23 Décembre 2021
Lors d'un échange de cadeaux entre Rome et l'Inde, des Indiens font le voyage jusqu'en Europe. Strabon commente leur visite avec beaucoup de circonspection. D'ailleurs, comment prendre autrement une ambassade qui amène comme cadeau pour César des animaux venimeux, une perdrix, un être laid et mutilé, ainsi qu'un philosophe qui s'immole une fois parvenu à Athènes ?
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« Que nous a envoyé l'Inde ? en tout et pour tout, une ambassade chargée pour César Auguste des présents et hommages d'une seule de ses provinces [le Gandhara] et d'un seul de ses rois Porus III, et un de ses sophistes qui est venu mourir sur un bûcher dans Athènes et renouveler ainsi le spectacle donné jadis par Kalanos à Alexandre. […] Nicolas de Damas raconte comment, étant dans Antioche Epidaphné, il rencontra l'ambassade que les Indiens envoyaient à César Auguste. Les ambassadeurs, qui, d'après ce que marquait leur lettre d'introduction, avaient dû être très nombreux au départ, se trouvaient actuellement réduits à trois, que Nicolas de Damas certifie avoir vus de ses yeux. Quant aux autres, ils étaient morts des fatigues d'un trop long voyage. La lettre était écrite en grec sur parchemin et marquait que Porus en était l'auteur, qu'il était seigneur et maître de six cents rois, mais qu'il n'en attachait pas moins un grand prix à l'amitié de César, qu'il était prêt à lui livrer passage sur ses terres pour aller partout où il voudrait, voire à l'aider de sa personne dans toute entreprise honnête et juste. Telle était, au dire de Nicolas de Damas, la teneur de cette lettre, qu'accompagnaient des présents portés par huit serviteurs, dont le corps, vêtu d'un simple caleçon et d'ailleurs absolument nu, était imprégné de parfums. Voici en quoi consistaient ces présents :
1° un monstre en manière d'hermès, amputé des deux bras depuis sa plus tendre enfance, et que nous-même avons pu voir à Rome ;
2° des vipères de la plus grande taille ;
3° un serpent long de 10 coudées ;
4° une tortue de rivière de 3 coudées ;
5° une perdrix plus grosse qu'un vautour.
Les ambassadeurs avaient aussi avec eux ce philosophe qui se brûla dans Athènes. [...] Nicolas de Damas ajoute que le gymnosophiste, vêtu d'un simple caleçon, et le corps bien frotté d'huile, avait escaladé en riant son bûcher. L'inscription que l'on grava sur son tombeau était ainsi conçue : ci-git Zarmanochegas, Indien natif de Bargosa [Bharuch ou Broach, embouchure de la Narmada, Gujarat], mort de mort volontaire, fidèle à la coutume de ses pères. » Géographie, 15,1.
Michel Cazenave - Atman et pensée indienne (Continents intérieurs)
http://www.continents-interieurs.info/Michel-Cazenave/Atman-et-pensee-indienne