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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

L'ANTHROPOGENESE

L'ANTHROPOGENESE

L'humanité : une première création ratée

Après avoir établi le support de la vie, ainsi que peuplé l'univers de quelques entités célestes et souterraines, le dieu créateur s'essaie à créer l'humanité. Mais tel un artisan qui s'essaierait à une nouvelle forme sans en maîtriser encore la technique, les premières créatures à peupler la terre sont ratées... Qu'il s’agisse de titans, de géants ou de mauvais esprits, ce sont des monstres inaboutis. Dieu est parfaitement conscient de son erreur, ce qui fait de lui un artisan de talent, car capable d'apprendre de ses erreurs et de se perfectionner.

Chez les Evés du Togo , le premier humain a été trop cuit.

Chez les Dogons, « la première chose créée fut la graine de « sene » (acacia), par superposition simple des quatre éléments ; mais, mécontent de son œuvre, Amma la reprit en brassant cette fois ensemble les quatre éléments, ce qui donna la graine de « pô » (fonio). »1 Plus tardivement dans la cosmogonie dogon, de l'union d'Ogo, le nommo rebelle et ultime, avec la Terre, ne naissent que des êtres incomplets.

Dans la mythologie Kabyle, la fourmis primordiale et généreuse, modèle les moutons avec de la farine moulue, mais ses mains étant pleines de suie, les moutons ont depuis la tête noire.

Dans la cabale juive, il existe une femme primordiale, avant Ève. C'est Lilith, la première femme d'Adam. Son caractère ténébreux et sa méchanceté repousseront Adam, pour qui Dieu créera une femme plus docile à partir du « côté » du premier homme. Lilith est depuis une démone.

Chez le phénicien Sanchoniathon, « Mot donne naissance à des animaux qui ne possèdent aucune sensibilité. »2

Dans la Théogonie d'Hésiode, les premières créatures « étaient odieuses avec leur père. »

En Mésopotamie sémitique : « Dieu voulut faire chanter ses musiciens. Plusieurs arrêtèrent le chant et l’interrompirent par des blasphèmes. Le Dieu de la couronne, c’est-à-dire le chef du chœur, résolut de dompter la révolte. Il fit retentir une trompette qui aurait réveillé les morts. Cette trompette interdit le ciel aux rebelles et les envoya aux abîmes. En leur place Dieu créa le genre humain. »3

En Perse, Zurvan (Temps) s'unit à une forme féminine du chaos primordial. Mais à chaque fois qu’émergeait du chaos un monstre, Zurvan le sacrifiait aussitôt. Il désirait donner naissance à une créature qu'il puisse appeler son fils, mais avant qu'interviennent les naissances de Ahriman et Ahura-Mazda, ses innombrables sacrifices demeuraient vains. Zurvan douta même que tous ces rituels aient la moindre utilité.

Dans le védisme, Aditi (Lumière primordiale, Espace en expansion), eut huit fils de Kashiapa le rishi démiurge. « Elle en accepta sept en en rejeta un. »4 qui était mal formé et qui est devenu la première fausse-couche.

Au Tibet, six fils naquirent de l'union du singe et de la sorcière. « Tous savaient parler, mais seul l'aîné était doux et généreux. Ses frères au contraire se montraient jaloux, avares, bêtes ou violents. »5

Selon une légende védique, les Asuras sont nés du rishi démiurge Kashiapa, par ailleurs père des Dévas, et d'une entité céleste avec qui le rishi ne souhaitait pas s'unir. Un Brahmanas décrit la naissance des anti-dieux comme une erreur manifeste : « Puis, soufflant vers en bas, il créa les Asuras, afin de peupler la Terre. Et lorsqu'il les eut ainsi créés pour peupler la Terre, ce fut pour lui comme les ténèbres ! » L'erreur est cependant vite rattrapée : « Il les frappa d'un mal, et ils en moururent. Aussi doit-on tenir pour fausses les histoires ou les légendes relatives à une rivalité entre les Dieux et les Asuras ; en réalité, Prajapati frappa les Asuras d'un mal et ils en moururent immédiatement. »

Au Japon, le couple de dieux ayant reçu l'ordre des entités primordiales de procréer, donne d'abord naissance à « un monstre, une sorte d'énorme sangsue. Ils ne veulent pas garder cet être horrible ; ils placent le bébé-sangsue au fond d'un bateau fait de roseaux entrelacés, et ils l'abandonnent aux hasards des flots. Nouvel enfant, nouvelle déception ; cette fois, c'est comme une île d'écume, une sorte de monstrueuse méduse. Les jeunes Dieux refusent de la reconnaître pour descendante. Il leur naît ensuite deux enfants ratés : Pirugo, l'enfant-sangsue, et l'île d'Apa. Ils remontent au ciel, rapportent cet échec»6 Plus tard, Hiruko, le fils incestueux du couple initial, continuera l’œuvre créatrice de ses parents, mais ses premières créations seront des brouillons et resteront des créatures inférieures et aquatiques.

1N. Goisbeault, Un mythe de création ; le mythe dogon.

2Propos repris par Philon de Byblos.

3Desmazures, Cours d’archéologie-les Indes, l’Égypte, l’Assyrie, la Palestine, 1890.

4Rig-Véda, 10, 72. Trad. Renou.

5Le singe et la démone des rochers, in C. C. Ragache, La Création du monde.

6F. Challaye, Contes et légendes du Japon. Inspiré du Kojiki.

Chez les Paiwan de Taïwan, la première créature née de l'un des œufs primordiaux est aveugle, sans nez, ne possédant qu'un seul bras et qu'une seule main.

Les Amérindiens Abénakis du Québec « croyaient que le premier homme et la première femme sauvages avaient été créés d’une pierre ; que le Grand-Esprit, non satisfait de ce premier coup-d’essai, avait détruit ce premier couple, et en avait créé un autre d’un arbre ; que ce second couple était presque aussi parfait que le Grand-Esprit, et que les sauvages en descendaient. »1

Dans le Pop Wuh, il est rapporté que Tzaqol demanda aux animaux de le louer. « Parlez ! Invoquez-moi ! Que chacun se distingue des autres ! » exhorta-t-il aux cerfs, aux oiseaux, aux jaguars, aux pumas et aux serpents.

« Mais il ne sortit d'eux que des Sons absurdes, caquètements, cris et gloussements. Ce n'était pas parler que cette cacophonie. " Ils n'ont pas pu dire nos noms ", se dirent les dieux. »

Les démiurges décident alors de créer un nouvel animal qui correspondrait plus à leur attente.

« Enfin, ils prirent de la terre et de l'eau pour façonner sa chair. Mais le résultat fut mauvais : il ne savait se tenir debout, ni relever la tête ni regarder derrière lui. Il ne voyait que ce qui était à ses pieds. Il parla, mais il était dénué d'entendement, ne savait penser. En outre, il se défaisait dans l'eau. Ses chairs, sans consistance, ne tenaient pas ensemble. Tzaqol dit alors : " Il ne sait ni se tenir debout, ni marcher, ni se multiplier, il n'a aucune intelligence. " Alors ils défirent la créature par eux construite et formée parce qu'ils la trouvèrent pleine de défauts. Ils dirent encore : " Quand donc réussirons-nous cet être parfait qui sache nous appeler, nous invoquer ? " »

Ils essaient d'utiliser du bois, sans grand résultat :

« Se firent les mannequins de bois sculpté : ils avaient un langage d'homme, se reproduisaient comme des hommes. Ils peuplèrent de fils et de filles de bois. Mais l'esprit leur manquait, ou pour mieux dire, l'entendement. Ils ne se souvenaient pas de Tzaqol, qui les avait modelés. Ils erraient sans but, marchaient à quatre pattes. Ayant oublié l'Esprit du Ciel, ils tombèrent en disgrâce à Ses yeux : ils n'étaient qu'une ébauche, un semblant d'hommes. Nul sang ne circulait en eux, ils n'avaient ni couleur ni sueur, les joues sèches, le visage comme un masque, les jambes et les bras rigides s'entrechoquaient bruyamment. Comment eussent-ils pu tourner leurs visages vers Tzagol ?»2

Une légende est similaire au Pérou : Viracocha avait créé la terre et le ciel, mais pas encore le Soleil, de sorte que les géants qu'il avait déjà créés marchaient dans l'obscurité. Malgré leur gaucherie, ces premiers habitants étaient orgueilleux et arrogants, et n'aimait pas leur père. Pris de colère, Viracocha détruisit ces créatures, en pétrifiant certains et en noyant les autres dans un déluge.

Chez les Guaranis on retrouve le mythe du dieu primordial qui demande à un dieu secondaire de créer pour lui, mais ce dieu refuse car doté d’omniscience, il sait que la création ne sera pas réussie .

« Notre-Père-Ultime-Ultime-Premier éprouve maintes difficultés à créer une nouvelle terre. Plusieurs de ses acolytes se refusent à assumer une telle tâche, vouée à l'échec. Jaikará se résigne enfin à fonder une terre imparfaite, tout en sachant que celle-ci « annonce déjà la déchirure, pour le malheur de nos fils et des derniers de nos enfants ». La rupture entre l'univers divin et le monde humain est consommée avec l'instauration de la « terre imparfaite », la « patrie de la mauvaise vie ». L'homme perd la double dimension divine et humaine de l'immortalité et doit se résoudre à sa condition de simple mortel. »3

Un mythe cosmogonique védique aborde le même thème : Brahma était mécontent de ne pas être obéi de ses fils les Kumaras qui refusaient obstinément de créer la vie, sachant tout le malheur qui en découlerait et qui affecterait les futurs êtres vivants. Dans le souffle de la colère de Brahma apparut Rudra4, le dieu sauvage et instinctif qui possède le phallus comme emblème. L'apercevant, le puissant Brahma, voulant procéder à la création des êtres, lui ordonna de créer. Cependant, le visionnaire Rudra connaissait lui aussi et à l'avance les défauts des futurs créatures et, afin que la création ne se fit pas, il plongea dans les eaux primordiales pour se réfugier dans un mutisme fanatique. Sous les flots du chaos, Shiva médita alors intensément, et guidé par les conseils de Shakti, sa compagne intérieure, il créa malgré tout l'univers matériel et temporel.

1« Ils avaient des idées fort curieuses sur la création de l’homme. Ils voyaient tant de différence entre les blancs, les nègres et les sauvages qu’ils prétendaient que ces trois nations n’avaient pas été créées par le même Dieu, et que chacune avait eu son Dieu créateur ; que le plus ancien, mais le moins habile de ces Dieux, avait été celui des blancs ; que ce premier Dieu avait d’abord créé sa nation ; que le second avait ensuite créé les nègres, et que le troisième, plus habile que les deux autres, avait plus tard créé les sauvages, en corrigeant les imperfections qu’il avait remarquées dans les deux autres nations. Ainsi, suivant eux, la nation sauvage était la plus parfaite [...] » J. A. Maurault, Histoire des Abénakis depuis 1605 jusqu’à nos jours.

2Pop Wuh (Le Livre des événements), version Adrian I. Chavez, op. cit.

3R. Bareiro Saguier, La genèse guarani, op. cit.

4Rudra, « la Colère », qui devient Shiva, « la Douceur » quand elle s’apaise, est le commencement, le milieu et la fin des êtres. C’est par son impulsion seule que le monde entier se meut.

Le façonnage de l'humanité

(la coroplastie : création par modelage de l'argile)

Agissant en artisan lorsqu'il créa l'être humain, le démiurge se servit de matériaux basiques évoquant la pratique de la céramique non cuite (les premières poteries japonaise datent environ de -12 000 ans, les premières poteries non cuites européennes sont d'une dizaines de millénaires plus anciennes encore).

Dieu utilise souvent de la terre : Yahvé crée à partir de la poussière. Prométhée utilise un peu de terre et d'eau. Au Vietnam, l'empereur de jade utilise de la terre fine. Les dieux de la sphère mésoaméricaine s'essaient à différents matériaux pour leurs créatures, mais préfèrent finalement la terre.

L’argile est un version raffinée de la simple terre. Chez les Mbuti (Pygmée du Congo), le démiurge pétrit de l’argile pour lui donner une forme humaine, recouvre la statuette d’une peau, verse du sang dans la peau, et naît le premier l'homme. Il fabriqua de même une femme.

Pour les Babingas (Congo), l'humanité naquit de la terre argileuse.

À Sumer, l'homme est pétri de la chair du dieu qui le crée et d'argile. Dans l'Épopée de Gilgamesh : « À sa chair et à son sang, que Nintu mêle de l’argile, que du dieu même et de l’homme soient mêlés ensemble dans l’argile ! Allons, entendons le tambour à jamais ! Que de la chair du dieu il y ait un Esprit. » Dans d'autres mythes mésopotamiens, les hommes sont façonnés d'argile par Enki ou Enlil. Enlil, dans son palais, utilise alors de la boue pour façonner l'humanité. Il utilise un moule, le « fabrique-chair » qui est une pièce de son palais. Ce sont les « Têtes Noires », les Sumériens. Après le Déluge, les Têtes noires sont à nouveau créées par Enlil (à la demande d'Anou) à partir d'argile. Dans la mythologie sumérienne consacrée à Enki, ce dernier confectionna un moule, puis le donna à sa mère afin qu'elle y place de l'argile formant les êtres humains, qui prirent alors vie grâce à l'aide d'un groupe de déesses au premier rang desquelles se trouvait Ninmah (qui leur assigna leur destin de travailler pour les dieux).

Chez les Aborigènes de la région de Melbourne : « Pundjel fit deux mâles d'argile. » qu'il accompagne de branches d'arbres et de feuilles pour faire les bras, les cheveux, etc.1 De la même manière, le dieu des Indiens des Nouvelles Hébrides (Vanuatu) façonne les hommes avec de l'argile et des palmes tressées, pour créer un objet qui ressemble à un fétiche.

Chez les Kamilaroi australiens, Byamee créa la première femme et le premier homme en terre rouge. De même, le dieu polynésien utilise l'argile rouge pour créer la première femme.

En Amérique du nord, une légende raconte qu'un castor refaçonna la terre après le déluge grâce à de l'argile. Le démiurge Lacandon crée en partie avec de l'argile2.

Chez les Incas, Viracocha créa les nations humaines en sculptant l'argile et en leur soufflant dessus pour les animer.

Parfois, le démiurge crée à l'aide d'un outil, tout aussi rudimentaire que ceux des premiers artisans. Chez les Dogons, Amma est le potier divin. À Éléphantine (Esna) en Haute-Égypte, Khnoum façonne son Ka3 avec un tour de potier. « Le bélier Khnoum, potier divin, modèle les premiers êtres vivants sur son tour. Plus tard, il transmettra au ventre des femmes la capacité créatrice de son tour. »4

En Chine, le jour où elle créa l'humanité, Nuwa était d'abord alerte et précise, mais en fin de journée, elle était fatiguée. Ses mains lui faisant mal, elle ne créa plus les hommes avec elles mais avec une corde trempée dans la boue qu'elle faisait tournoyer autour de sa tête. De ses mains utilisées naquit la noblesse, mais des tas de boue retombées au sol en fin de journée naquit le peuple.

Si ce n'est qu'avec de la terre, l'homme peut être fabriqué avec plusieurs autres matériaux, tous aussi naturels et communs dans l'écosystème des peuples qui se transmettent ces mythologies. Mentionnons le sable (Chilouks du Nil, Pérou), la mélasse de maïs (Mayas), la mélasse de noix de coco ou de canne à sucre (Polynésie), le bois (en Mélanésie, l'homme est sculpté dans un tronc d'arbre), le lait végétal, la pierre (Polynésie et Amérique), la cendre (orphisme), etc.

 1A. Van Gennep, Mythes et légendes d'Australie, E. Guilmoto Éd., Paris, 1906.

2Pour s'occuper, Hachakyum prit de l'argile et en façonna toutes les espèces d'animaux. Pétrissant l'argile de ses mains, Hachakyum laissa tomber des petits morceaux d'argile, qui se transformèrent en serpent. Il dit à son frère Sukunkyum : « Toi aussi tu vas aussi créer des hommes. [...] » Hachakyum façonna les Lacandons, tandis que Ah Kyantho créait les étrangers. Hachakyum prit du maïs pour faire nos dents et des pierres pour faire nos yeux. Quand il eut fini de modeler, il dit " »Debout ! » Et tous les gens se levèrent. » Chan Kin (1890-1996), recueilli par G. Chaliand, Géo, n° 225, nov. 1997.

3 « Énergie vitale, double spirituel. »

4 N. Guilhou, J. Peyré, La mythologie égyptienne.  

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