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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

KOVLAD, le dieu des richesses (conte slave)

Le conte suivant (extrait de Contes paysans et pâtres slaves, traduit en français et rapprochés de leur source indienne) fut traduit de l'écrivaine tchèque Bozena Nemcova (1820 - 1862) par Alexandre Chodzko (1804 - 1891), orientaliste et poète russo-polonais. Celui-ci nous enseigne que « Le substantif kovlad est un composé de deux mots slaves, kov, le métal, et vlad, maître. Il y a aussi Kovyra-ti en russe veut dire fouiller, creuser, estropier, défigurer. » L’étymologie de Kovlad est donc semblable à celle de Kubéra, le dieu hindou des richesses, qui est un démon. Rudra le prit en pitié et lui offrit la gérance des biens périssables de ce monde, il en est depuis le maître et le pourvoyeur. Ce conte, que nous avons abrégé, nous propose une sorte de Dame du lac à rebours. Ce n'est pas un preux chevalier qui tombe dans le piège d'une apparition fatale, mais plutôt une jeune, jolie et naïve jeune fille, qui tombe irrémédiablement sous l'emprise d'un démon auquel elle a elle-même souhaité être soumise (en désirant une vie facile, préférant le matériel au spirituel).

*

Extrait

Le cortège poursuivit son chemin, sans s'arrêter, jusqu'à ce qu'il arrivât au bas d'un rocher. En guise de porte cochère, il y avait une large caverne. Les chevaux, à peine entrés, suivirent une pente rapide, de plus en plus bas, et, derrière eux, le géant Zémotras, celui-là même qui est responsable des tremblements de terre, eut hâte de boucher l'entrée de la caverne avec le quartier d'un roc.

Ils s'avançaient dans les ténèbres, presque à tâtons. La mariée avait grand peur, mais l'époux la rassura : « Ne crains rien, attendons un peu ; il fera clair et beau. »

De tous côtés accouraient des nains, portant des torches allumées. Tous ils saluaient et acclamaient leur roi Kovlad, et ils éclairaient le chemin du cortège nuptial. Ce fut pour la première fois que l'orgueilleuse fille s'aperçut qu'elle avait épousé Kovlad. Cependant elle ne s'en chagrina point.

Sortant de ces gouffres ténébreux, ils arrivèrent en plein air, au milieu de forêts et de monts immenses, qui s'élevaient jusqu'au ciel. Et, chose étrange, tous les arbres, sapins, ifs, hêtres, toutes les montagnes y étaient de plomb massif.

Quand ils eurent traversé ces monts étonnants, on vit derechef arriver le géant Zémotras, qui s'empressa de combler toutes les issues du chemin qu'ils venaient de parcourir.

Des montagnes de plomb, le cortège nuptial déboucha dans de vastes plaines rayonnantes de beauté, et, au milieu d'elles, se trouvait un château d'or, incrusté de pierres précieuses. Il y avait tant de choses à voir que la mariée, fatiguée de l'examen de toutes ces merveilles, respira plus librement en remarquant qu'on était en train de préparer un festin. Elle avait faim, on s'assit à table.

On servait des mets frits et cuits de différents métaux, de cuivre, d'argent et d'or. Tous s'en régalaient, hormis la jeune mariée, qui ne pouvait manger. Elle pria son époux de lui faire donner un morceau de pain.

« Je le ferai bien volontiers, madame, » répondit Kovlad et, sur son ordre, on apporta une miche de pain tout de cuivre. Elle ne put en manger. Le maître fit apporter une miche d’argent ; la mariée ne put en manger. Le maître fit donner une miche d'or. Les domestiques s'empressèrent d'en servir à madame, mais elle ne put pas non plus en manger.

« Je serais bien aise de vous satisfaire, mais nous n'avons pas ici d'autres pains que ceux-là. »

Ce n'est qu'alors, qu'elle s'aperçut entre quelles mains elle s'était livrée, et elle se mit à pleurer amèrement.

« Tu as beau verser des larmes et te plaindre, dit Kovlad, tu savais bien quel pain tu aurais à rompre ; or, ta volonté a été faite. »

Et, en effet, il n'en fut pas autrement. Ce qui est fait est fait. La jeune mariée dut désormais demeurer sous terre, chez son mari Kovlad, le dieu des métaux, dans leur château d'or, parce qu'elle n'avait cherché que de l'or et qu'elle n'avait jamais voulu rien de mieux.

 

Texte complet

Conte extrait de Contes paysans et patres slaves, traduit en français et rapprochés de leur source indienne. d'Alexandre Chodzko, Paris, 1864.

 

Il y avait une veuve, mère d'une fort jolie fille. La mère était une bonne et humble personne, mais sa fille était pleine d'orgueil et d'ambition.

Maints épouseurs se présentaient, pour obtenir la main de la jeune beauté; mais leur grand nombre et leurs offres ne faisaient qu'accroître sa présomption et ses refus dédaigneux. Une fois, par un beau clair de lune, la mère s'étant réveillée et ne pouvant plus se rendormir, se mit à égrener le rosaire, priant Dieu d'assurer le bonheur de son enfant unique, qui, soit dit en passant, lui rendait la vie parfois lourde à supporter.

La fille dormait à ses côtés. La pauvre mère contemplait avec amour les charmes juvéniles de son enfant ; et, voyant un sourire s'épanouir sur ses lèvres, elle se demanda :

« Quel serait donc ce rêve qui la rend si heureuse ?»

Ce disant, elle acheva ses patenôtres, suspendit le rosaire au clou, et, posant sa tête sur l'oreiller de son enfant, s'endormit.

Le lendemain, elle dit:

« Raconte-moi donc, fille chérie, qu'as-tu vu de si beau, cette nuit, pour avoir ri dans ton sommeil?

— Ah ! oui, maman, c'était un rêve bien délicieux. Imagine-toi : Je rêvais qu'un riche seigneur est venu chez nous, dans un magnifique char de cuivre, et qu'il me donnait une bague ornée de pierres qui rayonnaient comme les étoiles du ciel. Puis, lorsque je suis entrée à l'église, il y avait beaucoup de monde et tous me trouvaient divine et adorable comme la Sainte- Vierge.

— Ah ! mon enfant, tu blasphèmes ; Dieu te préserve de songes pareils!» répondit la vieille mère, tandis que sa fille, fredonnant une chansonnette, courait gaiement vaquer aux soins du ménage.

Le même jour, on vit, dans leur village, un jeune et beau fermier arriver dans son chariot de campagne, en les priant de venir partager le pain rustique. Il était charmant et il plut beaucoup à la

mère, mais la fille repoussa sa proposition avec rudesse.

« Quand même tu serais venu, disait-elle, pour me conduire dans un char de cuivre, quand même tu m'aurais offert une bagne ornée de pierres rayonnantes comme les étoiles du ciel, je n'aurais jamais consenti à l'épouser, toi, paysan! »

Le jeune homme, choqué de ces impertinences, la recommanda à Dieu et s'en retourna tristement chez lui. La mère la réprimanda en lui reprochant sa dureté.

La nuit suivante, la mère se réveilla derechef, prit son rosaire et pria avec encore plus de ferveur afin que Dieu daignât bénir sa fille ; celle-ci, tout en dormant, partit d'un éclat de rire :

« Qu'a-t-elle donc, la pauvre enfant? toujours des rêves ! » se dit-elle; puis elle soupira, pria encore, et, posant sa tête sur l'oreiller de sa fille, voulut se rendormir ; mais, pendant longtemps, elle ne put fermer les yeux.

Le matin, voyant sa fille s'habiller, elle demanda :

«Eh bien ! ma fille, tu rêvais encore et tu riais comme une forcenée !

— Je rêvais qu'un seigneur était venu me chercher dans un char d'or, et qu'il me donnait un diadème d'or. Lorsque je suis arrivée à l'église, les hommes m'admiraient et me vénéraient plus que la Sainte-Vierge.

— Dieu quel mauvais songe! répondit la mère; quel songe orgueilleux! Prie Dieu, chère enfant, prie-le de ne pas t'induire en tentation! »

Cette fois-ci, la mère la gourmanda sévèrement et sortit de la chambre en fermant la porte avec bruit.

Le même jour, on vit arriver dans le village une calèche, et des gentilshommes vinrent inviter la mère et la fille à aller partager le pain seigneurial. La mère croyait que c'était un bien grand honneur pour une villageoise qu'une telle offre, tant elle se réjouissait d'avance du consentement de sa fille. Mais celle-ci repoussa l'invitation et répondit aux gentilshommes avec hauteur:

« Quand même vous seriez venus me chercher dans un char d'argent massif, quand même vous m'auriez fait présent d'un diadème d'or, jamais je n'aurais consenti à épouser votre seigneur. »

Les gentilshommes se retournèrent dépités et rebroussèrent chemin. La mère la tança d'importance pour tant d'orgueil.

« Fille de malheur, lui criait-elle, l'orgueil est un souffle de l'enfer : sois donc humble, honnête et douce.»

Mais la fille se riait de toutes ces remontrances.

La troisième nuit, la fille dormait profondément, étendue à côté de sa mère. Celle-ci, au contraire, ne pouvait fermer l'œil. Tourmentée de sinistres pressentiments, elle craignait quelque malheur pour sa fille et égrenait le rosaire en priant avec ferveur. Tout à coup, la jeune endormie se mit à ricaner et à rire convulsivement.

« Dieu de miséricorde! s'écria la vieille, quels sont donc les rêves qui hantent ce pauvre cerveau? »

Et elle continua à prier pour sa fille jusqu'à l'aube du jour.

Le matin, elle demande :

« Qu'est-ce qui t'a donc fait ricaner si affreusement, cette nuit? Tu fais de mauvais rêves, ma

pauvre enfant.

— Voyons, maman, tu m'as l'air de vouloir me sermonner encore une fois.

— Je veux que tu me racontes quel était ton rêve.

— Eh bien sachez que je rêvais qu'on était venu me demander en manage dans un char tout doré, et que j'ai reçu un magnifique manteau tissu d'or pur. Lorsque nous sommes arrivés à l'église, la foule se pressait pour s'agenouiller devant moi.... »

La mère se tordit douloureusement les mains, tandis que la fille prenait ses robes et sortait, afin d'achever sa toilette et d'éviter les doléances de sa mère.

Le même jour, on vit arriver dans la cour trois chars de cuivre, d'argent et d'or. Le premier était attelé de deux, le second de trois et le troisième de quatre magnifiques coursiers. Des chars de cuivre et d'argent, descendirent des messieurs ayant des gants couleur écarlate, des pardessus verts. Du char d'or descendit un beau seigneur dont les vêtements d'or resplendissaient au soleil.

Tout le cortège alla directement trouver la veuve, et lui demander la main de sa fille.

« Je doute que nous soyons dignes de tant d'honneur, » répondit humblement la veuve ; mais la fille, au premier coup d'œil qu'elle jeta sur le solliciteur, le reconnut pour le fiancé de ses rêves. Aussi s'était- elle retirée dans une chambre à part, pour y tresser un diadème en plumes de couleur, de son propre ouvrage et qu'elle offrit au fiancé. En échange, celui-ci lui mit au doigt une bague enchâssée de pierres, qui brillaient comme les étoiles au ciel, et la revêtit d'un manteau en drap d'or. La fiancée se pâmait de joie, et vite se retira pour compléter sa toilette.

En attendant, la mère, soucieuse et en proie à de tristes pressentiments, demanda à son gendre :

« Puisqu'elle consent à partager votre pain, dites-moi de quelle farine est ce pain?

— Il y a chez nous du pain de cuivre, du pain d'argent et du pain d'or ; libre à ma femme de

choisir. »

La mère s'étonnait de plus en plus de tout cela, et s'en affligeait également, tourmentée par des pressentiments de plus en plus sombres.

Quant à la fille, elle ne demandait rien, ne voulait savoir rien, pas même ce qui se passait dans l'âme de sa pauvre mère. Une fois la toilette achevée, la fiancée était réellement magnifique, dans son manteau d'or. Lorsque le seigneur la prit par la main, pour aller à l'église célébrer les fiançailles, elle eut soin de ne demander ni la bénédiction maternelle, ni la permission de prendre congé de sa mère ou de ses compagnes, selon l'usage ancien de ses ancêtres. La veuve toute éplorée, debout sur le seuil de la maison, murmurait une prière pour le salut de l'âme de son unique enfant. Après la cérémonie, les nouveaux mariés montèrent dans le char d'or, et les messieurs dans les chars d'argent et de cuivre. Les voilà partis , sans que la fille eût fait ses adieux à sa mère en larmes.

Le cortège poursuivit son chemin, sans s'arrêter, jusqu'à ce qu'il arrivât au bas d'un rocher. En guise de porte cochère, il y avait une large caverne. Les chevaux, à peine entrés, suivirent une pente rapide, de plus en plus bas, et, derrière eux, le géant Zémotras, celui-là même qui est responsable des tremblements de terre, eut hâte de boucher l'entrée de la caverne avec le quartier d'un roc.

Ils s'avançaient dans les ténèbres, presque à tâtons. La mariée avait grand peur, mais l'époux la rassura : « Ne crains rien, attendons un peu; il fera clair et beau. »

De tous côtés accouraient des pygmées, portant des torches allumées. Tous ils saluaient et acclamaient leur roi Kovlad, et ils éclairaient le chemin du cortège nuptial. Ce fut pour la première fois que l'orgueilleuse fille s'aperçut qu'elle avait épousé Kovlad. Cependant elle ne s'en chagrina point.

Sortant de ces gouffres ténébreux, ils arrivèrent en plein air, au milieu de forêts et de monts immenses, qui s'élevaient jusqu'au ciel. Et, chose étrange, tous les arbres, sapins, ifs, hêtres, toutes les montagnes y étaient de plomb massif.

Quand ils eurent traversé ces monts étonnants, on vit derechef arriver le géant Zémotras, qui s'empressa de combler toutes les issues du chemin qu'ils venaient de parcourir.

Des montagnes de plomb, le cortège nuptial déboucha dans de vastes plaines rayonnantes de beauté, et, au milieu d'elles, se trouvait un château d'or, incrusté de pierres précieuses. Il y avait tant de choses à voir, que la mariée, fatiguée de l'examen de toutes ces merveilles, ne respira plus librement qu'en remarquant qu'on était en train de préparer un festin. Elle avait faim, on s'assit à table.

On servait des mets frits et cuits de différents métaux, de cuivre, d'argent et d'or. Tous s'en régalaient, hormis la jeune mariée, qui ne pouvait manger. Elle pria son époux de lui faire donner un morceau de pain.

« Je le ferai bien volontiers, madame, » répondit Kovlad et, sur son ordre, on apporta une miche de pain tout de cuivre. Elle ne put en manger. Le maître fit apporter une miche d'argent; la mariée ne put en manger. Le maître fit donner une miche d'or. Les domestiques s'empressèrent d'en servir à madame , mais elle ne put pas non plus en manger.

« Je serais bien aise de vous satisfaire , mais nous n'avons pas ici d'autres pains que ceux-là. »

Ce n'est qu'alors, qu'elle s'aperçut entre quelles mains elle s'était livrée, et elle se mit à pleurer amèrement.

« Tu as beau verser des larmes et te plaindre, dit Kovlad, tu savais bien quel pain tu aurais à rompre; or, ta volonté a été faite. »

Et, en effet, il n'en fut pas autrement. Ce qui est fait est fait. La jeune mariée dut désormais demeurer sous terre, chez son mari Kovlad, le dieu des métaux, dans leur château d'or, parce qu'elle n'avait cherché que de l'or et qu'elle n'avait jamais voulu rien de mieux.

KOVLAD, le dieu des richesses (conte slave)

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