14 Janvier 2022
INTRODUCTION AU SIKHISME
Présentation de la doctrine et des gourous,
suivie d'une sélection de l'Adi Granth Sahib.
En 1469 naît Guru Nanak, le fondateur de la doctrine sikhe. Après avoir voyagé dans le monde indien puis dans le monde arabe, il enseigne une doctrine qui se propose de dépasser les différences entre les différentes traditions religieuses, pour favoriser une étude œcuménique du divin. Le sikhisme n'est d'abord pas une religion à part entière, mais juste une tradition qui ne souhaite pas faire sécession ni se présenter comme un nouveau culte.
« [Le sikhisme] a surgi au milieu de l’Hindouisme ; l’idée du grand fondateur, le Gourou Nanak (1469 - 1539), étant de réunir les Hindous et les Musulmans dans une ligue d’amour envers Dieu et de serviabilité envers les hommes. La pensée de Gourou Nanak, telle qu’elle est exprimée non seulement par ses paroles, mais surtout par sa vie, c’était de faire converger ces éléments hostiles du peuple hindou, vers un centre que tous pussent accepter. Ce centre, c’est avant tout l’amour de Dieu, Bhakti, la dévotion — Bhakti envers Dieu et aussi envers le Gourou, le Maître, car le mot même de Sikh vient du mot Shishya, disciple, et cette idée de l’amour de Dieu et du Maître est la base même, la vraie racine du Sikhisme. C’est donc, originairement, un mouvement de dévotion. La philosophie est la même que celle des Hindous, mais le mouvement est réformateur dans sa nature, en lutte contre le formalisme du temps, contre le cérémonial, afin de trouver la vie cachée sous les formes, l’essence de la vérité qui a inspiré les cérémonies.
À l’époque de Gourou Nanak, ainsi que cela se présente trop souvent dans l’histoire du monde, une grande religion était devenue de plus en plus formaliste et les hommes dépérissaient en mangeant l’enveloppe du grain au lieu de se nourrir du grain lui-même. Le Gourou Nanak s’efforça de trouver le grain et, en agissant ainsi, il rejeta, en grande partie, l’enveloppe ; il s’efforça d’amener les hommes à voir la réalité de la religion, la vie, l’essence de cette religion, et à trouver cette vie et cette essence dans l’amour de Dieu et du Gourou, dans l’amour des hommes considérés comme les enfants d’un même Dieu. […] Lorsqu’il mourut, après soixante-dix ans d’une noble vie et d’un enseignement sans prix, ses disciples se disputèrent sur la question de savoir à quelle religion il appartenait réellement ; fallait-il le brûler comme un Hindou, ou l’enterrer comme un Musulman ? Tandis qu’ils se disputaient, quelqu’un souleva le linceul qui recouvrait le cadavre ; le corps avait disparu, il ne fut donc ni brûlé, ni enterré. » A. Besant, Des religions pratiquées actuellement dans l’Inde.
Né dans un contexte de guerre de religions entre hindous et musulmans, le sikhisme proposa de surmonter les différences de culte pour ne s’intéresser qu'à l'enseignement divin de chacune d'elles. L'étude du Coran, comme de la Bible ou des Védas est encouragée, mais c'est le Guru Grand Sahid qui est considéré comme le livre le plus saint des sikhs. Il raconte la vie de Guru Nanak, le fondateur de la tradition, ainsi que des neuf autres successeurs qui suivirent à la tête de ce culte, à la fois indépendants de l'hindouisme et jugés hérétiques par l'islam. Le sikhisme considère comme une perte de temps de comparer les religions et les dieux entre eux. L'unité de Dieu, malgré ses représentations, ses prophètes supposés et ses incarnations, est placée au-dessus de tout et est considérée comme une valeur suprême de cette religion. « Il n'y a pas de musulmans, pas d'hindous, il y a des sikhs ! » clamait Guru Nanak.
Par A. Besant, op. cit.
Depuis l’enfance, le petit garçon présentait des signes distincts, comme en présentent tous les prophètes de Dieu, qui le différenciaient de ses compagnons. L’histoire de son enfance n’est pas marquée par des événements nombreux mais elle est très pathétique et très bizarre, bizarre en ce sens qu’il était né dans une famille de braves gens, des plus communs, comme un aigle dans un nid de moineaux ; mais les moineaux ne comprenaient pas l’aigle et ne pouvaient démêler quelle sorte de créature c’était.
Tranquille, réservé, silencieux, s’écartant pour méditer tandis que les autres petits garçons jouaient ; étrange enfant, qui n’apprend pas comme d’autres apprennent, ne joue pas comme d’autres jouent, qui, lorsqu’il va chez son maître, veut savoir le sens mystique des lettres et irrite le Pandit en lui posant des questions auxquelles celui-ci, le brave homme, ne peut pas répondre. L’enfant est toujours en lutte avec son entourage parce qu’il veut absolument savoir ce qui est dans les choses ; il ne peut se contenter de leur aspect extérieur. Et il n’y a rien de plus ennuyeux pour un être ordinaire, homme ou femme, que d’être pressé de questions quant à la réalité des choses, alors qu’il se trouve tout à fait à l’aise sur l’oreiller rassurant des formules ; ainsi Nanak, dans son enfance, met son père à une rude épreuve. Sûrement, il doit être fou ; il reste assis pendant des heures, méditant, sans prendre aucune nourriture ; il doit avoir la fièvre. On amène un docteur pour l’examiner, Nanak demande à celui-ci s’il pourrait guérir les maladies de son âme. Quelle espèce de malade est-ce, qui accueille son médecin de cette manière ?
Observez encore Nanak au moment où va s’accomplir la cérémonie du cordon sacré […] :
« Lorsque tout fut prêt et que le Purohit (le prêtre de la famille) fut sur le point de le lui conférer, Nanak se retourna et demanda ; « Dis-moi, Pandit-ji, quelle est l’utilité de ce cordon ? Quels devoirs impose-t-il à l’homme qui le porte ? Pourquoi est-il nécessaire de le mettre ?
— Nul ne peut accomplir les cérémonies du sacrifice sans le porter sur lui, répondit le Purohit, qui n’était qu’un Pandit de village et ignorait la signification secrète du cordon sacré ; ce fil purifie celui qui le porte, le met en état d’assister à toutes les cérémonies et même de les accomplir.
— Si un homme qui porte ce cordon sacré, reprit Nanak, ne change pas de conduite et mène une vie impure, est-ce que ce cordon le purifiera et l’aidera en aucune façon à atteindre le but ? Cet homme ne récoltera-t-il pas le fruit de ses actes ?
— Je ne sais pas, répliqua le Purohit, mais c’est ordonné dans les Shâstras et nous devons suivre l’exemple de nos ancêtres.
— Avec le coton de la compassion, tissez le cordon de l’amour ; que l’abstinence et la vérité forment les nœuds ; que votre esprit revête ce cordon, qu’il ne soit ni cassé, ni souillé, ni brûlé, ni perdu. Louanges à ceux qui ont revêtu ce cordon, dit Nanak.
— Vous avez bien parlé, dit le Purohit, mais songez aux frais et dérangements qu’a eus votre père. Voyez vos parents et amis ; tous seront désappointés si vous ne voulez pas le porter.
— Je suis sincèrement désolé de ne pouvoir vous obliger, dit Nanak ; je ne peux pas mettre sur moi ce cordon et je vous conseillerai, à votre tour, de vous préoccuper davantage de l’essence des choses que de leur forme. C’est seulement par une conviction sincère qu’on obtient le respect, et c’est en louant Dieu et en vivant selon la vérité que l’homme atteint à la perfection. »
À la fin, sa mère le supplia pour son salut ne ne pas lui causer cette déception. Nanak alors répondit simplement : « Mère, j’obéis », il prit le cordon et le mit.
Par A. Besant, op. cit.
Il grandit et ce fils ne donne aucune satisfaction au brave père un peu borné, car il ne veut pas embrasser la vie agricole, il ne veut pas d’une boutique et il ne veut pas voyager pour faire du commerce. Son occupation consiste à donner de l’argent, ou plutôt des vivres aux Sannyasis ; le père trouve que ce n’est pas une bonne affaire et il est peu satisfait, bien que Nanak trouve que c’est la meilleure affaire qu’on puisse réaliser. À quoi emploiera-t-on un jeune homme pareil ? Le père l’envoie chez sa sœur et son beau-frère qui l’aiment beaucoup. Il prend du service sous un Nawab, il sert fidèlement et bien ; mais il dépense sans cesse en charités et à la fin, lassé du monde, il décide de quitter le service, de quitter la vie d’intérieur dans laquelle il est entré, d’errer à la recherche de Dieu et des occasions de réaliser son amour de Dieu. Ici se place une autre scène caractéristique avec le Nawab, après que Nanak eût quitté son service. Le Nawab envoie chercher le jeune homme qui, au bout d’un certain temps arrive. Le Nawab est fâché qu’il ne soit pas venu de suite.
— Je ne suis plus actuellement votre serviteur, Nawab Sahib, répond Nanak. Je suis actuellement le serviteur de Dieu.
— Croyez-vous en un seul Dieu, ou en plusieurs Dieux ? s’informe le Nawab.
— En un seul Dieu, indivisible, existant par lui-même, incompréhensible, pénétrant tout et adorable, répond Nanak.
— Eh bien, puisque vous croyez en un seul Dieu et moi aussi, votre Dieu doit être le même que le mien ; donc, si vous êtes un fervent croyant, venez avec moi à la mosquée et offrez des prières avec nous.
— Je suis prêt, dit Nanak.
Son beau-frère en demeura muet d’étonnement et il quitta aussitôt la cour, croyant que Nanak avait embrassé l’Islam. C’était un vendredi et comme l’heure de la prière approchait, le Nawab se leva et, accompagné de Nanak, se dirigea vers la mosquée. Lorsque le Kazi commença à réciter la prière, le Nawab et son groupe commencèrent, selon l’usage, la cérémonie de la prosternation, tandis que Nanak, silencieux, se tenait immobile. Lorsque la prière fut terminée le Nawab se tourna vers lui et lui demanda avec indignation : « Pourquoi n’avez-vous pas fait les cérémonies d’usage ? Vous êtes un menteur et vos prétentions sont fausses. Vous n’êtes pas venu ici pour y rester comme une bûche. »
_ Vous vous prosterniez le visage contre terre, fit observer Nanak, tandis que votre pensée courait, échevelée, dans les nuages ; vous songiez à faire venir des chevaux de Kandahar, et non à offrir des prières ; quant à votre prêtre, seigneur, tandis qu’il accomplissait automatiquement la cérémonie de la prosternation, il pensait à sauver la jument qui a mis bas l’autre jour. Comment pourrais-je offrir des prières avec des gens qui font les génuflexions d’usage et répètent des paroles comme un perroquet ? »
Par A. Besant, op. cit.
Il commence ses pérégrinations. Il va, errant, chantant avec le musicien et un ami qui le suit, Mardana et Bala, et il arrive à un village où il a besoin de se restaurer. Il y trouve un pauvre homme nommé Lalu, un charpentier qui mène une vie pure, et cet homme souhaite la bienvenue au Sannyasi errant, lui donne son propre lit, lui apporte des aliments chauds : Nanak mange. Le jour suivant, un riche banquier de la ville donne une grande fête aux Brahmanes et invite Nanak à se joindre à eux. Nanak y va, mais il refuse de prendre de la nourriture ; l’hôte lui demande :
« Pourquoi ne touchez-vous pas à mes vivres ? »
— Parce qu’ils ne sont pas purs, dit Nanak, attendu que vous avez fait préparer ces aliments pour votre propre glorification ; c’est un don tamasique [égoïste] et par conséquent impur.
— Vous appelez ma nourriture impure, tandis que celle de ce Lalu de caste inférieure est pure ? Comment cela se fait-il ? » demanda Rai Bhag avec mépris.
— Vous traitez vos hôtes avec irrévérence et mépris, dit Nanak, cela montre votre but tamasique. J’ai mangé de la nourriture préparée par Lâlu, car elle était préparée avec amour et m’était servie avec respect, sans désir d’être remercié et gratifié en retour. Vous avez une leçon à prendre de l’humble Lalu. Votre nourriture est pleine de sang.
— Quelle preuve avez-vous que ma nourriture soit impure ? demanda Rai Bhag, courroucé.
« Nanak prit, dans une main, la nourriture de Rai Bhag, dans l’autre celle préparée par Lalu et les pressa toutes deux : des aliments de Rai Bhag des gouttes de sang s'écoulèrent, tandis que ceux de Lalu laissaient filtrer le lait. »
Avant de mourir, Nanak désigne un second gourou pour perpétuer la tradition. Neuf autres gourous suivront, et chacun ajoutera son enseignement en complétant celui de Nanak. L'édition d'un livre fédérateur, semblable à une bible ou un coran, est l’œuvre du cinquième gourou, Guru Arjun. Celui-ci instaurera aussi un baptême sikh, ce qui en fera une religion à part quelque 160 ans après la mort de Guru Nanak.
« Dix Gourous se succèdent l’un à l’autre (dans une série ininterrompue), dont le Gourou Nanak est le premier, le plus pur, le plus saint et le plus noble de tous : il est la vie, le cœur et l’âme de ses successeurs.
Après lui vient le Gourou Angad (1539 - 1552), de qui il y a peu de chose à dire, si ce n’est qu’il rassembla bon nombre des chants et préceptes de son devancier et commença ainsi la compilation des écritures Sikhes, l’Adi Granth Sahib.
Puis vient le troisième, le Gourou Amar Das (1552 - 1574), au sujet duquel un fait est à noter, à savoir qu’il rencontra l’empereur musulman, Akbar, dans une conférence sur des questions religieuses ; ce qui nous montre l’influence exercée par la pensée dit Gourou Nanak et qu’un essai avait été tenté, en vue d’établir la paix entre les grandes religions rivales de l’Hindouisme et de l’Islam.
Le Gourou suivant, le quatrième, est le Gourou Ram Das qu’on trouve encore en relations amicales avec le libéral et magnanime Akbar, lequel donne au Gourou un morceau de territoire situé à Amritsar, où Ram Das fait creuser le fameux réservoir.
Nous arrivons au cinquième, le Gourou Arjunmal (1581 - 1606), le constructeur du fameux temple d’Or, qui fait époque dans l’histoire des Sikhs ; car ce monument leur donne un centre, un foyer, un lieu de réunion. Le temple est d’abord dédié à Hari, Hari Mandir comme on l’appelle, le Gourou Nanak ayant toujours enseigné que le nom de Hari renfermait le salut. Plus tard, ce temple devint le Darbar Saheb. Les Sikhs ont désormais leur propre résidence. Ils commencent à s’assembler autour du temple ; ils commencent à former une communauté définie. Arjunmal, le maître en religion, se met à la tête de la communauté, organisée alors d’une façon précise, assemblée en un lieu déterminé : ce sont les débuts de l’État sikh. La grande œuvre du Maître, c’est, en outre, de rassembler les doctrines de ses prédécesseurs et c’est lui qui compile définitivement et publie l’Adi Granth Sahib, composée en partie des chants et des préceptes des Gourous précédents, en partie, aussi, des chants des saints Sikhs, etc.
Surgit alors le premier symptôme qui annonce la lutte future. C’est Jehangir qui occupe le trône d’Akbar, il est moins libéral et moins magnanime que son prédécesseur. Son fils se révolte contre lui. Le Gourou Arjunmal, sans aucune raison apparente, ou pour une raison qui, en réalité n’en était pas une, est accusé de sympathiser avec le fils rebelle. Je dis « sans aucune raison », car la racine de l’accusation semble avoir été la colère et la jalousie du puissant ministre à qui Arjunmal avait refusé de donner son enfant en mariage ; ce ministre, excitant les soupçons de Jehangir contre le Gourou, pousse l’empereur à s’emparer de lui et à l’emprisonner. Arjunmal meurt des rigueurs de la captivité. C’est à cette heure que la communauté, jusque-là purement religieuse et pacifique, est amenée, par suite de cette agression sur la personne de son maître et chef, dans la voie qui fera d’elle un grand corps militaire. Jahangir a pour successeur Aurangzeb et les choses empirent sous ce maître fanatique.
Le Gourou suivant, le sixième, le Gourou Har Govind (1606 - 1645), commence définitivement à organiser les Sikhs pour la défense ; il les concentre en un corps, séparé à la fois des musulmans et des hindous, destiné non plus à se réunir aux deux autres, mais à exister en tant que corps séparé des deux autres. L’État sikh commence à grandir ; et désormais éclatent la lutte et la guerre : escarmouches isolées, combats isolés, participation aux combats livrés autour d’eux, tout cela soudant les Sikhs plus étroitement entre eux pour en faire un corps guerrier.
Le septième Gourou, le Gourou Har Rai (1645 - 1661), dont il est peu parlé, est pacifique et tranquille, mais autour de lui il y a plus de luttes que jamais, la guerre redouble, les violences redoublent, l’esprit militaire redouble, si bien que l’aspect religieux passe pour ainsi dire à l’arrière-plan si ce n’est par l’inspiration et la force de cohésion qu’il donne.
Vient alors le Gourou Har Rishan (1606 - 1664), qui n’est qu’un enfant de six ans et meurt à neuf ans, suivi du neuvième Gourou, Tegh Bahadur (1664 - 1675). La vie de celui-ci est très troublée : il meurt cruellement assassiné par Aurangzeb et son fils lui succède, dixième et dernier Gourou, le Gourou Govind (1675 - 1708). Il donne aux Sikhs leur grande organisation militaire et en fait le corps qui élèvera, sous Ranjit Singh, l’empire Sikh du Penjab. » Ibid.
En 1708, Guru Gobind Singh refuse de se convertir à l'islam. En conséquence de quoi, il est assassiné par les autorités musulmanes. Dès lors, les sikhs se révoltent et créent l'État indépendant sikh du Penjab. La puissante cavalerie sikhe empêchera dans un premier temps une reconquête, puis suite à la prise de Lahore, l'Empire sikh est fondé.
De 1799 à 1849, il ne cessera de s'étendre du Penjab au pied de l'Himalaya et du Cachemire. L'ennemi musulman perdant de la puissance, les sikhs tourneront alors leurs efforts de guerre contre la présence colonisatrice des Anglais. Depuis ce combat pour défendre la terre indienne contre les envahisseurs, les sikhs et leur religion jouissent parmi les Indiens de toutes confessions d'un très grand respect.
Par A. Besant, op. cit.
Encore petit garçon, il fuit pour sauver ses jours ; après l’assassinat de son père et pendant vingt ans, il vit retiré, méditant sur sa mission. Naturellement il nourrit des sentiments amers contre les ennemis de son père ; la haine des Musulmans semble presque devenir un devoir pour le fils, pour le Gourou et par suite pour les Sikhs. La vieille amitié s’est évanouie, le sang d’un père coule entre le Gourou et l’empereur musulman. Pendant près de vingt ans, comme je l’ai dit, il vit retiré, méditant sur la tâche qu’il a devant lui, méditant sur cette tâche comme un maître en religion mais, plus encore, comme un organisateur militaire. Et finalement il sort de sa retraite, prêt à accomplir une œuvre puissante, mûr pour la mission de sa vie. Il est résolu à séparer définitivement les Sikhs des hommes appartenant à toute autre foi et à éviter toute possibilité de confusion. Il appelle à lui cinq disciples dévoués et il institue, au milieu de ces cinq hommes, la cérémonie de Pahul, initiation simple, bien dans le caractère guerrier. Il prend de l’eau ; sa femme venant à passer avec cinq sortes de plats doux, il prend un peu de chacun des plats et jette tout dans l’eau. Il agite l’eau avec un couteau à deux tranchants, il en fait sauter quelques gouttes sur les cinq hommes qui l’entourent et les fait tous boire ; eux, à leur tour, l’aspergent de quelques gouttes et lui donnent à boire ; il les proclame alors Khalsa, purs, et leur ordonne d’ajouter à leur nom l’épithète de Singh, le lion. Ce sont les premiers disciples initiés, ils se distinguent de tous les autres par des signes spéciaux que chaque Sikh doit porter avec lui. C’est la longue chevelure, qui le distingue de l’Hindou presque toujours rasé ; le peigne ; le poignard ou couteau à deux tranchants ; la bangle d’acier ; les culottes courtes venant aux genoux. Ce sont les cinq signes, les cinq K’s, comme on les appelle, parce que le nom de chacun d’eux commence par un K dans la langue du pays, par lesquels le Gourou distingue tout Sikh de son entourage, et que les vrais Sikhs portent aujourd’hui encore. Telle est la cérémonie, instituée comme cérémonie d’initiation, et partout, a déclaré le Gourou, où cinq Sikhs seront réunis, son esprit sera présent et avec lui le pouvoir que confère l’initiation. Mais ce sera le dernier des Gourous ; après lui, aucun maître ne viendra, le pouvoir passera entre les mains des Khalsa et sera exercé par le conseil de leurs chefs, les Gourous Mata. L’autorité, pour les Sikhs, réside dans le livre sacré que, plus tard, Gourou Govind complétera.
À présent, il est le chef des guerriers et les Sikhs s’assemblent autour de son étendard. Il lutte, il combat, il organise une grande armée ; ses hommes sont connus par leur courage merveilleux, par la façon dont ils affrontent, dans les batailles, les parties très inégales. La même ardeur que nous avons vu animer les musulmans, après la mort de leur grand Prophète, dans leur carrière de conquérants, s’observe également chez les guerriers Sikhs et ils meurent aussi joyeusement que d’autres vivent. Rien d’étonnant à ce qu’au début ils aient tout entraîné devant eux ; cependant, après des luttes nombreuses, n’étant en somme qu’un petit nombre parmi des myriades d’hommes, nous les trouvons battus dans ce combat, entrepris par eux avec tant d'héroïsme contre la force écrasante du nombre : en effet, ce petit groupe s’était attaqué au puissant empire musulman du Nord. Ils ne sont qu’une poignée contre des myriades, mais ils ne sont jamais découragés, jamais terrifiés ; jamais ils ne perdent l’espoir ; leur Gourou est avec eux partout où ils vont et tant qu’il est là ils ont confiance : il est battu, encore battu, toujours battu, jusqu’à ce qu'enfin, dans un splendide effort, il se retourne et disperse les troupes ennemies : la poursuite cesse alors. L’endroit où cette bataille libératrice avait été livrée fut appelé la Fontaine du Salut. C’est à la suite de cela que, pour encourager ses disciples, le Gourou publia le dernier texte sacré des Sikhs, le Livre du dixième roi, ou Gourou Dashwen Padshahi, le complément de l’Adi Granth Sahib.
Nous arrivons à la fin. Il est attaqué par un Pathan, qui se dispute avec lui sur une question commerciale, une bêtise, mais l’homme menace sa vie et le guerrier le frappe. L’homme tombe mort. Les fils de cet homme arrivent ; il leur parle avec bonté et bienveillance ; se souvenant de l’assassinat de son propre père, il plaint les fils qu’il a fait orphelins ; il les prend à son service, leur accorde sa confiance et lorsqu’il sait son temps venu, une étrange scène se produit. Il parle à l’un des fils du devoir de vengeance, de l’obligation de tuer le meurtrier d’un parent jusqu’à ce qu’il excite le jeune homme à lui asséner le coup mortel. Pour sauver l’assassin de la colère de ses disciples, le Gourou déclare que l’étranger n’a fait que venger son père et qu’il doit s’en aller librement. Puis il ordonne aux siens de suivre les Écritures, leur recommande d’être fidèles aux Khalsa, et meurt.
Après qu’il a disparu, il n’y a plus de maître ; mais ce qui fait autorité c’est l’Adi Grantha Saheb, avec le conseil des chefs, et les Khalsa, la communauté tout entière des Sikhs dans laquelle ne doit exister aucune différence de caste, aucune différence entre un homme et un autre, dans laquelle tous doivent être frères et égaux.
Suit alors une brillante histoire de luttes et de succès militaires couronnée finalement par les splendides victoires de Ranjit Singh, le Lion du Penjab (1797), qui fait du Penjab, en réalité, l’Empire Sikh. Il meurt en 1839.
Le sikhisme refuse les idoles et prône un dieu unique, semblable à celui tout puissant et omniscient du monothéisme abrahamique. Mais il reprend aussi à son compte les principes essentiels de l'héritage védique, tels que le karma, les avatars et les réincarnations.
Dans le sikhisme, une vie intègre et honnête permet de se rapprocher de Dieu et de connaître la mukti, c'est-à-dire la libération de l'âme. Par ailleurs, l'ascétisme ou le retrait du monde ne sont pas nécessaires pour parfaire l'élévation spirituelle. Les richesses matérielles ne sont pas non plus condamnées, mieux : elles sont une récompense à celui qui agit comme il plaît à Dieu.
Un autre concept védique, la maya, c'est-à-dire le caractère illusoire de la réalité est repris par les sikhs. Il s'agit d'un mur érigé entre Dieu et ses créatures, et que seules l'étude et la prière peuvent faire tomber. Sikh est un terme qui veut d'ailleurs dire « étudiant ».
Comme les hindous, les bouddhistes et les jaïnes, les sikhs respectent l'ahimsa (refus de la violence envers le vivant). Le sikhisme bannit la viande (avec cependant une rigueur relative), et l'ensemble des activités qui maltraitent ou encouragent la maltraitance animale, car Dieu est en toute existence.
De même, les vices comme les jeux de hasard et l'alcool sont interdits. Afin de marquer leur respect envers tout ce que Dieu fait pousser, les sikhs ne se coupent ni la barbe, ni les cheveux. Les sikhs initiés, plus âgés, ou faisant partie des classes les plus nobles, s'entourent donc les cheveux d'un turban et portent la barbe. Entre autres, leur panoplie distinctive comprend aussi un petit couteau, qui se porte cérémonieusement mais quotidiennement à la ceinture, afin de symboliser la lutte contre les forces du mal, mais aussi le courage que donnent la prière et l'adoration de Dieu, qu'ils appellent indistinctement Satnam, « le véritable Nom ».
Bien que lui ressemblant, le sikhisme se distingue cependant nettement de l'hindouisme : il ne reconnaît pas les idoles ni le caractère divin des gourous, prophètes et avatars, tout en acceptant leur existence, et refuse théoriquement le système des castes et les mariages arrangés (le mariage sikh est plutôt le couronnement d'une union spirituelle et mystique entre deux personnes, qui se rapproche du tantrisme).
Le principal lieu sacré du sikhisme est le temple d'or de Amritsar, à quelques kilomètres de la frontière pakistanaise, au Penjab indien. Bien qu'ils représentent 60 % de la population de cet État, où leur culte trouve ses origines, les sikhs ne sont que 1,7 % de la population nationale indienne, soit quelque 21 millions. Jadis très présents dans la vallée de l'Indus, mais en raison de plusieurs siècles de persécutions religieuses, les sikhs ne sont plus aujourd'hui que quelques milliers au Pakistan et en Afghanistan. En outre, une diaspora prospère de commerçants et d'hommes d'affaires sikhs, mais aussi de chauffeurs de taxi, est installée à Singapour, au Canada, aux États-Unis, en Australie et à Londres. En France, les sikhs seraient 10 000, concentrés particulièrement aux alentours de la ville de Bobigny, en banlieue parisienne.
Selon les traductions anglaises de S. U. Singh et H. Singh,
citées dans A. Besant (op. cit.)
Guru Granth Sahib, 1.
Je m’incline devant l’Être premier, Omkara ;
Qui a créé cette eau, cette terre et ce ciel ;
Esprit premier, non manifesté, impérissable ;
Dont ta lumière illumine les quatorze lokas ;
Qui habite au même titre dans la fourmi et dans l’éléphant ;
Qui tient pour égaux le maître et le pauvre ;
Dualité de la forme, Esprit sans signe
Qui connaît immédiatement ; contrôleur interne de tout réceptacle (cœur).
Adi Granth Sahib, 5.
D’innombrables Avataras de Vishnou ont été accomplis par toi.
D’innombrables Brahmandas sont le séjour de la loi ;
D’innombrables Maheshvaras sont créés et absorbés ;
D’innombrables Brahmas ont été par toi employés à façonner les mondes ;
Telle est ainsi la richesse de mon Seigneur,
Dont je ne peux dire en détail les grandes qualités,
Qu’entourent d’innombrables Mayas [illusions].
Les cœurs d’êtres innombrables sont le lieu où il demeure ; [...]
Innombrables les dévots qui demeurent avec Hari [Dieu suprême].
Innombrables les rois qui te rendent hommage,
Innombrables les Indras qui se tiennent devant tes portiques ;
Innombrables les Cieux dans ton regard ;
Innombrables tes noms sans prix,
Dont les résonances innombrables retentissent au loin.
Innombrables les tournois d’actions merveilleuses ;
Innombrables les Shaktis et les Shivas qui obéissent à la volonté ;
Innombrables les êtres que tu nourris,
Dont les pieds renferment d’innombrables Tirthas [lieux sacrés],
D’innombrables purs répètent ton précieux nom,
D’innombrables adorateurs te rendent hommage ;
Ton expansion est infinie ; il n’y a pas un second Être
Dont les titres glorieux, purs et sans tache, soient innombrables,
Dont les louanges soient chantées par d’innombrables Brahma-Rishis ;
De qui, en un clin d’œil, les créations et absorptions sont innombrables ;
Innombrables les qualités qu’on ne peut énumérer.
D’innombrables sages confessent ta science ;
D’innombrables méditatifs méditent sur ta nature ;
D’innombrables ascètes accomplissent des austérités,
D’innombrables Munis demeurent assis en silence ;
Seigneur non manifesté, Maître non perceptible
Qui remplis tous les cœurs et les contrôles du dedans,
Partout où je regarde tu demeures ;
Gourou Nanak illuminé possesseur de cette science.
Adi Granth Sahib, 1.
L’espace lui-même est ton plateau ;
Le Soleil et la Lune tes lampes :
L’armée des étoiles tes perles, ô père.
La brise odorante est ton encens ;
Le vent s'agite sur toi ;
Tout le royaume végétal te couvre de fleurs, ô Lumière ! […]
Tes yeux sont milliers, mais non ! Tu n’en as pas,
Tes formes sont milliers ; mais non ! Tu n’en as pas,
Tes pieds sacrés sont milliers ; mais non ! Tu n’en as pas,
Tu ne peux sentir et cependant tu as mille narines ;
Cette œuvre merveilleuse qui est la tienne nous transporte.
En toutes choses est la Lumière.
En chacun, la lumière de cette Lumière rayonne.
Grâce à l’enseignement du Gourou rayonne cette lumière.
Adi Granth Sahib, 10.
Lorsque le Créateur exhale un souffle (ou expansion)
Alors la création revêt une infinité de corps ;
À chacune de tes inspirations,
Tout ce qui est incarné rentre, au contraire, en Toi.
Adi Granth Sahib, 5.
Le sikhisme réserve une place de choix aux gourous. Ils sont les transmetteurs d'une doctrine qui sans eux demeurerait inconnue du grand public. Gurudeva est un terme qui signifie à la fois maître, dieu et enseignant.
Gurudeva est mère,
Gurudeva est père,
Gurudeva est le Seigneur Suprême,
Gurudeva est l’ami, le destructeur de l’ignorance,
Gurudeva est le parent et le vrai frère ;
Gurudeva est celui qui a donné et enseigné le nom d’Hari [Dieu] ;
Gurudeva a créé le mantra ;
Gouroudeva est l’incarnation de la paix, de la vérité et de la lumière ;
Le contact de Gouroudeva dépasse celui de la pierre des philosophes.
Gouroudeva est le Tirtha [lieu du pèlerinage],
Le réservoir du nectar d'immortalité,
Il n’y a rien au-dessus de l’immersion dans la science du Gourou.
Gouroudeva le créateur, est le destructeur de tout mal.
Gouroudeva est le purificateur de tous les déchus.
Gurudeva est primordial avant les âges, à tout âge,
En répétant son mantra nous serons sauvés du samsara [l’océan des naissances et des morts.]
Ô Seigneur, favorise-nous de la compagnie de Gurudeva,
Afin qu’attachés à lui, nous puissions, pécheurs égarés, faire la traversée à la nage.
Gurudeva, le vrai Gourou, est Parabrahma, Seigneur suprême ;
Nanak s’incline devant Gurudeva Hari.
Adi Granth Sahib, 1
Sans signe, nul ne peut le contrarier, inaccessible et inconnaissable, il n’est point objet pour les sens ; inaltéré par le temps ou l’action ; d’essence sans commencement ; n’étant sorti d’aucun sein, existant par lui-même, inconditionné, sans défaillance, puissé-je être sacrifié à cette Pure Vérité.
Il n’a ni forme, ni couleur, ni contour ; il doit être désigné par la parole de Vérité. Il n’a ni mère, ni père, ni fils, ni parent, ni désir, ni femme, ni clan ; il n’est pas imprégné de Maya [l'illusion] ; il n'est pas dépassé, il est plus haut que le plus haut, Lumière de tout, Brahma caché dans tous les cœurs, sa lumière est tout entière dans chaque véhicule [cœur].
Par l’enseignement du Gourou, le portail de diamant s’est entr’ouvert, sans crainte, fixe et ferme, le regard s’y est fixé. Ayant créé les êtres, il plaça au-dessus d’eux le temps [la mort] et prit toute organisation sous son contrôle.
En servant le Gourou ils trouvent la véritable fortune ; en agissant selon sa parole ils gagnent la véritable liberté. Dans un réceptacle pur [le cœur], la vérité seule peut vivre ; ils sont rares ceux dont la conduite est pure. Toute essence se fond dans l’essence suprême. Nanak en toi puissé-je trouver un refuge.