de nature quasi animal, où s'abolissaient entre les êtres les différences, les interdictions, les barrières. Ibid.

APOLLON, DIONYSOS et la naissance de la tragédie
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