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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

L'oiseau de vérité (conte espagnol)

Le récit suivant, dernière illustration du mythe de l'oiseau de vérité, est un conte populaire andalou extrait de Contes et légendes d'Espagne, de Marguerite Soupey. Juanillo et Juanilla sont frère et sœur, nés de l'union légitime d'un roi et d'une reine. Cependant, dans l'ombre du roi, la pâtissière du château et son mari n'en finissaient pas de mener la vie dure à ces deux enfants dont ils sont atrocement jaloux, car ne pouvant eux-mêmes être parents. Constatant un jour que ses enfants avaient disparu, le roi, n'ayant trouvé de témoin ni de coupable, mais ne pouvant se résoudre à tuer la reine, enferma plutôt sa femme dans les oubliettes, ce qui le rendit malade de chagrin. C'est à la suite de l'une de leurs mésaventures, que Juanillo et Juanilla devront se mettre en quête de l'oiseau de vérité, qui se révélera être le salut de leur famille tout entière.

Ce conte étant assez long, nous n'en avons sélectionné que le dénouement. L'oiseau n'est plus un simple garant des richesses, mais plutôt le gardien de la vérité, ainsi que le vengeur des injustices. En cela, il retrouve son rôle ancestral, de porteur de bonne nouvelle, d'espoir et de justice.

*

Le vieil ermite était assis au pied de la montagne.

« Mon fils ! mon fils, prends garde ! que viens-tu chercher encore et pourquoi veux-tu une fois de plus tenter la fortune?

- Ma sœur désire l'Oiseau de Vérité; j'ai promis de le lui rapporter ; c'est la dernière fois que vous me revoyez. Aidez-moi encore pour l'amour d'elle !

- Si tu exposes ta vie par amour, je t'aiderai, mais sache bien que de tous ceux que j'ai vus passer ici en quête de l'Oiseau, aucun n'est revenu. Va donc à la montagne, tu verras la fontaine et l'arbre d'or et plus loin tu entreras dans un grand jardin. Mille oiseaux chanteront autour de toi, n'en prends aucun, mais va jusqu'au centre du jardin. Là se trouve une sorte de clairière toute semée de grosses pierres. Arrête-toi et regarde : un bel oiseau blanc comme neige viendra se poser sur une pierre ronde; il agitera ses plumes, chantera et finalement mettra sa tête sous son aile. Ne le touche pas avant qu'il soit bien endormi, car si par malheur il t'échappait, tu serais changé en pierre, comme tous ceux qui sont déjà venus! »

Le jeune homme prit congé de l'ermite, gravit la montagne passa près de la fontaine et près de l'arbre d'or, et pénétra dans un grand jardin peuplé de toutes espèces 11 trouva la clairière encombrée de gros cailloux, et il attendit.

Un oiseau blanc comme neige vint se poser tout près de lui sur une pierre ronde ; il agita ailes et se mit à chanter :

« Je suis l'Oiseau de Vérité; qui me prendra ? qui me prendra ? Si nul ne veut de moi, qu'on me laisse! qu'on me laisse! »

L'oiseau tourna plusieurs fois sur lui-même, cacha sa tête sous son aile et se tut.

Juanillo, impatient de le saisir, n'attendit pas qu'il fût endormi ; il étendit la main : l'oiseau s'envola et Juanillo ne fut plus qu'une pierre parmi les autres pierres.

Cependant Juanilla, qui regardait chaque matin le miroir que son frère lui avait donné, le vit un jour tout obscurci de brume. Elle l'essuya, le frotta : le miroir resta opaque, et la jeune fille, qui s'accusait maintenant d'avoir, pour un caprice, exposé la vie de son frère, se mit à pleurer amèrement.

La vieille, qui survint, la trouva en larmes, et se réjouit intérieurement.

« Écoute, ma fille, lui dit-elle, si tu es inquiète de ton frère, le plus simple est d'aller le chercher ! »

Juanilla fit seller son cheval et partit, suivant la route qu'avait suivie son frère. Au pied de la montagne elle rencontra le vieil ermite :

« Qui t'aime assez peu, mon enfant, pour t'envoyer ici?

- Nul ne m'envoie, je viens chercher mon frère. Ne l'avez-vous pas vu passer ? Deux fois déjà il est allé à la montagne; cette fois-ci, il n'est pas revenu !

- Ne veux-tu pas surprendre l'Oiseau de Vérité ? demanda l'ermite.

- Que m'importe l'Oiseau. Mon frère seul m'est cher!

- Vous qui l'avez aidé, conseillez-moi, mon père !

- Je t'aiderai, ma fille, puisque c'est l'amour et non la cupidité qui te guide. Mais tu peux, toi aussi, périr!

- Je n'ai pas peur !

- Sache donc que tu rencontreras le lion et le serpent qui se jetteront sur toi pour t'effrayer. Passe hardiment et va jusqu'au jardin des oiseaux : c'est là qu'est ton frère, mais tu ne le verras que si tu réussis à prendre l'Oiseau de Vérité; lui seul peut te dire ce que tu dois faire. »

L'ermite expliqua longuement à Juanilla comment elle pourrait s'emparer de l'Oiseau. Elle le remercia de tout son cœur et partit. Le lion lui barra le chemin, le serpent se jeta sur son cheval, mais elle ne fut pas effrayée et parvint à la clairière où elle attendit.

L'oiseau vint se poser sur la pierre ronde, agita les ailes et se mit à chanter :

« Je suis l'Oiseau de Vérité,

Qui me Prendra ? qui me Prendra ?

Si nul ne veut de moi,

Qu'on me laisse ! qu'on me laisse ! »

Il tourna plusieurs fois sur lui-même et finalement cacha sa tête sous son aile. Bien que son cœur tremblât d'impatience, Juanilla attendit un moment avant de saisir l'Oiseau. Quand elle le vit bien immobile, elle étendit les deux mains : l'Oiseau était pris.

« Oiseau de Vérité, dis-moi où est mon frère ?

- Il est parmi les pierres grises que tu vois dans cette clairière.

- Comment lui rendre la vie ?

- En jetant sur lui quelques gouttes d'eau puisée à la fontaine d'argent.

- Veux-tu m'aider, Oiseau de sagesse ?

- Tu es ma maîtresse et je t'obéirai, Allons d'abord la fontaine ! »

 

Lorsque le lion vit la jeune fille s'avancer avec l'oiseau sur le poing, il se coucha à ses pieds. Juanilla remplit d'eau une cruche de cristal qu'elle trouva près du rocher d'émeraude, et revint au jardin pour arroser les pierres. A mesure que l'eau d'argent tombait sur les cailloux, ceux-ci devenaient des hommes. Déjà la jeune fille se désespérait de voir jamais apparaître Juanillo, lorsque, ayant jeté l'eau sur la dernière pierre, elle le vit soudain se dresser. Les deux enfants s'embrassèrent tendrement, tandis que les cavaliers ressuscités rendaient grâce à la jeune fille. Bientôt, tous ensemble descendirent la montagne, sans plus songer à cueillir les rameaux d'or ou à puiser l'eau d*argent! Mais Juanillo et Juanilla ramenaient avec eux l'Oiseau de Vérité. Dès qu'ils arrivèrent dans leur maison, l'Oiseau alla se percher dans les branches du chêne aux feuilles d'or où il se mit à chanter, tandis que la musique des feuilles et le bruit du jet d'eau d'argent accompagnaient sa voix.

« Tu possèdes l'eau d'argent, l'arbre d'or, l'Oiseau de Vérité, que vas-tu me demander demain, petite sœur? dit Juanillo.

- Je te demanderai de ne plus jamais me quitter car je possède maintenant un peu plus de sagesse! » répondit la jeune fille.

Et la vie reprit, paisible et douce, dans la vieille maison.

 

La vieille sorcière apprit que les deux enfants qu'elle avait envoyés à la montagne en étaient revenus. Elle voulut s'en assurer, mais à peine eut-elle posé le pied dans le patio, que l'Oiseau de Vérité fondit sur elle.

« Va-t'en d'ici, sorcière, et si dorénavant tu t'avises de nuire à mes maîtres, je t'arrache les yeux et te sors la cervelle du crâne! » dit-il en la piquant de coups de bec.

La vieille se sauva en poussant des cris, et sa frayeur fut si grande qu'elle en mourut deux jours plus tard.

L'Oiseau dit aux jeunes gens :

« Pourquoi ne songez-vous pas à retrouver vos parents ?

- Nous sommes prêts à le faire, répondit Juanillo, mais comment nous y prendre ?

- Va toi-même au palais; dis au roi que•tu possèdes trois merveilles en ta maison et que tu sollicites la grâce de les lui montrer.

Juanillo s'en fut au palais, et le roi, touché de sa bonne grâce, lui promit d'aller, le lendemain, visiter sa maison.

Juanilla se montra fort émue de cette nouvelle et dit à l'Oiseau :

« Que dois-je faire, Oiseau de sagesse, pour recevoir le roi ?

- Prépare seulement une collation que tu feras servir à l'ombre des feuilles d'or, près de la fontaine d'argent, et vêts-toi comme si tu étais la fille de celui que tu attends ! »

Quand le roi, le lendemain, descendit de cheval devant la maison des trois merveilles, il fut accueilli par Juanillo, qui lui tint l'étrier, tandis que Juanilla, vêtue de splendides vêtements, lui souhaitait la bienvenue sur le seuil ; le roi, en les voyant si pareils et si beaux, se souvint qu'il aurait pu, lui aussi, avoir des enfants de cet âge et il soupira.

Les jeunes gens le conduisirent dans le patio ; tandis qu'il s'émerveillait à regarder jaillir et retomber la pluie miroitante du jet d'eau dans la vasque de marbre, toutes les feuilles d'or agitées par un vent léger se mirent à chanter.

« Sois le bienvenu, ô Roi, sois le bienvenu ! »

Puis les feuilles se turent et ce fut le tour de l'Oiseau.

« Sois le bienvenu, ô Roi, sois le bienvenu » chanta sa voix ; et tous les oiseaux d'alentour accourus à ce chant, et les milliers de feuilles reprirent en chœur harmonieux :

« Sois le bienvenu, ô Roi, sois le bienvenu ! »

Quel enchantement ! dit le roi, et tout en goûtant à la collation, il se fit raconter l'histoire de ces merveilles •

« Ceci est incroyable, dit le roi tout songeur.

- Il y a une chose bien plus incroyable encore, dit, du haut de l'arbre, la voix de l'Oiseau.

- Quoi donc, lui demanda le roi.

- C'est qu'un roi ait pu croire une chose impossible.

- Que veux-tu dire ?

- Ô roi, te souviens-tu des paroles que tu entendis un soir à la porte d'une pauvre maison : « Je voudrais épouser le roi ; je l'aimerais sans lui demander autre chose que de vivre auprès de lui, je lui donnerais un fils brave comme lui, et une fille belle comme le jour!... »

Le roi, à ces souvenirs, cacha sa tête dans ses mains et pleura.

« Comment as-tu bien pu croire que celle qui parlait ainsi pouvait être coupable d'un crime monstrueux ? La reine était innocente et tes deux enfants sont devant toi. »

Le roi, fut transporté de joie à cette nouvelle, et l'Oiseau de Vérité dut lui raconter tout au long l'histoire des deux enfants. Aussitôt le souverain courut au palais pour délivrer la reine; et lui, Juanillo et Juanilla se jetèrent dans ses bras.

Ce même jour, les deux sœurs de la reine dînaient ensemble; après avoir absorbé de la venaison, du poisson, du rôti, elles commençaient à goûter au dessert lorsqu'un bel oiseau blanc vint se poser sur la fenêtre :

« Le roi a retrouvé enfants, dit l'oiseau d'une voix terrible, et il vous demande au palais. »

Leur saisissement fut tel que la femme du pâtissier avala tout rond un énorme beignet qui l’étouffa, tandis que la femme du cuisinier, folle de peur, courut se noyer dans le puits.

L'Oiseau de vérité ne quitta jamais le roi, la reine et leurs deux enfants, et tous connurent, grâce à lui, de longues années de bonheur.

 

Récit extrait de Contes et légendes d'Espagne, de Marguerite Soupey, Nathan, Paris, 1953.

L'oiseau de vérité (conte espagnol)
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