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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

La religion des Hittites et du Mitanni, par Georges Contenau

La religion des Hittites et du Mitanni, par Georges Contenau

Extrait de :

G. Contenau, La Civilisation des Hittites et des Hurrites du Mitanni, 1934.


 

Le panthéon hittite

L'expression « les mille dieux du pays de Hatti » qu'emploient les scribes, rend bien l'inextricable confusion du panthéon hittite; la chose va de soi ; la haute antiquité ne faisait pas de différence entre un pays et ses dieux ; quand on annexait un royaume, les dieux du pays voisin se trouvaient intégrés dans le panthéon du vainqueur. Un sentiment complexe est à l'origine de cette coutume; se concilier des forces étrangères et ne pas risquer leur courroux; mais aussi, puisque les religions anciennes admettent qu'on peut contraindre le dieu, notamment au moyen de la magie, le désir de capter à son profit la force émanée des divinités du pays adverse. C'est ainsi que l'empire hittite, conglomérat de tribus diverses, a juxtaposé côte à côte les panthéons des divers peuples qu'il avait absorbés. […]

Nos sources d'information sont les textes et les monuments. Les premiers sont fort nombreux, mais faute d'un traité sur la véritable nature des dieux, nous ne serons renseignés sur le caractère de chacun que par les épithètes qu'on leur décerne et le genre de prière qu'on leur adresse. Les seconds seront d'un grand secours, d'autant que la coutume hittite d'inscrire auprès des images des dieux leur nom en hiéroglyphes hittites nous permettra d'identifier une divinité, même si son aspect change quelque peu, et grâce au progrès du déchiffrement des hiéroglyphes, de connaître son nom. La multiplicité des dieux du panthéon, que les Hittites soulignent les premiers, lorsqu'ils invoquent « les mille dieux et déesses de Hatti » ne doit pas faire illusion ; beaucoup sont des répétitions dues (nous l'avons dit à propos de la religion des Hurrites), à ce que le panthéon hittite a donné asile aux divinités de toutes les parties de l'empire. […] Nous pouvons distraire, du panthéon nésite, le cycle des dieux d'origine proto-hittite, comme Kattisapi, Vasezzel, Tetes- hapi, Irbitiga, le cycle des dieux luwites : Santa, Tarhunza, Suwasuna, Vandu, Yasalla. Pour la plupart, nous ignorons tout de leur nature, mais il n'est pas indifférent de rapporter leurs noms ; le matériel linguistique proto-hittite et luwite est trop restreint pour que nous nous privions de ces éléments qui apparaissent si différents les uns des autres. […]

Si nous faisons abstraction de ces différents cycles, nous remarquerons que les divinités nésites sont les mêmes qu'en Hurri et les mêmes, nous le verrons, qu'en Syrie du Nord, bien que la prononciation exacte du nom du Grand dieu et de la Grande déesse chez les Nésites ne soit pas assurée. Car il s'agit, une fois de plus, de ce grand couple divin symbolisant la vie, dont l'union engendre sur la terre fertilité et fécondité, que l'on rencontre dans toutes les religions asianiques et qui persistera sur place, après que la puissance politique des Asianiques aura disparu, dans les cultes de la Grande Mère, de la Grande déesse et des divinités qui en dérivent. Et je voudrais faire observer que si l'influence des civilisations mésopotamiennes a été considérable sur le monde hittite, l'influence des cultes d'Assur et de Babylone ne paraît pas s'être particulièrement exercée sur sa religion. On remarque d'après les traités que c'est surtout à partir de Suppiluliuma que le Soleil paraît à la tête du panthéon; on a pu conjecturer qu'il y a là une influence des rapports avec l'Égypte (comme pour le titre solaire que prend le roi dans son protocole); mais les divinités maîtresses primordiales paraissent bien avoir été comme pour les autres Asianiques, et notamment les Proto-Hittites, le grand couple des divinités de fertilité et de fécondité. […]

Beaucoup de divinités ne sont que des aspects divers de la même divinité. Selon qu'elle est adorée à tel ou tel endroit, on l'honore particulièrement pour telle ou telle de ses qualités. Nous avons vu dans le traité de Suppiluliuma et de Mattiwaza les nombreuses variétés de Tésup, de Hépa et d'autres dieux. [...] Chez les Nésites, Inar dieu du courage n'est pas adoré sous moins de cent douze formes. [...] Les divinités indiennes adorées des Mitanniens étaient également connues des Hittites. Selon l'opinion de Kretschmer, Varuna serait dérivé d'Aruna dieu hittite de la mer et Indra d'Inar ; d'ailleurs Inara fut aussi connu sous le nom d'Indara chez les Hittites. Agni qui est un destructeur chez les Hittites, est sans doute le même qu'Agni dieu de l'Inde.

Nombre de divinités peuvent être classées dans le cadre des familles terrestres ; c'est ainsi que le dieu de l'orage de Nérig et celui de Zippalanda sont fils du Grand couple de Hattusa; même chose pour Télépinu (à comparer au Téléphos de Mysie et de Lycie), dieu de végétation, esprit de fertilité, dont l'épouse sera un véritable dédoublement du dieu : Hatépinu; Mezzulla est fille du Grand couple ; Zentuhiya en est le petit-fils.

Certains dieux sont un même principe ; mais adoré en deux cités différentes, ses représentations ont pris assez de personnalité pour exister côte à côte sans pouvoir se fondre en une seule. Ainsi Halki représente à peu près le même principe que Télépinu (comme Dumuzi et Ningizida chez les Sumériens), et le dieu-fils qui a les mêmes attributs que son père subsiste avec lui ; ce qui le différencie sur les monuments est sa représentation sous les traits d'un jeune homme.

Kulassé est la divinité qui protège à la fois la maison et la tombe, l'habitat de l'homme sur cette terre et dans le monde souterrain.

Enfin, comme dans toutes les cosmogonies, il est un grand dieu, que l'on révère mais dont le rôle s'est un peu effacé : Kumarpi, le père des dieux, que l'on retrouve aussi chez les Hurri.

 

Les prêtres

On a beaucoup insisté sur le rôle religieux des rois hittites ; mais la qualité de grands prêtres du culte ne leur est point particulière ; elle appartient à tous les rois de la haute antiquité qui sont considérés comme fils ou au moins comme représentants des dieux sur cette terre. Le pharaon, le roi de Babylone, celui d'Assyrie, officient ; ils sont détenteurs du droit de s'adresser directement à la divinité; il en est de même chez les Hittites et rien de plus. On se rendra compte, par les textes historiques de l'importance primordiale du roi pour la bonne exécution de certaines cérémonies ; un des plus hauts devoirs de sa charge, sinon le premier est de présider à telle fête ou d'officier pour tel sacrifice; aussi les annales hittites relatent-elles par le menu les solennités auxquelles le roi a participé. De telles fêtes doivent être célébrées à jour fixe et plutôt que d'y manquer le roi hittite remet à plus tard des devoirs politiques, réceptions d'ambassadeurs, conduite même d'expéditions militaires. Comme certaines villes ont une consécration spéciale à un dieu, le chef de ces villes possède un caractère religieux plus accentué ; tel est le cas de la ville d'Arinna dont la déesse particulière est la Déesse-Soleil ; la reine, qui est la protégée de cette déesse, en est aussi la grande prêtresse. L'état de Kizuwadna est devenu un véritable apanage pour la famille royale; Suppiluliuma y institue Télépinu un de ses fils, comme grand-prêtre, mais ce dernier n'en exerce pas moins les pouvoirs royaux, comme il apparaît dans le traité d'investiture que lui octroie son père.

Le culte nous est également accessible par les textes qui décri- vent certaines cérémonies, et par les monuments qui représentent l'exécution de certains rites. Sur ces monuments le roi apparaît le plus souvent en grand prêtre, c'est-à-dire vêtu de la longue robe- manteau dont le pan cache à moitié un bras, tenant un bâton à extrémité recourbée comme est le lituus, tandis que sa tête est cou- verte d'un bonnet uni qui épouse la forme du crâne.

 

Les temples

La demeure du dieu, comme en Mésopotamie est conçue sur le modèle de celle des rois; on y retrouve la partie d'habitation avec entrée, cour, grande salle et sanctuaire qui est réservé à la divinité, et les communs entourant la partie sacrée et comprenant les magasins pour les biens du dieu, trésor, subsistances, mobilier sacré, les logis du personnel, prêtres et serviteurs, les cuisines où seront préparés les repas du dieu. Au maître du temple sont affectés des biens temporels, terres à céréales, vignes, bétail, écuries, etc. Rien ne donne mieux une idée du temple aux hautes époques que le récit où Gudéa de Lagash, dans la seconde moitié du IIIe millénaire, décrit la construction de son temple. [...]

 

Les fêtes

Elles abondent, en raison de la multiplicité des dieux et de la nature qu'on leur attribue ; ce sont fêtes saisonnières à époque fixe en relation avec les travaux des champs, fêtes locales pour les divinités du lieu, fêtes rappelant quelque particularité notable de la vie du dieu, fêtes enfin pour le glorifier, le prier, en obtenir ce qu'on désire de lui. Par les Annales décennales de Mursil II on sait que la fête du nouvel an est célébrée en hiver (et non au retour du printemps). Il y a la fête du poûroulli d'origine proto-hittite qui doit être célébrée successivement dans les grandes villes, celles du labourage et de la moisson qui ont lieu à Marash ; les fêtes de fondation des sanctuaires. La capitale Hattusa n'en compte annuellement pas moins de dix-huit de cette sorte. En plus des solennités fixes, il en est d'extraordinaires avant les expéditions et au retour des campagnes militaires.

Dans ces fêtes les purifications tiennent une grande place, soigneusement décrites par les rituels ainsi que les repas offerts aux dieux. Certain texte séleucide de la ville d'Uruk donne une idée suffisante de l'effarante quantité de victuailles consommées chaque jour pour les repas des dieux, de la profusion de vaisselle sacrée que contenait le temple. Les textes hittites font preuve de la même

 

La prière

Elle vient après les offrandes au dieu, en premier lieu, c'est le rappel des bonnes actions qui sont à l'actif du fidèle ; puis la demande d'aide fait suite. Lorsque la reine Pudu-Hépa s'adresse à la déesse-Soleil d'Arinna, elle lui demande d'exaucer sa prière; elle lui rappelle qu'un dicton humain rapporte que la divinité accède au désir des femmes en travail et conclut : « Moi, Pudu-Hépa, je suis en travail ! »

Le second type de prière est celle de pénitence; le pécheur s'accuse de sa faute et fait appel à la mansuétude du dieu. Et voilà un grand progrès sur la confession négative des Égyptiens, sur la confession mésopotamienne qui énumère toutes les fautes possibles en doutant de les avoir commises, pratiques qui sont en somme une tentative pour tromper le dieu; le hittite prend la responsabilité de ses actes. Jusqu'à un certain point cependant car un innocent peut être frappé pour une faute commise par un ascendant et de cela il demande à ne pas être tenu coupable.

Voici, à titre d'exemple l'hymne qui s'adresse à la déesse-Soleil d'Arinna.

O toi, déesse-Soleil d'Arinna, tu es une déesse vénérée:

Ton nom est vénéré parmi les noms,

Ta divinité est vénérée parmi les divinités.

O toi, déesse-Soleil d'Arinna, tu es vénérée parmi les dieux,

Tu es grande, déesse-Soleil d'Arinna;

Il n'y a pas de divinité plus vénérée et plus grande que toi,

Tu es la Dame de la Justice,

Tu exerces ta royauté sur le ciel et sur la terre,

Tu fixes les frontières des pays,

Tu écoutes les supplications !

O toi, déesse-Soleil d'Arinna, tu es une déesse bienveillante; L'humanité, ô déesse-Soleil d'Arinna, t'est chère ;

Tu lui accordes son pardon, ô déesse-Soleil d'Arinna,

Tu es la lumière du ciel et de la terre,

Tu es le père et la mère de chaque pays, etc.

 

Rituels de cérémonies

Les cérémonies nous sont connues par les rituels de fêtes, par exemple, où les repas sacrés, les récitations et les purifications alternent de la façon habituelle. C'est ainsi que la fête royale commence par la toilette et l'habillage du roi. Après quoi le roi se rend de sa demeure au temple; il franchit la porte et pénètre dans la cour. Là, les cérémonies de purification commencent lavage des mains, fumigations d'encens. Puis le roi pénètre dans la partie sainte du temple, il se prosterne et gagne son trône. Suivent des offrandes de viande et des libations pour les « places sacrées ». C'est alors, quand le roi a pris place, que commence un repas cultuel, précédé de lavage des mains, et où une serviette est disposée sur ses genoux ; une table à offrandes recouverte d'un linge est placée devant lui. Les Grands, les Prêtres se rangent à leurs places et le repas se poursuit entrecoupé de gestes cérémoniels. Tout ceci est conforme à ce qu'ont fait connaître les rituels akkadiens.

 

Divination

Il est admis par les civilisations des hautes époques que la volonté des dieux est révélable à l'homme, et ceci par des procédés qu'ils ont souvent eux-mêmes enseignés aux humains. Ces procédés vont du plus simple à une complication telle que la connaissance de ces derniers est tout un art qu'il a fallu codifier. Disons de suite que les mantiques de l'Asie Antérieure sont d'usage général sur toute son étendue, certaines jouissant de plus de faveur dans une région que dans une autre. Voici quelques mots des principales.

Le songe, mais considéré comme ayant existence véritable, comme l'apparition d'une réalité, est interprété soit pour ce qu'il est (apparition d'un dieu), soit pour sa signification cachée. La déesse de Samuha (Ishtar) demande au père du futur Hattusil III qui était un enfant chétif, de faire de ce prince un de ses prêtres, moyennant quoi sa santé s'affermira ; la même déesse apparaît dans un songe aux notables hittites et dit à la femme de Hattusil :

« Ton époux, je l'aiderai ; je ne l'ai jamais abandonné ; il sera prêtre de la déesse-Soleil d'Arinna et toi, aie confiance en moi, Ishtar ; tous les pays de Hatti, je les ai donnés à Hattusil. »

[...] Il s'agit surtout de l'interprétation des orages, de la foudre, des vents, des nuages, des pluies et de la sécheresse, d'une part ; de l'autre, de la luminosité et de la coloration apparente des astres, de leurs positions réciproques. Le thème de nativité n'est pressenti que par la notation des planètes visibles et de leur situation lors de la naissance. Mais les deux plus savantes manifestations mantiques consistent en l'extispicine, examen du foie et des entrailles des victimes et dans l'examen du vol des oiseaux. Ces deux méthodes ont fait partie du bagage des devins étrusques, ce qui s'explique aisément par les liens qui ont uni la population d’Étrurie à l'Asie Mineure.

L'Asie Occidentale a admis que lors d'un sacrifice, la victime étant agréée par le dieu peut traduire sa volonté par des dispositions particulières de ses parties internes, notamment les entrailles et le foie. Des examens mille fois répétés ont été consignés par les prêtres ainsi que les événements constatés et il a été accepté que le retour des mêmes dispositions ou anomalies des organes pronostiquait le retour des mêmes événements. Peu à peu une véritable science de ces examens s'est constituée ; les prêtres chargés d'élucider les phénomènes ont rédigé les règles d'interprétation ; des modèles en argile de foies de mouton ou de chèvre (animaux sacrifiés spécialement pour ce genre de consultation), ont été fabriqués, représentant les anomalies en question ou en portant la mention par écrit. De tels modèles ont été retrouvés en Mésopotamie, notamment dans les fouilles de Mâri [...] La façon de consulter était la même partout. Le sacrificateur ne se contentait pas d'un seul examen ; il en fixait le nombre et stipulait la façon dont il les interpréterait, admettant par exemple que si le premier examen était défavorable et le second favorable, le résultat total serait considéré comme bon. Ou bien, il se contentait, dans un seul examen, de faire la somme des signes bons ou mauvais et de compter lesquels l'emportaient. [...]

 

Magie

Sa vogue en pays hittite est la même que dans toute l'Asie occidentale ancienne. On observera que les pratiques magiques parvenues jusqu'à nous sont toutes de parade, pour combattre les maléfices par des armes semblables ; y a donc une magie officielle, de défense, dont les buts sont licites et qui présume, par conséquent, sa contrepartie. Chez les Hittites, les conjurations magiques sont surtout prononcées par des femmes âgées, qui ont laissé souvent leur nom aux rituels qu'elles ont composés. Le fond des pratiques magiques comprend des purifications, des invocations aux dieux et des formules imprécatoires contre les puissances adverses ; elles puisent leur efficacité dans les paroles, le ton dont elles sont prononcées, les actes cérémoniels, tout ceci révélé jadis par les pouvoirs supérieurs au nom desquels on agit maintenant.

Un bel exemple de rituel est celui de Papanikri. Il nous apprend incidemment qu'en Hatti l'accouchement se faisait sur une sorte de siège, analogue sans doute à la chaise obstétricale en usage encore aujourd'hui dans certains pays, et il envisage ce qui arrive, si, pendant le travail, cette chaise vient à blesser la femme ou à se détériorer de façon qu'il faille la remplacer. Alors la femme, du point de vue cultuel, n'est plus pure, et Papanikri énumère les rites à accomplir pour la purifier.

Rituel de Tunnawi. Composé par une vieille prêtresse, ce rituel est destiné à délivrer de leur impureté (car toute disgrâce est la manifestation du courroux d'un dieu que le pécheur a irrité ou bien est le fait d'un magicien) une femme qui n'a pas d'enfant viable, ou des époux incapables d'avoir des rapports. Les actes à accomplir sont assez compliqués. On enferme dans une hutte le patient avec un mouton, un porc, un chien, des vêtements, peignes, brosses, vases, figurines d'argile, de la laine, le tout de couleur noire. Ces objets en contact avec le patient s'imprègnent de l'impureté ; on les brûle et le patient se baigne. On élève aussi deux charpentes de portes près de la hutte ; en les franchissant le patient y laisse son enchantement. Le tout s'accompagne d'invocations au Soleil. [...]

 

Mythes et légendes

La littérature hittite est, sur ce point, d'une grande richesse, mais dans quelques-uns de ces mythes, il subsiste de nombreuses difficultés d'interprétation qui laissent certaines parties fort obscures.

Nous ne citerons que les plus connus, par exemple, celui d'Ashertu (très proche, semble-t-il, de la divinité ouest-sémitique Ashirtu), qui veut séduire le Grand dieu ; sur son refus, elle attribue au Grand dieu les premières avances et l'accuse. Le Grand dieu va trouver l'époux de la déesse et lui expose la vérité. Ce récit serait de mince intérêt, s'il ne rappelait à la fois l'histoire de Joseph, dans la Bible, et le conte égyptien des « deux frères ».

Une autre légende dont la sculpture s'est emparée, est celle du combat du Grand dieu contre le Grand serpent Illuyanka. A travers plusieurs péripéties peu intelligibles, nous apprenons l'inimitié du Grand dieu et du Serpent, qui osa l'attaquer. Le Grand dieu s'en plaint et veut qu'on le punisse; alors le dieu Inara prépare une fête et remplit des tonneaux de diverses boissons ; il se pare et invite Illuyanka à sortir de son trou et à venir manger et boire. Et le Serpent vint avec ses enfants ; ils mangèrent et burent, vidèrent chaque tonneau et apaisèrent leur soif; de sorte qu'ils ne purent plus rentrer dans leur trou. On en profita pour lier le serpent avec une corde, et le Grand dieu, assisté des autres dieux, l'extermina.

On sait assez le rôle que joue Tiamat le chaos (un dragon), et même le Grand serpent que surveille le dieu Asar, dans la littérature babylonienne.

Le Mythe de Télépinu rappelle beaucoup celui de Tammuz et les conséquences, funestes pour la terre, de la descente d'Ishtar aux enfers. Télépinu avait disparu et tout sur terre périclitait : dans le foyer les bûches se mouraient, dans le sanctuaire les dieux, dans la bergerie les brebis, dans l'étable les bœufs dépérissaient. La brebis ne connaissait plus son agneau, la vache ne connaissait plus son veau. Les arbres perdaient leurs feuilles et de nouvelles pousses ne pou- plus germer ; les prairies desséchaient, les sources tarissaient. La famine régnait dans le pays de sorte que les dieux et les hommes mouraient de faim. Le Grand dieu-Soleil donna une fête et il y invita les autres dieux; ils mangèrent, mais ils ne purent se rassasier; ils burent, mais ils ne purent étancher leur soif. (Il semble bien qu'il faille comprendre que la nourriture et la boisson qu'ont pu se procurer les dieux ont perdu leurs qualités propres ; l'une ne rassasie pas, l'autre n'abreuve plus.)

Alors le Grand dieu dit au sujet de son fils :

 

« Télépinu n'est plus dans le pays; il s'est irrité et a emporté tout bien avec lui. Et les grands et les petits dieux s'écrièrent qu'il fallait le chercher. Le dieu-Soleil envoya l'aigle comme messager rapide: Va et scrute les hautes montagnes, les vallées, les défilés, cherche ; scrute l'abîme des eaux. »

L'aigle partit mais il ne trouva rien; il rapporta cette nouvelle au dieu-Soleil : « Je n'ai pas trouvé Télépinu, le dieu tout-puissant. Le Grand-dieu dit à la Dame des dieux. Que devons-nous faire ? Nous allons mourir de faim. » La Dame des dieux lui dit : « Fais davantage. Va et cherche toi-même Télépinu. » Il va dans sa ville, frappe à la porte, mais Télépinu n'est pas dans la maison. Alors il ouvre en brisant verrou et loquet. Il revient sans l'avoir trouvé.

Après une seconde exploration tout aussi infructueuse de l'aigle, on envoie une abeille à la recherche de Télépinu. La Dame des dieux dit à l'abeille :

« Va, cherche Télépinu et quand tu l'auras trouvé, pique-le aux mains et aux pieds pour le faire se lever. Lave-le ensuite et essuie-le; rends-le propre, rends-le pur et amène-le moi. »

Télépinu fut retrouvé, revint chez lui et tout reprit son cours normal.

Il y a, dans ce texte, une imitation évidente du poème babylonien, de la désolation qui se répand sur la terre quand Ishtar est aux enfers et de l'émotion qui s'empare des dieux. Certains traits même sont utilisés quoique transposés : la colère d'Ishtar qui menace de briser la porte des enfers, ce que fait réellement le Grand dieu à la recherche de Télépinu. A côté de cela, quelques traits pittoresques et nouveaux, l'utilisation de l'abeille qui entre en activité au printemps, comme messager, et l'idée d'avoir recours à son aiguillon pour réveiller le dieu endormi ; nous savons d'ailleurs par le Recueil des Lois que les Hittites étaient de grands éleveurs d'abeilles.

 

Le panthéon du Mitanni

Ce sont avant tout les dieux mitanniens proprement dits, c'est- à-dire Tésup et sa parèdre Hépa (Hebe, Hépit), sur lesquels nous reviendrons, puis les dieux des pays annexés par le Mitanni, ou sur lesquels il étend son influence, ou ceux encore des pays dans lesquels la civilisation mitanienne plonge ses racines : Sumer et Babylone.

Les dieux aryens. Ce seront donc les dieux du clan indien qui gouverne : Mitra, Varuna, Indra, les Nasatya.

Les dieux des pays voisins. Le dieu de l'Assyrie, Assur ; les dieux de l'ouest de la Mésopotamie, Zababa au culte duquel était attaché Sargon l'Ancien dans son enfance ; Ishara, variété d'Ishtar, représentée par le Scorpion, dans laquelle les Mitanniens voient la dame du serment ; Shala, la parèdre d'Amurru, le dieu de l'ouest. [...]

Enfin, les dieux de Babylone et de Sumer : Anu, dieu du ciel et sa parèdre Antum ; Enlil, dieu de la terre et sa parèdre Ninlil ; Sin, Dieu-lune et seigneur du serment, le soleil Shamash, Ishtar, déesse de fertilité et de fécondité, Ea, dieu des eaux douces et amères et sa parèdre Damkina, Nergal et Ninégal, divinités du monde inférieur, Nisaba déesse des céréales.

En plus de ce riche panthéon et pris en bloc : les montagnes, les fleuves, le Tigre, l'Euphrate, le ciel, la terre, les vents, les nuages qui sont divinisés.

Si nous mettons à part ce dernier paragraphe qui place le divin partout, il nous reste à expliquer les deux personnages principaux: Tésup et Hepa.

Tésup est un dieu élémentaire, un dieu des sommets, de la foudre et de l'orage, secondairement de la pluie bienfaisante et, par suite, de la fertilité. Le dieu du panthéon mésopotamien auquel il peut le mieux être comparé, c'est Adad, venu de l'ouest, qui a tous les premiers caractères de Tésup; d'ailleurs, les représentations des deux dieux diffèrent peu : c'est un homme court-vêtu, la tête couverte d'un casque ou d'une tiare, tenant le foudre et la hache à la main. Tésup et Adad sont debout sur le taureau, leur animal attribut : Tésup est aussi représenté chaque pied sur la pointe d'une montagne. Cette identité est accusée par l'idéogramme du dieu, IM, que les vocabulaires nous invitent à prononcer non pas Adad, lorsqu'il s'agit du dieu asianique, mais Tésup.

Hépa (sans doute la même que Hépit), est la parèdre du dieu ; c'en est la contre-partie, déesse de fertilité et de fécondité comme Ishtar ; mais elle est vêtue, coiffée de la tiare, représentée bien plus comme déesse de fertilité que comme déesse de fécondité, aspect qui convient mieux à Ishtar. Avec Tésup, elle constitue le couple divin par excellence, le Grand dieu et la Grande déesse, dont l'union produit sur terre le renouveau, la fertilité des champs, la pluie bienfaisante pour les récoltes, le croît des troupeaux.

Ce couple divin primordial semble prépondérant dans la religion asianique, et il est intéressant de voir l'ébauche qu'en ont donnée certaines cités sumériennes primitives, quand elles adorent un principe de fertilité et de fécondité comme Nidaba, déesse des céréales, Tammuz, esprit de la végétation, Shara de la ville d'Umma, dieu-verdure. Mais en terre asianique, le système est mieux ordonné; il n'est point noyé parmi les dieux accessoires. Il y aura plusieurs Tésup (le traité en compte plus de vingt) selon qu'il est de telle ou telle ville (Wasuqani, Alep, etc.) ou représenté sous différents aspects (Tésup du secours, du camp, etc.) mais ce sera Tésup ; il y aura plusieurs Hépa (quatre dans le traité), mais ce sera Hépa. [...]

Un texte alphabétique de Ras-Shamra en hurrite a conservé les noms des principales divinités hurrites ; outre le grand couple déjà cité, il énumère Hammân, Anat (de Syrie), Simégi, Nupatig, Hudéna, Hudillura, Kumarpi (ou Kumarwi), Sauska (une forme d'Ishtar).

Sceau du Mitanni

Sceau du Mitanni

La religion des Hittites et du Mitanni, par Georges Contenau
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