26 Novembre 2023
Il n'y avait ni cieux ni terre. Celui qui est la divinité et le pouvoir façonna la grande pierre de la grâce, là où, autrefois, il n'y avait ni cieux ni terre. Et de là naquirent sept pierres sacrées, sept guerriers suspendus dans l'esprit du vent. Sept flammes élues. Et elles remuèrent. Et leur grâce furent sept aussi, et sept leurs saints.
Cosmogonie quichée (maya)
Extrait du Pop Wuh (Le Livre des événements), version Adrian I. Chavez, trad. de l'espagnol par Anny Amberni, NRF, Gallimard.
« Il n'y avait encore ni homme, ni animal, ni oiseau, ni poisson, ni crustacé, ni arbre, ni grotte, ni ravin, ni buisson, ni forêt; seulement le Ciel. La face de la Terre ne se manifestait pas encore. Il y avait seulement l'océan, étendue d'eau prisonnière, tout entière immobile. Rien n'existait, tout était en suspens, inerte. Le Ciel à peine créé, rien n'émergeait encore. Seules les eaux s'étendaient, limitées. Seuls Tzaqol, Tepeu et Kûkmats. Le Ciel s'étendait, limpide, il était l'œuvre de l'Esprit du Ciel : Hun R'aqân.
Vint l'Esprit du Ciel, qui parla avec Tepeu, qui vient de l'Infini, avec Kûkmats, dans l'obscurité de la nuit. Ils se sont parlé, ils ont pensé, médité ; ils se sont réunis et accordés en pensées et en paroles ; ils se sont aimés et désirés dans la clarté de leurs pensées et de leurs paroles. D'un coup, ils ont conçu la création de l'humanité et de sa subsistance.
« Voûte du Ciel ! Côtés du Ciel ! » dit Tzaqol, l'Architecte-Sculpteur, père et mère de l'existence de l'humanité, constructeur, créateur, maître de la création, esprit de la grandeur pure, du vivant créé, contemplateur qui a tout conçu, partout dans le Ciel, les lacs, les océans et sur Terre.
Cette première parole, c'est la première expression.
Ils créèrent l'arbre et la liane, la subsistance de la vie et de l'humanité; ceci arriva dans l'obscurité, dans la nuit, par l'œuvre de l'Esprit du Ciel. L’Éclair est le premier signe de Hun R'aqân; le second est le Tracé de l'Éclair; le troisième est la Foudre qui frappe; et ces crois sont du Cœur du Ciel. Tous trois venus vers Tepeu, celui qui vient de l'Infini, et Kûkmats, le Serpent à plumes, afin de concevoir la clarté, l'aube de la vie.
« N'est-il pas temps de créer? L'aube de l’existence est proche. Quel qu'il soit, celui qui aspire à la vie, qu'il naisse! Hâtons-nous car l'eau ne baisse pas, ne se retire pas. Que la terre apparaisse, qu'elle se dresse d'elle-même ! »
Il dirent encore :
« Sortez ! Soyez visibles ! Ciel ! Terre ! car vous serez le lieu d'où nous invoquerons et nous contemplerons ceux que nous allons créer. Naissez, êtres formés! ainsi dirent-ils. »
Et d'un coup la Terre parut, par leur parole seule se fit la création, à cet instant est apparue la Terre. D'abord comme un nuage, un brouillard léger. Puis surgirent de l'eau les montagnes, massives, gigantesques; d'une seule pensée naquirent les montagnes et les côtes, en une seule fois elles apparurent avec leurs bois de cyprès, leurs pinèdes.
Le Serpent emplumé fut rempli d'allégresse.
« Notre Œuvre est réussi! »
Après les montagnes, ils conçurent les fleuves qui coururent, descendirent comme des jambes entre les montagnes. Une seule pensée fit naître les fleuves, les hautes montagnes. C'est ainsi qu'apparut la Terre, ainsi qu'elle fut créée par l'Esprit du Ciel, l'Esprit de la Terre, disait-on à Cause de cela. D'emblée ils conçurent le lieu du Ciel, suspendu entre les eaux. C'est ainsi qu'ils ont pensé, médité leur œuvre, leur
Ils imaginèrent alors les animaux des montagnes, les gardiens des forêts : Cerfs, Oiseaux, jaguars, pumas, crotales, serpents, gardiens des lianes. Et le Vivant dit alors : « Le silence régnera-t-il seul sous les arbres, entre les lianes? »
« Il est bon que les arbres et les lianes soient gardés » répondirent les dieux. À l'instant Où ils furent pensés, ou plutôt dès l'instant qu'ils furent nommés, apparurent les cerfs et les oiseaux. Et le cerf et l'oiseau surent où ils devaient s'abriter.
« Aux cerfs, aux jaguars, aux pumas, il convient de dormir dans les creux, les ravines. Vous resterez dans la selve, dans la plaine. Vous vous y reproduirez. Vous aurez quatre pattes, pour marcher et vous soutenir. »
Puis ce fut le tour des oiseaux, des petits et des grands Oiseaux :
« Vous êtes des oiseaux : sur les arbres et les lianes vous vivrez et ferez vos nids, c'est là que vous vous multiplierez, entre les branches, entre les lianes, dirent-ils aux Oiseaux. »
Alors chacun prit sa place, sa couche, et fit comme il avait été dit.
Tzaqol dit ensuite aux animaux :
« Parlez! Invoquez-moi! Ne marchez pas courbés, flairant sol; que chacun, que ait une distincte, dit-il aux cerfs, aux oiseaux, aux jaguars, aux pumas et aux serpents. Dites mes noms, invoquez-moi, je suis votre mère, votre seigneur; dites les noms de Hun R'aqân et Tzaqol, Parlez, appelez-nous, invoquez-nous. »
Mais il ne sortit d'eux que des Sons absurdes, caquètements, cris et gloussements. Ce n'était pas parler que cette cacophonie.
« Ils n'ont pas pu dire nos noms », se dirent les dieux. C'est pourtant à cette fin que nous les avons construits, formés.
« Nous vous remplacerons, car vous n'avez pas fait ce que nous attendions de vous, vous n'avez pas parlé. Aussi modifions-nous notre parole, nos promesses. Vous aurez pour nourriture grain et fourrage, vous vivrez dans la selve et les ravines car vous n'avez pas su nous appeler, nous invoquer. Ceux qui nous invoqueront sont encore à venir, nous les ferons dignes de nous. Vous les servirez, vos chairs seront leur nourriture, c'est votre destinée. Ainsi avisèrent-ils les animaux de la Terre, grands et petits.
Une fois encore les créatures voulurent tenter l'épreuve, elles unirent leurs voix pour invoquer leur Créateur. Mais ils ne se comprenaient pas les uns les autres. C'était ainsi, et à jamais.
C'est ainsi que leur chair fut offerte pour la nourriture de la génération construite, de la génération formée par Tzaqol et les autres dieux. Par eux fut décrété que les animaux qui vivent à la surface de la Terre seraient sacrifiés.
Enfin, ils prirent de la terre et de l'eau pour façonner sa chair. Mais le résultat fut mauvais : il ne savait se tenir debout, ni relever la tête ni regarder derrière lui. Il ne voyait que ce qui était à ses pieds. Il parla, mais il était dénué d'entendement, ne savait penser. En outre, il se défaisait dans l'eau . Ses chairs, sans consistance, ne tenaient pas ensemble. Tzaqol dit alors :
« Il ne sait ni se tenir debout, ni marcher, ni se multiplier, il n'a aucune intelligence. »
Alors ils défirent la créature par eux construite et formée parce qu'ils la trouvèrent pleine de défauts. Ils dirent encore :
« Quand donc réussirons-nous cet être parfait qui sache nous appeler, nous invoquer ? »
Ils pensèrent alors à consulter Chpiyakok, Chmukané, devin, et le Grand Chasseur de Tacuatsin, Grand Chasseur de Coyote.
[...]
« Apportez du maïs, dit Tzaqol, apportez les graines de tzitè, c'est le moment : qu'on creuse sa bouche, qu'on sculpte son visage dans le bois », dirent-ils au devin.
À l'instant le mais et les grains de tzitè furent lancés, mêlés, puis séparés.
« Aube de la créature ! » dirent l'aïeul et l'ancienne.
Le devin Chpiyakok; l'aïeule devineresse, celle qui façonne :
« Qu'ils soient façonnés, les hommes sculptés dans le bois, qu'ils parlent, qu'ils conversent entre eux, sur toute la surface de la Terre. »
« Qu'il en soit ainsi ! Qu'il naisse ! dirent-ils
Et à peine l'avaient-ils dit que se firent les mannequins de bois sculpté : ils avaient un langage d'homme, se reproduisaient comme des hommes. Ils peuplèrent de fils et de filles de bois. Mais l'esprit leur manquait, ou pour mieux dire, l'entendement. Ils ne se souvenaient pas de Tzaqol, qui les avait modelés. Ils erraient sans but, marchaient à quatre pattes.
Ayant oublié l'Esprit du Ciel, ils tombèrent en disgrâce à Ses yeux : ils n'étaient qu'une ébauche, un semblant d'hommes. Nul sang ne circulait en eux, ils n'avaient ni couleur ni sueur, les joues sèches, le visage comme un masque, les jambes et les bras rigides s'entrechoquaient bruyamment. Comment eussent-ils pu tourner leurs visages vers Tzagol ?
Ainsi étaient les premières créatures qui peuplèrent la Terre en grand nombre. Ils devaient être brusquement éliminés, détruits, ces gens de bois sculpté.
L'Esprit du Ciel décida de les mutiler. Du Ciel tomba une pluie de feu et la chauve-souris de la mort, leur arrachait la tête. Vint le jaguar dévoreur de chair, et celui briseur d'os, qui broya leurs os et leurs cartilages. Leurs corps furent réduits en poudre pour leur châtiment, pour n'avoir pas servi leur mère, leur seigneur, l'Esprit du Ciel : Hun R'aqân.
À cause d'eux la face de la Terre s'obscurcit et il s'abattit une pluie ténébreuse, de jour et de nuit.
Arrivèrent alors les animaux, grands et petits. Les arbres et les pierres se rebellèrent. Tous parlèrent, et aussi les jarres, les chaudrons, les comales où cuit le maïs, les écuelles, les pierres à moudre, les cuillers en bois de calebasse, tous se rebellèrent, et aussi le mais cuit. « Vous nous avez fait souffrir » dit le maïs. Et la pierre à moudre :
« Pour vous nous avons moulu le maïs, jour après jour; le matin, le soir, sans répit ! Vous nous avez usés, nous vous avons servis jusqu'à l'épuisement. Maintenant, c'est à notre tour de moudre vos chairs et de les réduire en poudre. »
Et leurs coyotes apprivoisés parlèrent à leur tour :
« Quand donc nous avez-vous donné à manger ? Nous survivions en rongeant des os. Vous nous avez humiliés, jetés dehors. Lorsque vous mangiez, vous aviez toujours à portée de la main un bâton pour nous chasser. Vous ne faisiez que nous surveiller. Nous étions privés de parole. »
Et le mais :
« Ne vous ai-je pas donné ma vie ? Jusqu'au bout ? »
Et les coyotes encore :
« Quand donc avez-vous été bons pour nous? Maintenant, ce sont vos os que nous broierons avec nos dents. »
Et ils leur déchirèrent le visage. I.es chaudrons et les cornales dirent alors :
« Vous avez été sans pitié, vous nous avez fait souffrir. Nos bouches toujours enfumées, et nos faces aussi. Toujours sur le feu, à brûler. Nous croyez-vous insensibles à la douleur ? »
Puis ce fut le tour des pierres du foyer, qui s'échappèrent du feu pour les frapper à la tête, cruellement, les chassant hors de chez eux. À cet instant un déluge s'abattit sur leurs maisons. Ils voulurent monter sur leurs toits, mais leurs huttes s'effondrèrent, les précipitant à terre; ils voulurent grimper aux arbres, mais les arbres les repoussèrent de leurs branches; ils voulurent se réfugier dans les grottes et les cavernes, mais la boue les combla.
Ainsi furent anéanties les créatures de bois. C'étaient des êtres mauvais, pervers, et pour cela ils furent exterminés, et leurs bouches, et leurs visages détruits, effacés. On dit que les singes qui vivent aujourd'hui dans la selve sont ce qui demeure de ces créatures, c'est le signe de leur existence, qu'il y eut un jour des gens de bois sculpté, par Tzaqol. Et les singes se reproduisirent eux aussi. Ils sont ce qui reste de ces créatures de bois.