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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Le Dialogue des deux sages (conte irlandais)

Le récit suivant, originellement intitulé « Immacallam in da thuarad » fut compilé vers 1160 apr. J.-C. par l'abbé irlandais Aed Ua Crimthainn pour le Livre de Leinster. « Le Dialogue des Deux Sages » fut traduit de l'anglais par Erik Stohellou en 1998, en ayant pour source The Colloquy of the two sages, de Whitley Stokes. La version qui suit est inspirée de cette traduction.

La similitude entre rishi hindous et ollaves celtes nous indique une nouvelle fois combien les cultures druidiques et védiques se ressemblent. De même que les combats entre le sage Vishvamitra et Vashishte furent légendaires en Inde, combattent ici à travers une joute verbale un vieux sage et un plus jeune et ambitieux rival, conseillé dans l'ombre par un mystérieux moine errant. Dans ce texte, d'une pertinence foudroyante et qui ne semble pas avoir subi le poids des âges, nous retrouvons à la fois le thème du déluge et du Kali yuga, chers aux Indo-Européens, mais aussi celui de l'Apocalypse, qui est une variation plus tardive sur le même thème. Ce texte et ses références explicites aux cultures païennes comme bibliques, sont donc tout à fait représentatifs de la culture celtique, qui fut préservée dans les îles britanniques en se mêlant à la religion catholique.

 

*

 

Adnae, fils d'Uthider, des clans du Connaught, était le plus savant d'Irlande en termes de science et de poésie, et possédait donc le titre d'ollave, qui le consacrait maître de la poésie et du savoir. Il avait un fils, Néde, qui s'en alla apprendre la science en Écosse chez maître Gueule de Cheval, dont le nom gaélique est Eochu Echbel. Chez lui, Néde séjourna jusqu'à ce qu'il fût habile en science.

Un jour le garçon marcha jusqu'au bord de la mer, car les poètes considéraient que le bord de la mer était toujours un lieu de révélation de la science. C'est alors qu'il entendit un bruit dans les vagues, et comme ce bruit était un chant de lamentation et de tristesse, cela lui sembla étrange. Aussi le garçon jeta-t-il un sort sur la vague pour qu'elle lui révèle de quoi il s'agissait. Il lui fut alors révélé que la vague pleurait son père, Adnae, qui était mort, et que sa charge avait été donnée au poète Ferchertne, qui avait pris à la place du père de Néde, la dignité de roi des savants.

Le garçon revint à la maison et raconta ce dont il avait été témoin à son maître, le sage Eochu. Et Eochu lui dit :

« Retourne chez toi maintenant. Nos deux sciences ne peuvent demeurer au même endroit car ta science te montre clairement que tu es un toi-même un maître en connaissance. »

Néde partit alors, accompagné de ses trois frères, c'est-à-dire Lugaid, Cairbre et Cruttine. Le hasard les fit trouver un champignon vesse-de-loup sur leur chemin. L'un d'eux se demanda : « Pourquoi est-ce appelé vesse-de-loup ? » Et comme ils ne le savaient pas, ils retournèrent chez Eochu et restèrent un mois chez lui.

Enfin, ils se remirent à nouveau en chemin et rencontrèrent un roseau. Comme ils ne savaient pas pourquoi on l'appelait ainsi, ils retournèrent encore une fois chez leur tuteur. Au bout d’un autre mois, ils le quittèrent de nouveau, quand une pousse de sanicule, aussi appelée herbe de Saint-Laurent, se trouva alors sur leur chemin. Comme ils ne savaient pas pourquoi on l'appelait ainsi, ils retournèrent chez Eochu et passèrent un autre mois avec lui.

Ensuite, quand leur maître eut répondu à toutes leurs questions, ils partirent vers Cantire, une péninsule située au sud-ouest de l’Écosse. Après ça, ils se rendirent à Rind Snoc, puis de Port Ríg, ils traversèrent la mer jusqu'à ce qu'ils arrivent à Rind Roisc, d'où ils passèrent en Irlande du nord. De là, ils partirent alors pour Macha, la capitale irlandaise.

Où qu'ils aillent, les adolescents portaient une branche d'argent au-dessus de leur tête, car la branche d'or était réservée au maître et la branche de cuivre aux poètes du commun.

Au détour d'un chemin, ils rencontrèrent Bricriu, que l'on surnommait « Langue Venimeuse ». Celui-ci leur dit que, s'ils lui donnaient une récompense, Néde deviendrait, par son avis et son intercession, le maître des savants d'Irlande. Aussi Néde, lui donna-t-il une tunique pourpre, avec des ornements d'or et d'argent. Bricriu lui dit alors d'aller s'asseoir à la place de l'actuel maître des savants Ferchertne, car, comme il le prétendait, celui-ci était mort, alors qu'en fait il était à la capitale pour enseigner la science à ses élèves.

Cependant, Bricriu dit encore : « Aucun homme imberbe ne prendra la charge de maître des savants à Macha ! » Alors Néde prit une poignée d'herbe et Bricriu lui jeta un sort afin que chacun suppose qu'il avait de la barbe. Ensuite, Néde se rendit à la capitale et s'assit sur la chaise de Ferchertne et revêtit sa robe.

Ensuite Bricriu alla trouver Ferchertne et il lui dit :

« Il est triste, ô Ferchertne, que tu sois privé de la charge de maître aujourd'hui, car un jeune homme honorable a pris ta charge à Macha ! »

Furieux, Ferchertne retourna au palais, puis, un bâton à la main, il cria : « Qui est donc ce poète qui ose prendre ma place ? »

Ferchertne entra alors dans le palais et dit en voyant Néde :

« Qui est ce poète ? Je veux dire, qui est cet enfant autour de qui est enroulée une robe qui lui donne toute sa splendeur ? Qui est cet enfant, qui c'est certain, s'en ira jouer aux osselets après avoir chanté sa poésie ? Ce que je vois là, ce n'est qu'un fils du savoir, qui avec un peu d'herbe s'est fait une barbe ! Assis sur le trône d'où émane la sagesse, quel est donc ce poète querelleur ? Je n'ai jamais entendu dire que du fils d'Adnae puisse être d'une quelconque intelligence et jamais on ne me rapporta qu'il posséda un quelconque savoir. J'en jure par mes titres, l'avoir laisser s'installer sur le trône du savoir est une grave erreur ! »

C'est alors que Néde lui répondit :

« Ô mon aîné, ne sais-tu pas que tout sage est un sage qui corrige et que le sage lui-même est le reproche de tout ignorant. Ainsi, avant de se mettre en colère contre nous, le sage cherchera quel reproche et quel mauvais fond nous habitent. Ne sais-tu pas que l’accueil est le vrai sens de la sagesse ? Sache enfin que petite est l'imperfection d'un jeune homme tant que son art n'a pas été correctement interrogé. Maître, procède donc d'une manière plus légitime, car tu t'es montré sous un bien mauvais jour et nous devrions en conclure que tu es avare à distribuer le pain de l'instruction. Pourtant, c'est bien de ton savoir dont nous avons besoin, car nous avons déjà épuisé la mamelle de Gueule de Cheval, bien qu'elle soit considérable et riche en trésors. »

Calmé, Ferchertne lui demanda poliment : « ô jeune disciple, d'où viens-tu ? »

Ce à quoi Néde lui répondit :

« D'où je viens ? Voilà qui n'est pas difficile à dire… Je viens du talon d'un sage, d'un confluent de sagesse, des perfections de la bonté, du brillant du lever du soleil… Je reviens d'où l’on mesure la vérité selon le savoir, là où la droiture est énoncée, là où vérité et mensonge sont distingués, là où les poèmes sont composés… Et toi, ô mon aîné, d'où es-tu venu ? »

Ferchertne lui répondit alors :

« Ce que tu me demandes n'est pas difficile à dire, car je viens d'un chemin qui longe les arcades de l'âge, qui longe aussi les cours d'eau, les avant-bras des poètes, et le pays lumineux de la connaissance… Je viens aussi des différentes stations de la lune, tout comme je viens du cordon ombilical de la jeunesse… Mais dis-moi, ô jeune disciple, quel est ton nom ? »

Néde lui répondit alors :

« Ce n'est pas difficile à dire : je suis le savoir en personne, celui que l'on ne peut corrompre. Je suis la fureur du feu, le feu des paroles, le bruit de connaissance… Je suis la fontaine des véritables richesses, je suis le puits où se trouve l'abondance de la connaissance… Et toi, ô mon aîné, quel est ton nom ? »

Ferchertne lui répondit :

« Ce n'est pas difficile à dire, on m'appelle celui qui découvre les présages… Je suis le maître qui explique les assertions et les questions. Toujours en quête de la science, qui est la trame de l'art, je suis la demeure de la poésie, je suis l'abondance de la mer, je suis le vaste océan du savoir… Mais une question, ô jeune disciple, quel art pratiques-tu ? »

- Ce n'est pas difficile à dire, lui répondit Néde, j'exerce le satyre ou la louange, qui percent la chair et donne sa couleur à la timidité, tout en éloignant l'impudeur. Je parraine moi aussi la poésie, car je recherche la gloire et courtise la science. Je diffuse pour cela les connaissances, dépouillé de toute parole superflue. Ainsi, je suis une rivière de science à l'enseignement abondant, et mes récits habiles ne manquent jamais de charmer les rois… Pourtant, je vis simplement, je ne loge que dans une petite chambre et je me considère l'égal du bétail d'un sage… Et toi, ô mon aîné, quel art pratiques-tu ?

Et Ferchertne de lui répondit :

- Je fais la quête pour me sustenter, demandant trésor ou nourriture. Parfois je demande l'hospitalité et toujours je veille à établir la paix en tous lieux où je me rends. Je fus même un temps précepteur de Conchobar mac Nessa, le roi d'Ulster, qui de moi apprit les arts. Je partageais même ma couche avec lui. Le fleuve sacré de la Boyne est mon inspiration principale, les sortilèges sont mes amis. La fureur de l'inspiration, la structure de la pensée, la technique des petits poèmes, une allocution claire, qui racontent des récits sanglants, tout ceci me permit de marcher jusqu'à présent sur le chemin de la gloire… Quant à toi, ô jeune disciple, qu'as-tu entrepris ?

Néde lui répondit :

- Voilà une chose qu'il est bien simple de répondre : j'ai traversé la plaine de l'âge, je m'en vais grimper la montagne de jeunesse, et je m'en vais chasser le temps… Je vais en suivant les rois, mais j'habite des cabanes dont le toit est de paille et les murs d'argile… Je réside entre chandelle et foyer, entre bataille et douleur, et je subis les aléas du courant, ballotté comme je suis entre les vagues du savoir… Et toi, ô sage, qu'as-tu entrepris ?

- Je suis allé dans la montagne, lui répondit Ferchertne. Là-bas, dans ces terres où vivent les sages, j'ai communié avec les sciences et j'ai compris au plus profond de mon cœur la poésie. Ailleurs, dans une foire organisée par le roi, j'ai appris la générosité. J'ai aussi beaucoup appris des jeunes hommes qui ne témoignent que trop peu de respect. Enfin, la mort, elle aussi m'a appris bien des choses… mais, ô jeune disciple, seras-tu assez aimable pour me dire par quel chemin tu es venu jusqu'ici ?

Néde lui répondit :

- Je m'en viens par la blanche plaine du savoir, après être passé à travers un vieux bois sur le dos d'un bœuf de labour… Un soir où brillait une lune d'été sur les fruits des vergers et les légumes des potagers… Un matin où se déversait sur le monde la rosée d'une déesse, sous la forme du blé et du lait… Et toi, ô mon aîné, par quel chemin es-tu venu ?

- Voilà qui n'est pas compliqué à dire, lui répondit Ferchertne. Je m'en viens depuis l'aiguillon de Lug, qui me déposa sur la poitrine d'une douce femme, puis sur la chevelure d'une forêt, puis sur la pointe d'une lance, puis sur une robe d'argent, puis sur un chariot en bois, puis sur un chariot en ferraille mais sans roue… Je m'en viens en glissant sur l'herbe qui m'a vu naître, sur l'herbe qui me fera chuter, comme sur celle qui me verra mourir sur elle… Mais dis-moi, ô jeune disciple, de qui es-tu le fils ?

Néde lui répondit alors qu'il était : « le fils de Poésie, qui elle-même était fille de Réflexion, qui elle-même était fille de Méditation, qui elle-même était fille de Science, qui elle-même était fille d'Enquête, qui elle-même était fille de Recherche, qui elle-même était fille de Grande Science, qui elle-même était fille de Grande Intelligence, qui elle-même était fille de Compréhension, qui elle-même était fille de Sagesse, qui elle-même la fille des dieux eux-mêmes. Et toi, ô mon aîné, de qui es-tu le fils ? » lui demanda-t-il.

Ferchertne lui répondit :

« Je suis le fils d'un homme qui n'est pas né, mais qui fut enterré dans la matrice de sa mère la terre, puis baptisé après sa mort. Sa première incarnation, la mort l'épousa. Depuis, la première parole de chaque être vivant, le cri de chaque mourant, scande son grand et noble nom. Mais toi qui reviens d’Écosse, as-tu des nouvelles ?

Néde lui répondit :

- Il y en a en effet des bonnes nouvelles, la mer est poissonneuse, la côte est pacifiée, les forêts souriantes, les arbres fruitiers en floraison, les champs de blé croissent, les essaims sont nombreux : le monde rayonne, une paix heureuse règne sur un été très doux. La solde des armées a été payée, les rois sont couverts d'une grâce solaire qui couronne leur sagesse. Les batailles se déroulent au plus loin, et chacun s'occupe de son propre métier. Des hommes valeureux travaillent de concert avec leurs femmes et c'est ensemble qu'ils tricotent. Chacun rit, chacun rivalise de valeur, chaque art se complète, et pour chaque homme et femme de bien, est attribué un salaire. Chaque nouvelle est une bonne nouvelle. Et toi, ô mon aîné, qui est resté au pays, as-tu des nouvelles ?

- J'ai, en effet, de terribles nouvelles, lui répondit Ferchertne. Mauvaise est l'époque qui vient, car les chefs seront trop nombreux et les honneurs trop rares, que ceux qui la vivent voient trop rapidement se briser leur bonne conscience. Le bétail qu'est l'humanité est stérile, car les hommes repoussent la modestie… Les défenseurs des seigneurs se font rares, ne restent que des gens mauvais, et si les rois légitimes se font rares, les usurpateurs quant à eux sont nombreux ! Le déshonneur est partout ! Les vices sont légion, et il n'existe pas un homme qui ne possède une tare ! Tout s’effondre, même les chars se brisent dans leurs courses, tandis que nos ennemis consument notre Irlande et que nos veilleurs sont abattus auprès de nos églises… La vérité ne garantit plus l'abondance et à elle, tout mensonge est préféré. Quant aux arts, tous ne sont que bouffonnerie… Sans aucune considération pour la place qu'ils sont censés occuper, chacun sort de sa caste, avec fierté et arrogance, si bien que rang, âge, honneur, dignité, art ou instruction ne sont plus respectés.

Tout homme compétent est brisé, tout roi est un pauvre, tout noble est méprisé, tout vilain est élevé, si bien que ni Dieu ni homme ne sont plus honorés. Les princes légitimes périssent devant les usurpateurs par l'oppression de ceux qui portent cagoules à pointes noires. La croyance est détruite. Les offrandes seront détournées. Les planchers s'effondrent. Les églises sont brûlées. Les hospices des nécessiteux sont ravagés. L'inhospitalité détruit les fleurs. Les fruits tombent à cause des mauvais jugements. Les chiens mordent nos corps, si bien que chacun semble rongé par la rage de l'ignorance, de l'avarice et de la ladrerie.

Ô disciple, si tu ne le sais pas encore, je te l'apprends donc à présent. À la fin des temps, il y existera un refuge pour la pauvreté, la mesquinerie et l'avarice. Mais cette époque sera terrible pour les artistes, car de nombreuses controverses les frapperont. Pour autant, chacun achètera un satiriste qui satirisera pour son compte. De même, chacun imposera sa limite à l'autre et la trahison veillera sur chaque colline, si bien que ni lit ni serment ne protégeront plus personne. Chacun blessera son voisin si bien que chaque frère trahira l'autre. Chacun tuera aussi son compagnon de boisson ou de table, si bien qu'il n'y aura plus là ni vérité, ni honneur, ni âme.

Trop nombreux, les ladres s'écraseront les uns les autres, de même que les usurpateurs se satiriseront les uns les autres en s'agitant dans des tempêtes d'ignorance. Les grades seront chamboulés, le savoir des clercs sera oublié, et les sages seront méprisés. La musique sera devenue vulgaire… Le guerrier deviendra moine et clerc. La sagesse deviendra un mauvais jugement. Le droit des princes passera celui de l’Église. Le Mal passera par les crosses des évêques. Tout acte sexuel deviendra adultère. Les fils des vilains et des rustres afficheront leur fierté et leur volonté. Une grande avarice, une grande inhospitalité et une grande pénurie se feront sentir chez les tenanciers…

Le grand art de la broderie passera aux fous et aux prostituées, si bien qu'on ne vêtira plus que des vêtements sans couleur. Les rois et les seigneurs ne rendront plus la justice et en conséquence, l'ingratitude et la colère naîtront dans chaque esprit, si bien que, ni esclaves ni servantes ne serviront plus leurs maîtres ; si bien que, ni roi ni seigneur n'entendront plus les prières de leur peuple, ni leurs opinions ; si bien que les intendants n'écouteront plus les moines ni leur communauté ; si bien que les vassaux ne supporteront plus de payer leur tribut à leur seigneur pour ce qui lui est dû ; si bien que le moine ne servira plus son église et son abbé ; si bien que la femme ne supportera plus la parole de son mari ; si bien que les fils et les filles ne serviront plus leurs pères ou leurs mères ; si bien que les jeunes gens ne se lèveront plus devant leurs professeurs. Chacun tournera son art en mauvais enseignement et en fausse intelligence pour essayer de surpasser son maître ; si bien que le plus jeune aimera à être assis tandis que son aîné se tiendra debout à ses côtés ; si bien qu'il n'y aura pas de honte pour un roi ni pour un seigneur à aller boire et manger avec le compagnon qui le sert ; si bien qu'il n'y aura pas de honte pour un fermier à manger après avoir fermé sa maison au nez de l'artiste qui vend son honneur et son âme pour un manteau et de la nourriture ; si bien que chacun détournera son visage de son compagnon en mangeant et en buvant ; si bien que l'avidité remplira chaque homme ; si bien que l'homme fier vendra son honneur et son âme pour le prix d'un scrupule.

La modestie sera rejetée ; le peuple sera bafoué ; les seigneurs seront détruits, les grades seront méprisés ; le dimanche sera déshonoré ; les lettres seront oubliées ; on n'ira plus trouver les poètes. La droiture sera abolie ; de faux jugements seront faits par les usurpateurs du dernier monde ; les fruits seront brûlés après leur apparition par un flot d'étrangers et la canaille.
Les contrées seront trop peuplées, donc elles s'étendront dans la montagne, où chaque forêt deviendra une grande plaine et chaque grande plaine deviendra une forêt.

Tous deviendront esclaves, accompagné de toute leur famille. Après cela, il viendra de nombreuses maladies cruelles, des tempêtes subites et effroyables. La foudre tombera. Les arbres pleureront. L'hiver sera feuillu, l'été obscur, l'automne sans moisson et le printemps sans fleurs. La famine apportera la mort. Les maladies affligeront les troupeaux, qui souffriront de la peste, des mauvais sorts, de tumeurs et de diverses fièvres.

Les trouvailles seront alors sans profit, les cachettes sans trésor, et si le bien existait toujours, il n'y aura plus d'homme pour le faire. Ce sera l'extinction des champions, la pénurie dans les champs de blé.

Les parjures, les jugements dus à la colère, tout cela emplira le cœur et l'esprit des hommes. Les deux tiers de l'humanité mourront alors trois jours et trois nuits. Un tiers des bêtes des mers et des bois souffriront aussi de ces blessures. Après cela, viendront sept années de lamentation. Les fleurs périront.
Depuis chaque maison s'entendront des plaintes. Des étrangers détruiront la plaine d’Irlande. Des hommes entretiendront d'autres hommes. Les filles enfanteront pour leurs pères. La désolation atteindra même les hauteurs de l’île aux Prairies éternelles, le Paradis.

La mer envahira alors chaque terre. L'Irlande sera abandonnée sept ans avant le Jugement, alors qu'y régnera la mélancolie après les massacres.

Après cela viendront les signes de la naissance de l'Antéchrist. Dans chaque tribu des monstres seront engendrés. Les eaux mortes se tourneront contre les eaux vives. Le crottin de cheval aura l'apparence de l'or. L'eau aura le goût du vin. Les montagnes deviendront des pays sans défaut. Les tourbières se couvriront de trèfle fleuri. Les essaims d'abeilles seront brûlés dans les montagnes. Les flots de la mer sur la plage seront retardés d'un jour à l'autre.

Il viendra ensuite sept années sombres, qui cacheront le soleil à la terre. Ce sera alors le Jugement, mon fils. Grandes nouvelles, effroyables nouvelles, ce sera une époque funeste ! »

Après un moment de silence, Ferchertne dit encore : « connais-tu, ô petit en âge, mais grand en connaissance, ô fils d'Adnae, celui qui est au-dessus de toi ?"

- Rien ne m'est plus facile à dire, lui répondit Néde. Je connais mon Dieu créateur. Je connais le plus sage des prophètes. Je sais aussi que Ferchertne est un grand poète et un prophète.

Alors le garçon s'agenouilla devant lui, puis lui jeta la robe du poète qu'il avait retirée. La terre déjà s'ébranlait pour engloutir celui qui avait eu l'outrecuidance de demeurer assis en présence d'un authentique maître du savoir. Alors Ferchertne dit :

« Reste, ô petit en âge, mais grand en connaissance, fils d'Adnae. Puisses-tu être magnifié et glorifié à ton tour ! Puisses-tu être fameux et révéré dans l'opinion des hommes et de Dieu ! Puisses-tu être un trésor de poésie ! Puisses-tu être le bras d'un roi ! Puisses-tu être un roc pour les ollaves ! Puisses-tu être la gloire d'Irlande ! Puisses-tu être le plus grand de tous !

- Qu'il en soit ainsi pour toi aussi ! Lui répondit Néde. Puis il ajouta : « je me connais trois pères, qui sont un père en âge, un père en chair et un père en instruction. Mon père en chair n'étant plus, mon père en instruction n'étant pas présent, c'est toi qui es mon père en âge. Je te reconnais donc comme tel. Puisses-tu l'être toi-même. »


 

Texte inspiré d'une traduction française d'Erik Stohellou parue en 1998 et ayant comme source The Colloquy of the two sages, de Whitley Stokes.

 

Le Dialogue des deux sages (conte irlandais)

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